Dramaturgies de la diversité
Réflexion

Dramaturgies de la diversité

Rencontre aux Ateliers de la pensée, Cloître Saint-Louis, Avignon, le 14 juillet 2017

Le 28 Mai 2017
Tichelbè, Sans repères de Kettly Noël, Festival d’Avignon 2017. Photo Christophe Raynaud de Lage.
Tichelbè, Sans repères de Kettly Noël, Festival d’Avignon 2017. Photo Christophe Raynaud de Lage.
Tichelbè, Sans repères de Kettly Noël, Festival d’Avignon 2017. Photo Christophe Raynaud de Lage.
Tichelbè, Sans repères de Kettly Noël, Festival d’Avignon 2017. Photo Christophe Raynaud de Lage.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 133 - Quelle diversité culturelle sur les scènes européennes?
133
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En juil­let 2017, le Fes­ti­val d’Avignon nous ouvrait ses portes afin d’organiser notre pre­mière ren­con­tre publique sur le thème de la diver­sité cul­turelle sur scène (deux autres étant prévues au Théâtre Varia à Brux­elles le 25 novem­bre 2017 puis au Cen­tqua­tre-Paris le 1er décem­bre 2017.)

Avant d’échanger l’après-midi avec les experts Éric Fassin et Daniela Ric­ci, qua­tre artistes ont bien voulu nous faire part de leurs réflex­ions. Sous forme d’extraits, nous vous livrons ici les paroles de qua­tre penseurs et acteurs de la vie sur scène, les choré­graphes Ket­tly Noël, Sey­dou Boro, Salia Sanou et la met­teuse Car­o­line Guiela Nguyen.

Ket­tly Noël, choré­graphe

« La diver­sité est avant tout une ques­tion de société »

Danseuse, choré­graphe et actrice née en Haïti instal­lée à Bamako, elle dirige aujourd’hui le Fes­ti­val Dense Bamako Danse et le cen­tre cul­turel Donko Seko, un espace de for­ma­tion, de créa­tion choré­graphique et de développe­ment de la danse con­tem­po­raine comme out­il de social­i­sa­tion au Mali. « La diver­sité est avant tout une ques­tion de société, une ques­tion de prox­im­ité. J’ai l’impression que par­fois cette ques­tion est très loin de la réal­ité con­crète. La diver­sité est quelque chose de per­ma­nent. La diver­sité, c’est aus­si essay­er de faire dis­paraître les tabous, les idées reçues, même si cela n’est pas facile. Ce que je suis est façon­né par mon envi­ron­nement qui n’est pas unique. J’ai ten­dance à dire que je suis une cer­taine forme de la diver­sité. La diver­sité est une quête quo­ti­di­enne. Il faut
la chercher, la réin­ven­ter. Ce qui est diver­sité ici peut ne pas l’être ailleurs. La diver­sité, ce n’est pas unique­ment met­tre des gens de racines et de couleurs dif­férentes les uns avec les autres. Ce n’est pas comme cela qu’on arrivera à faire de la diver­sité. La ques­tion de la diver­sité entraîne pour moi la ques­tion du ter­ri­toire. Dans mon tra­vail de choré­graphe à Bamako (Mali), je vais vers les publics frag­ilisés, invis­i­bles sur leur pro­pre ter­ri­toire. Nos dirigeants doivent se ren­dre compte que l’on doit pra­ti­quer la diver­sité. »

Salia Sanou, choré­graphe

« La ques­tion de la créa­tion artis­tique repose sur le réel. »

For­més au Burk­i­na Faso, Sey­dou Boro et Salia Sanou dansent ensem­ble dans les créa­tions de Mathilde Mon­nier et sig­nent leur pre­mière pièce en 1996. En 2006, ils fondent à Oua­gadougou La Ter­mi­tière, pre­mier Cen­tre de développe­ment choré­graphique en Afrique et organ­isent le fes­ti­val « Dia­logues du corps ». Depuis 2010, ils suiv­ent leurs pro­pres chemins et se retrou­vent régulière­ment autour de pro­jets com­muns. « J’aime dire que la danse est le meilleur passe­port pour tra­vers­er les ter­ri­toires et aller à la ren­con­tre de l’autre. Sey­dou Boro et moi avons tra­vail­lé pen­dant quinze ans avec Mathilde Mon­nier en France. Et, pen­dant quinze ans, nous avons gardé ce lien char­nel avec notre pays (le Burk­i­na Faso, ndrl), où nous avons créé une com­pag­nie ain­si qu’un cen­tre de développe­ment choré­graphique (La Ter­mi­tière, ndrl). Nous venons d’un ter­ri­toire où la danse est quelque chose de présent dans le quo­ti­di­en. Cepen­dant, pra­ti­quer la danse avec cet esprit d’ouverture de l’autre comme nous le faisons, n’existait pas ou très peu. Ce va-et-vient entre l’Europe et l’Afrique nous a con­stru­its. Ce dia­logue per­ma­nent entre notre pays d’origine et les ter­ri­toires qu’on a tra­ver­sés, a nour­ri notre démarche artis­tique. Aujourd’hui nous sommes fiers de ce par­cours. Désor­mais, le Burk­i­na Faso et plus générale­ment l’Afrique font par­tie du paysage choré­graphique mon­di­al.

La ques­tion de la créa­tion artis­tique repose sur le réel. La ques­tion de la diver­sité se pose avant tout en ter­mes de créa­tion artis­tique. Les for­mules telles que l’égalité des chances, la dis­crim­i­na­tion pos­i­tive ou le décloi­son­nement des arts, sont des for­mules très fran­co-français­es. Avec elles, on s’enlise tou­jours dans des débats et on oublie la ques­tion de l’œuvre. Être dans un ter­ri­toire et à la ren­con­tre de ce ter­ri­toire est quelque chose d’important, car cela per­met de se regarder dif­férem­ment. L’œuvre crée des dis­cus­sions et des ouver­tures. La diver­sité doit aus­si être dans les salles, dans le dia­logue instal­lé avec le pub­lic. »

Figninto – l’œil troué de Seydou Boro et Salia Sanou, Festival d’Avignon 2017. Photo Christophe Raynaud de Lage.
Fign­in­to – l’œil troué de Sey­dou Boro et Salia Sanou, Fes­ti­val d’Avignon 2017. Pho­to Christophe Ray­naud de Lage.

Sey­dou Boro, choré­graphe

« Com­ment peut-on penser que le théâtre ou la danse peu­vent con­tin­uer à exis­ter sans la diver­sité ? Il y a vingt ans, les artistes africains étaient invités dans des fes­ti­vals inter­na­tionaux, mais seule­ment dans le cadre de « Focus Afrique » Avec Salia Sanou, nous refu­sions de nous y ren­dre. Nous ne voulions pas être can­ton­nés à un espace. Nous voulions que l’on nous regarde comme des artistes, pas par rap­port à notre couleur de peau. »

Car­o­line Guiela Nguyen, met­teuse en scène

« Je ne peux pas con­cevoir le plateau sans altérité »

Après des études de soci­olo­gie et d’arts du spec­ta­cle, elle intè­gre le Con­ser­va­toire d’Avignon en 2004 puis le Théâtre nation­al de Stras­bourg en 2005. Elle fonde la com­pag­nie les Hommes Approx­i­mat­ifs en 2009 avec Claire Calvi, Alice Duchange, Juli­ette Kramer, Ben­jamin More­au, Mari­ette Navar­ro, Antoine Richard et Jérémie Papin. Depuis 2015, elle col­la­bore avec Joël Pom­mer­at et Jean Rui­mi à la créa­tion de spec­ta­cles à la Mai­son Cen­trale d’Arles. Elle est aujourd’hui asso­ciée à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, à la MC2 : Greno­ble et fait par­tie du col­lec­tif artis­tique de La Comédie de Valence, Cen­tre dra­ma­tique nation­al Drôme-Ardèche.

« C’est bien que l’on emploie l’expression de diver­sité cul­turelle, mais cette déf­i­ni­tion n’est pas com­plète. Effec­tive­ment, lorsque je par­le de diver­sité cul­turelle, j’entends aus­si la diver­sité sociale et la diver­sité géo­graphique. Il est urgent, pour le théâtre que l’on veut faire, de pren­dre con­science de la diver­sité cul­turelle. Évidem­ment, c’est humaine­ment, morale­ment et éthique­ment impor­tant. Mais il est temps que le théâtre s’enrichisse des gens qui con­stituent le monde dans lequel on vit. La diver­sité cul­turelle n’est pas qu’une ques­tion de représen­ta­tion.
Walt Dis­ney a très bien fait le tra­vail en créant une princesse noire, une princesse blanche et une princesse asi­a­tique. Pour autant, c’est tou­jours la même per­son­ne qui écrit le réc­it. La diver­sité cul­turelle est donc aus­si une ques­tion de mise en réc­it, d’imaginaire, de désir. Il faut gon­fler nos imag­i­naires du réel dans lequel on est. Je ne pour­rais même pas dire que cette ques­tion est avant tout une ques­tion poli­tique, même si elle l’est absol­u­ment dev­enue. C’est avant tout une néces­sité artis­tique. Je ne peux pas con­cevoir le plateau sans altérité, sans me dire qu’il est un espace dans lequel on crée du com­mun. Il y a une néces­sité à con­stru­ire du com­mun, à se met­tre autour de la table et échang­er avec des gens qui vien­nent d’ici et d’ailleurs. »

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Écrit par Sylvie Martin-Lahmani
Pro­fesseure asso­ciée à la Sor­bonne Nou­velle, Sylvie Mar­tin-Lah­mani s’intéresse à toutes les formes scéniques con­tem­po­raines. Par­ti­c­ulière­ment atten­tive aux...Plus d'info
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#133
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28 Mai 2017 — SÉLECTION PROPOSÉE PAR LAURENCE VAN GOETHEM Sam Touzani Je n’ai pas choisi la diversité, c’est la diversité qui m’a choisi.…

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