Réflexions sur le travail d’Agnès Limbos/Cie Gare centrale

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Réflexions sur le travail d’Agnès Limbos/Cie Gare centrale

Le 6 Jan 2023
Il n y a rien dans ma vie qui montre que je suis moche interieurement. Photo de Nicolas Meyer
Il n y a rien dans ma vie qui montre que je suis moche interieurement. Photo de Nicolas Meyer
Il n y a rien dans ma vie qui montre que je suis moche interieurement. Photo de Nicolas Meyer
Il n y a rien dans ma vie qui montre que je suis moche interieurement. Photo de Nicolas Meyer
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 148 - Arts vivants. Cirque marionnette espace public - Alternatives Théâtrales
148
  • A pro­pos de son écri­t­ure, par Karoli­na Svo­bodo­va
  • Autour de Il n’y a rien dans ma vie qui mon­tre que je suis moche intérieure­ment, par Eve­lyne Lecucq

Agnès Limbos : écrire pour et avec l’objet

Tan­dis qu’un auteur de texte choisit atten­tive­ment cha­cun de ses mots, soupèse les uns par rap­port aux autres, inter­roge leur sonorité et les pos­si­bil­ités inter­pré­ta­tives qu’ils offrent, dans le théâtre d’objets ce sont les objets eux-mêmes qui sont exam­inés et testés minu­tieuse­ment dans le cadre du réc­it à racon­ter. En effet, lors du tra­vail sur le plateau, les gestes rem­pla­cent pro­gres­sive­ment les mots, devenus redon­dants : « Il faut trou­ver l’objet qui résonne. Au lieu de dire : “Elle habitait dans un petit chalet en haut de la mon­tagne”, on met un chalet et c’est fait », explique Agnès Lim­bos à pro­pos de sa gram­maire objectuelle. 

Son écri­t­ure est donc d’abord une écri­t­ure de plateau : à par­tir des objets et des phras­es impro­visées, une dra­maturgie se des­sine. Elle se développe en par­al­lèle dans les cahiers que l’artiste rem­plit, les notes de recherche et les retran­scrip­tions des impro­vi­sa­tions. Une fois la matière accu­mulée, un tra­vail d’écriture à table développe la dra­maturgie amor­cée sur le plateau. Au bout du proces­sus créatif, un texte est pro­duit : la con­duite du spec­ta­cle. Doc­u­ment interne, doc­u­ment de tra­vail où sont con­signées toutes les actions et toutes les phras­es… quels sont le statut et le poten­tiel devenir d’un tel texte ? Pour­rait-il enrichir le réper­toire du théâtre d’objets, d’acteurs et de mar­i­on­nettes con­tem­po­rain ? 

La con­duite, texte de théâtre ? 

« Agnès avec per­ruque et man­teau de four­rure est assise à la table d’objet (la table-objet est une table en formi­ca, une table de cui­sine), elle attend le début de spec­ta­cle. Yan est assis à jardin, sur le côté, sur le tabouret adossé au mur. Agnès encoche le cas­set­to­phone, se lève avec son sac et rapi­de­ment sort, un temps d’arrêt, et puis ren­tre d’où elle est sor­tie, per­due, hagarde, elle déam­bule, d’abord direc­tion cour avec des arrêts sus­pendus puis revient tou­jours der­rière la bas­sine, revenant direc­tion à jardin, des regards. Elle a des regards vers Yan de temps en temps, avance trois pas. La voix (qui est une voix qui sort du cas­set­to­phone qui dit s’il vous plaît… » (Con­duite des pre­mières étapes de tra­vail de Il n’y a rien dans ma vie qui mon­tre que je suis moche intérieure­ment, avec Yan­nick Renier et Christophe Ser­met)

Alors qu’Agnès Lim­bos con­sid­ère que ce texte « ne va rien dire aux gens », il faut le rap­procher des scé­nar­ios édités lesquels, par les dia­logues, les descrip­tions des décors et des mou­ve­ments de caméra, invi­tent les lecteurs à « faire le film dans leur tête ». Le rap­proche­ment avec le ciné­ma n’est pas anodin : de fait, c’est bien au lan­gage ciné­matographique qu’Agnès Lim­bos a recours pour faire – et donc aus­si pour témoign­er de – son théâtre : « Moi je dis tou­jours le théâtre d’objets c’est une écri­t­ure ciné­matographique : on fait des séquences, on tra­vaille sur des sto­ry­boards, on crée des images… » 

Dans le cas des textes écrits en lien avec le plateau, on peut se deman­der com­ment ils pour­raient réson­ner indépen­dam­ment des images scéniques : sont-ils assez forts, assez intéres­sants, assez ouverts pour sus­citer d’autres inter­pré­ta­tions et adap­ta­tions ? Et si la pub­li­ca­tion devait avoir lieu, sous quelles formes ces textes pour­raient-ils être édités ? 

À ces ques­tions, citons, pour ouvrir la réflex­ion, la réponse apportée par le fon­da­teur et directeur des édi­tions Lans­man (mai­son d’édition spé­cial­isée dans les textes dra­ma­tiques1) à Agnès Lim­bos qui lui demandait pourquoi il ne lui avait jamais pro­posé de pub­li­er un de ses textes : « Il y a beau­coup trop de silences. Il y a beau­coup trop de pages blanch­es, avec toi ce n’est pas pos­si­ble. »

Ressacs_Photo de Christophe-Sermet
Ressacs_Photo de Christophe-Ser­met

Compagnie Gare centrale – Il n’y a rien dans ma vie qui montre que je suis moche intérieurement

Eve­lyne Lecucq

Alors que le pub­lic s’installe dans la salle, sur la scène, des bras désar­tic­ulés sont déjà sor­tis d’un vête­ment de four­rure informe et s’étalent, inertes sur le sol. On ne dis­tingue pas de quoi ou de qui il s’agit. Pas de vis­age, pas d’identité, mais le spec­ta­teur peut établir un lien entre cette masse de poils et la grosse souche de bois placée plus loin à cour. Il y a du sauvage dans l’air. En con­traste, côté jardin, une table de Formi­ca blanche accom­pa­g­née d’un meu­ble de range­ment installe l’intimité du foy­er, ce quo­ti­di­en immac­ulé – à tou­jours scrupuleuse­ment net­toy­er – que la société vend aux femmes. Autre vio­lence per­cep­ti­ble, celle du con­di­tion­nement. Le décor est posé, la per­son­ne au sol peut se relever, titubante, en état de choc, pour nous entraîn­er dans l’observation du spec­ta­cle d’un cauchemar civil­isé, le fémini­cide. 

La com­pag­nie Gare cen­trale tra­vaille en pein­tre. Par touch­es d’objets dans l’espace, elle nous donne à voir l’enchâssement de sit­u­a­tions assas­sines depuis la nuit des con­tes. 

Il y a égale­ment du Buster Keaton chez Agnès Lim­bos. Ce même tal­ent pour incar­n­er le trag­ique en tra­ver­sant l’absurdité avec l’impassibilité d’une hor­loge et pour faire sourire le spec­ta­teur en guise d’ultime sur­sis avant de le saisir d’effroi. Le théâtre d’objets comme art du décalage pour mieux attein­dre la cible.

Baby-McBeth©Alice Piemme
Baby-McBeth©Alice Piemme

Vous pou­vez voir Il n’y a rien dans ma vie…, au Théâtre Mouf­fe­tard du 10 au 19 jan­vi­er 2023.


  1. http://www.lansman.be/editions/index.php ↩︎
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Karolina Svobodova
Karolina Svobodova est chercheuse postdoctorale à l’Université libre de Bruxelles. Après avoir réalisé une thèse...Plus d'info
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