UNE AUBE BORAINE. Un matin on reprend parole.
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UNE AUBE BORAINE. Un matin on reprend parole.

Le 21 Jan 2015
Article publié pour le numéro
124 – 125
Article fraîchement numérisée
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TERRE D’ACCUEIL de plusieurs vagues d’im­mi­gra­tion, cœur de la révo­lu­tion indus­trielle, bras des pre­miers grands mou­ve­ments soci­aux de l’histoire belge, le Bori­nage est un ter­ri­toire de rêves et de désil­lu­sions.

Après avoir fait la richesse de la Bel­gique pen­dant deux siè­cles, la région peut sem­bler pour cer­tains aban­don­née, lais­sée à sa diver­sité et parsemée de hameaux-fan­tômes.

C’est là que Lorent Wan­son et toute son équipe du Théâtre Épique ont posé leurs valis­es.

Dans le cadre de Mons 2015, le met­teur en scène se lance dans une immer­sion sur trois années où l’élan, à nou­veau, est de don­ner la parole aux invis­i­bles (à l’in­star de CQFD, LES AMBASSADEURS DE L’OMBRE…). Mais cette fois, L’AUBE BORAINE n’est pas un spec­ta­cle. Elle n’est pas une longue récolte de matières pour écrire. Elle n’est défini­tive­ment pas un seul pro­jet. Elle est un véri­ta­ble ther­momètre d’une région.

Ate­liers, ren­con­tres, mis­es en con­tact, actions poéti­co-civiques et créa­tions mélan­gent les artistes et la pop­u­la­tion sans atten­dre un théâtre, une boîte noire ou même sou­vent, des répéti­tions.

Tout com­mence par une marche au print­emps 2013 où une quin­zaine de comé­di­ens par­tent sac à dos sur l’é­paule à la ren­con­tre des paysages hain­uy­ers. Pen­dant trois jours et avec soix­ante euros en poche, ils ren­con­trent les habi­tants, ils man­gent à leurs tables ou parta­gent avec eux une bière dans un café, ils dor­ment dans leurs maisons ou à même un ter­ril. Ils notent les anec­dotes, les accents, les colères aus­si et don­nent un ren­dez-vous : Char­bon­nage de Mar­casse, apéro-ren­con­tre pour pren­dre le temps et la parole. « Nous avons surtout ren­con­tré une soif de parole énorme, débor­dant des années de frus­tra­tion et de silence » racon­te Lorent Wan­son.

Lors de ces chaudes fins d’après-midi sur cet ancien site minier, le pub­lic d’habitués de Théâtre Épique, les Borains et les acteurs se retrou­vent pour une veil­lée joyeuse. D’abord voulue comme une resti­tu­tion de ce pre­mier voy­age, elle devient très vite un cer­cle impro­visé où cha­cun lit des poèmes, chantent des chan­sons pail­lardes, racon­tent des sou­venirs, parta­gent des let­tres, dansent.

Pour un spec­ta­teur extérieur à l’aven­ture de ces march­es, la puis­sance et l’é­mo­tion de cette prise de parole par les habi­tants mêlée aux regards de ces comé­di­ens sont frap­pantes. Et déjà le pro­jet pose toutes les ques­tions d’équili­bre entre l’ex­i­gence artis­tique et les témoignages réels, l’en­vie de liesse pop­u­laire et une dra­maturgie com­plexe, kaléi­do­scopique jusqu’au pub­lic à qui l’on s’adresse (par­ler du Bori­nage avec lui, à lui, aux autres, à soi ?). C’est dans ces pre­miers pas que l’on prend la mesure de l’entreprise, néces­saire­ment utopique, qu’est UNE AUBE BORAINE.

Théâtre Épique tisse depuis des liens directs et réguliers avec les citoyens, sans les oubli­er ou se faire oubli­er. Il faut être là sur le ter­rain, comme avec ces matchs de foot entre des acteurs et le RSC Wasmes (3 – 7), ce Cra-raoké géant (sorte de karaoké borain inven­té où l’on se con­fie en musique) ou les nom­breux apéro-amus­es- gueules-bar­be­cues-ren­con­tres.

En toute petite équipe et suiv­ie par un cer­cle de comé­di­ens d’une fois à l’autre com­plices, la com­pag­nie fait ce à quoi la déf­i­ni­tion d’un cen­tre cul­turel ren­voie. Elle crée, elle partage, elle va chercher, elle met en rela­tion.

La Mai­son du Peu­ple de Pâturages, où s’est Le plus naturelle­ment du monde instal­lé Théâtre Épique, est dev­enue le lieu d’un déli­cat mélange entre la fête de quarti­er, les veil­lées où l’on témoigne, une rési­dence d’artistes et une boîte de pro­duc­tion.

Car en effet, en marge et inspirés de ces nom­breux ren­dez-vous pop­u­laires, Lorent Wan­son a déjà mis en scène deux créa­tions ; PENSER AVEC LES MAINS (décem­bre 2013) et C’EST PRESQU’AU BOUT DU MONDE (juin 2014). L’un, théâtre d’action par­tic­i­patif sur l’ar­ti­sanat, l’autre, une fable poé­tique et musi­cale sur nos rêves et nos exils.

Julie Jaroszewski dans C'EST PRESQU'AU BOUT - DU MONDE, d'après la chanson YOUKALI de Kurt Weill et Roger Fernay, mise en scène Lorent Wanson, Festival au Carré 2014. Photo Francine Servranckx.
Julie Jaroszews­ki dans C’EST PRESQU’AU BOUT — DU MONDE, d’après la chan­son YOUKALI de Kurt Weill et Roger Fer­nay, mise en scène Lorent Wan­son, Fes­ti­val au Car­ré 2014. Pho­to Francine Servranckx.

Et là où il n’est pas à la manœu­vre, il accom­pa­gne en ser­vant de rampe de lance­ment à huit petites formes pour huit comé­di­ens. Avec les MONOGRAVIES, chaque acteur fait un portrait:celui de quidams ou de phénomènes, de folk­lores et de thé­ma­tiques qui inter­ro­gent la région. Après la pre­mière impul­sion, cer­tains artistes dévelop­pent même ces tableaux vivants hors du ter­ri­toire indépen­dam­ment et au nom de Théâtre Épique, à l’in­star de Denis Lau­jol et de son coureur cycliste quareg­non­nais qui fera l’objet d’une créa­tion la sai­son prochaine.

Toutes ces ini­tia­tives con­stru­isent un réseau d’ac­tions poé­tiques qui ten­dent à ce que Lorent appelle « un essai d’art con­tem­b­o­rain » où, dans un moment sus­pendu (UNE GRANDE AUBE…), l’artiste rendrait au Bori­nage ce qu’il lui a don­né avec un spec­ta­cle-témoignage. C’est foi­son­nant, c’est ten­tac­u­laire ! Il faut retenir de cette AUBE BORAINE qu’elle ne s’épuise pas et qu’elle s’acharne, qu’elle n’est pas un pro­jet mais un lieu, réel et imag­i­naire, où on refait la lumière et réin­scrit la pop­u­la­tion comme par­tie prenante de l’histoire en marche.

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Écrit par Meryl Moens
En 2011, après son diplôme en mise en scène à l’IN­SAS, Meryl Moens tra­vaille aux côtés de Pas­cale...Plus d'info
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