“Blind Runner” d’Amir Rezâ Koohestâni

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“Blind Runner” d’Amir Rezâ Koohestâni

Le 9 Oct 2023
Blind-Runner, Amir Reza Koohestâni
BLIND RUNNER / Amir Koohestani, photo de Benjamin Krieg
Blind-Runner, Amir Reza Koohestâni
BLIND RUNNER / Amir Koohestani, photo de Benjamin Krieg
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 132 - Lettres persanes et scènes d'Iran
132

« Regarder dans les yeux de celui qui regarde son monde s’effondrer » : sur Ivanov d’Amir Rezâ Koohestâni, Téhéran, octo­bre 2011. 

Moham­madamin Zamani

Nous vous invi­tons à décou­vrir Blind Run­ner au théâtre de la Bastille, avec le Fes­ti­val d’Automne à Paris, et à lire ou relire deux arti­cles con­sacrés à Amir Rezâ Koohestâni, dans un N° spé­cial con­sacré à la scène per­sane, vue d’Europe et vue d’Iran.

BLIND RUNNER / Amir Koohestani, photo de Benjamin Krieg
BLIND RUNNER / Amir Koohes­tani, pho­to de Ben­jamin Krieg

Regards croisés pro­posés par Moham­madamin Zamani (doc­teur en Arts du spec­ta­cle à l’Université Libre de Bel­gique, ULB) et par Joëlle Cham­bon (maître de con­férences en Études théâ­trales à l’U­ni­ver­sité Mont­pel­li­er 3), pub­liés dans Let­tres per­sanes et scènes d’Iran, N° 132, d’Alternatives théâ­trales, 2017.

Ivanov, une réécri­t­ure libre à par­tir d’Ivanov de Tchekhov, est une excep­tion impor­tante dans la car­rière d’Amir Reza Koohes­tani, le met­teur en scène et dra­maturge iranien le plus vu et appré­cié en Europe. Il l’a mis en scène, pour la pre­mière fois, en octo­bre 2011 dans la salle de « Naz­erzadeh Ker­mani » du théâtre d’Iranshahr à Téhéran. D’abord, c’est la pre­mière et, jusqu’à aujourd’hui, la dernière adap­ta­tion de Koohes­tani à par­tir d’un clas­sique. Ensuite, c’est sa seule créa­tion où il y a un héros ou, plutôt, un anti-héros à l’image des héros trag­iques clas­siques ou mod­ernes. L’artiste iranien s’est ain­si mis au défi d’appliquer son style min­i­mal­iste dans l’écriture et la mise en scène à une longue pièce tchekhovi­enne à qua­tre actes plein de per­son­nages. Et enfin, il a été obligé d’enlever de son spec­ta­cle toute expres­sion man­i­feste de ses préoc­cu­pa­tions sociales et poli­tiques, tou­jours vis­i­bles dans ses créa­tions précé­dentes et suiv­antes. 

Or, dans le con­texte sociopoli­tique de Téhéran de 2011, tou­jours sous le choc des émeutes et des répres­sions après les élec­tions prési­den­tielles con­testées de 2009, l’anti-héros tchekhovien est reçu par le pub­lic et les cri­tiques comme une image reflé­tant l’état d’esprit de la classe moyenne irani­enne. Déçue, trau­ma­tisée et paralysée, celle-ci cher­chait dés­espéré­ment un échap­pa­toire de l’impasse sociale et poli­tique dans laque­lle elle était coincée. Ivanov est alors dev­enue, prob­a­ble­ment con­tre toute attente de la part de son créa­teur, l’une de ses œuvres les plus poli­tisées, si ce n’est la plus poli­tisée. Néan­moins, sa récep­tion en Europe fut qua­si­ment dépourvue de ses con­no­ta­tions sociales et poli­tiques con­textuelles ; on n’en retir­era que l’image poignante de « l’ennui, de la frus­tra­tion et du dés­abuse­ment » de l’homme de notre temps post­mod­erne. (Vil­liger Heilig, B. Neue Züch­er Zeitung NZZ. Août 2014). 

L’identification avec Ivanov de la part des spec­ta­teurs et cri­tiques iraniens en 2011 mon­tre égale­ment que le suc­cès de Koohes­tani dans son pays est d’une tout autre nature que le suc­cès ren­con­tré au niveau inter­na­tion­al. Il est surtout trib­u­taire du vécu social et poli­tique du pub­lic iranien. Ce vécu provient de la vie quo­ti­di­enne de la classe moyenne dans les grandes villes. Une quo­ti­di­en­neté qui est inces­sam­ment agitée voire totale­ment boulever­sée par les tour­nants soci­aux et poli­tiques tels que le Mou­ve­ment des Réformes (1997 – 2005), les man­i­fes­ta­tions des étu­di­ants en 1999 et 2003, la répres­sion des intel­lectuels en 1998, la prise de pou­voir des extrémistes en 2005, le Mou­ve­ment Vert en 2009, etc. 

BLIND RUNNER / AMIR KOOHESTANI
Ivanov d’après Tchekhov, adap­ta­tion anglaise de David Hare, mise en scène Amir Rezâ Koohestâni, Mehr The­atre Group, Iran­shahr Hall, Téhéran, 2011. Pho­to Mani Lot­fizadeh.

Six ans après sa créa­tion, un retour sur Ivanov s’imposait dans le cadre d’un dossier sur Koohes­tani. Bien qu’étant une adap­ta­tion, il est l’exemple par excel­lence de ce qu’il y a d’« iranien » dans son œuvre : la représen­ta­tion à la fois réal­iste (et même nat­u­ral­iste à force de soulign­er les menus détails) et min­i­mal­iste (par­fois jusqu’à l’abstraction) de la vie quo­ti­di­enne tumultueuse de la classe moyenne irani­enne. 

Dans ce qui suit, je m’appuierai sur des témoignages tant oraux qu’écrits, des entre­tiens sur les deux représen­ta­tions en octo­bre 2011 et sa reprise en août 2016 à Téhéran, la toute pre­mière ver­sion du texte écrite par Koohes­tani au cours des répéti­tions, la ver­sion finale qui ver­ra de petits change­ments sur la scène et, enfin, la cap­ta­tion vidéo disponible de la représen­ta­tion de 2011. L’objectif est de retrac­er la créa­tion et la récep­tion d’Ivanov en Iran afin de mon­tr­er com­ment il se fait que « Tchekhov puisse devenir tout d’un coup poli­tique­ment si dan­gereux » ? (Koohes­tani dans un entre­tien avec Ati­la Pes­siani, Shargh, août 2016, n° 2670).

S’approprier un clas­sique

Avec son Où étais-tu le 8 jan­vi­er ? inspiré directe­ment de l’état d’effervescence à Téhéran pen­dant les man­i­fes­ta­tions postélec­torales, Koohes­tani s’était attiré des remar­ques de la part des autorités sur ses textes. Il décide alors de mon­ter un Tchekhov « pour se cacher der­rière, croy­ant que c’est un auteur tou­jours jouable partout, quelle que soit la sit­u­a­tion sociale et poli­tique ! » (Ibid.). Il se met donc au défi de réécrire Ivanov de manière à pou­voir le mon­ter de façon per­ti­nente dans la Téhéran de 2011. 

Une com­para­i­son entre la pre­mière ver­sion du texte écrite au cours des répéti­tions et la ver­sion finale fait décou­vrir quelques points sig­ni­fi­cat­ifs. La pre­mière tente de localis­er l’histoire et les per­son­nages à Téhéran entre 2009 et 2011. Il y a des références récur­rentes et man­i­festes à la réal­ité con­tem­po­raine, à ce qui se pas­sait et aux dis­cus­sions des gens pen­dant cette péri­ode-là dans les rues de la cap­i­tale irani­enne. 

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Sylvie Martin-Lahmani
Professeure associée à la Sorbonne Nouvelle, Sylvie Martin-Lahmani s’intéresse à toutes les formes scéniques contemporaines....Plus d'info
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