Extraits d’une lettre écrite par Philippe Blasband aux commanditaires de son spectacle LE TRAMWAY DES ENFANTS.
…JE VEUX mettre en scène moi-même. (Dans le cas de ce projet, pas mettre en scène seul, comme on le verra plus loin.)
Je suis bien conscient que ce n’est pas ce que vous envisagiez au départ, quand vous m’aviez fait cette commande. Ce n’est pas ce que j’envisageais moi-même, en fait.
J’ai changé, pendant toutes ces années, et je changerai encore. Pas beaucoup (à mon grand dam, je ne deviendrai ni un grand blond athlétique, ni une très jolie femme brune avec des yeux verts, une belle voix rauque, des problèmes de poids et une formation de médiatrice juridique) mais suffisamment changé pour que cela altère de manière significative ma façon de considérer Le projet pour lequel vous vous êtes réunis pour me commander une écriture.
Je me sens donc obligé, ici, d’ici vous réexposer le projet afin que vous ayez assez d’éléments en main pour, éventuellement, changer d’avis et l’abandonner.
Je comprendrais cet abandon mais je le déplorerais. Vous feriez une erreur, dont l’Histoire du théâtre belge et l’Histoire des artistes barbus forestois vous tiendront responsable. Mais bon, si vous voulez vraiment vous faire conspuer par la postérité, qui suis-je pour vous en empêcher ?
Ce projet a, pendant un temps, dans ma tête, porté un titre trop long, un titre poétique et sans doute trop poétique, mais un titre qui le résume parfaitement : LE TRAMWAY DES ENFANTS MORTS QU’ON OUBLIE PEU À PEU. (Je me suis rabattu, depuis, sur le titre, plus simple, du TRAMWAY DES ENFANTS.)
Dans cette pièce, des tramways (probablement invisibles pour les mortels) tournent sur le réseau de la STIB, la nuit. Dans ces trams, des fantômes d’enfants morts attendent que les vivants les oublient. Plus on les oublie, plus eux-mêmes s’oublient et plus leur langage se simplife.
Quand enfin plus personne ne se souvient d’eux, ces enfants peuvent descendre du tramway, et cesser d’exister. Même les autres enfants du tramway Les oublient.
Dans le tramway de notre pièce, se trouvent deux garçons et deux filles, dont les noms sont Danielle, Sylvie, Serge et Patrick, et un ange, au sexe évidemment indéfini, qui fait aussi office de conducteur (de wattman !) et qui annonce les arrêts. Ce sont les vrais arrêts de la STIB : pendant la pièce, ce tramway roulera d’un côté à l’autre de Bruxelles.
La pièce commence avec l’arrivée d’un enfant dans le tramway (cet enfant vient de mourir) et le départ d’un autre enfant du tramway (tout le monde a enfin oublié cet enfant ; il peut disparaître).
Il y aura, en plus, de part et d’autre de ce début et de cette fin, une sorte de prologue et une sorte d’épilogue, presque similaires, où les enfants jouent aux cartes (des cartes blanches ; un jeu aux règles fluctuantes et absurdes).
Entre ce début et cette fin, des moments, des tableaux, des micro-événements : l’un des enfants cherche un mot qui lui manque, un des enfants tombe amoureux d’un autre, l’ange explique son rôle au nouvel arrivant, etc.
Le seul lien narratif sera, justement, l’arrivée et l’adaptation de ce nouvel arrivant dans le tramway. Mais sinon, aucun fil narratif fort, aucun tendeur, aucun enjeu narratif : ce sont des enfants qui attendent ; nous attendons avec eux.
L’ordre des moments ne suivra pas une logique narrative mais une logique musicale, avec contrastes entre rythmes, motifs, énergies, etc.
Ce sera un spectacle mélancolique, triste, parfois absurde, parfois cruel, parfois drôle, mais avec toujours quelque chose de détaché — quelque chose de fantomatique.
Je m’étais un moment demandé quels comédiennes et comédiens pourraient jouer les enfants dans la pièce.