Entre greffes et réécritures tchekhoviennes

Compte rendu

Entre greffes et réécritures tchekhoviennes

Le 11 Mar 2016
LA MOUETTE Mise en scène Thomas Ostermeier. Photo © Arno Declair.
LA MOUETTE Mise en scène Thomas Ostermeier. Photo © Arno Declair.
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Thomas Oster­meier s’est imposé comme l’artiste à même de ramen­er à la moder­nité les pièces d’Ib­sen aux­quelles il a fait subir un traite­ment par­ti­c­uli­er, aus­si bien au niveau du traite­ment scénique que textuel. Pour La Mou­ette dont il vient d’y avoir la pre­mière au Théâtre Vidy — Lau­sanne, il opte pour un procédé sim­i­laire sans qu’il trou­ve, à mon avis, une même per­ti­nence. Il intè­gre les références les plus immé­di­ates de notre actu­al­ité —  la Syrie, les migrants — en opérant des inser­tions qui visent, évidem­ment, à rap­procher l’oeu­vre du con­texte con­tem­po­rain. Mais ce qui dans le cas d’Ib­sen pre­nait le sens d’un véri­ta­ble rat­tache­ment au présent, se réduit ici à une opéra­tion de rafis­to­lage sans une égale per­ti­nence. La greffe reste extérieure et, de la salle, je fais le con­stat de son rejet. Si l’oeu­vre de Tchekhov per­met peut-être des coupes qui rac­cour­cis­sent cer­tains dis­cours, elle sem­ble réfrac­taire à ces rajouts qui, c’est fla­grant, souhait­ent dis­simuler la dis­tance qui nous sépare de la sit­u­a­tion présen­tée. Par ailleurs, Tchekhov, qui se dis­tingue par une pré­ci­sion toute par­ti­c­ulière des textes et une économie unique de l’écri­t­ure, ne sem­ble pas être prop­ice à un tel mix­age : les rajouts vien­nent d’ailleurs, d’un autre auteur, d’un « répara­teur » de pas­sage… Ici on asso­cie la préser­va­tion con­séquente du matéri­au d’o­rig­ine et, de l’autre côté, on procède à l’in­sémi­na­tion dis­per­sée des infor­ma­tions actuelles. L’hy­bri­da­tion reste de façade.

Cette réserve ne con­cerne pas toutes les pièces du réper­toire — et Oster­meier l’a démon­tré — mais cette fois-ci elle m’a sem­blé être dérangeante. Inap­pro­priée. Moi, je n’ai jamais aimé « les mous­tach­es » ajoutées à la Joconde.

Aux greffes d’Oster­meier on peut préfér­er la rad­i­cal­ité de l’artiste brésili­enne Chris­tiane Jatahy qui pro­pose une réécri­t­ure inté­grale des Trois Soeurs à par­tir du motif cen­tral du texte : la quête de ce lieu utopique, sauveur et inat­teignable qu’est Moscou. Ce par­adis per­du qu’elles voudraient dés­espéré­ment réin­té­gr­er. Le texte sert de référence pre­mière, tout en ayant per­du sa matéri­al­ité lit­téraire pro­pre : il s’ag­it d’une « écri­t­ure de plateau » inspirée par Tchekhov. Et, moi, je l’avoue, je préfère, aux greffes occa­sion­nelles, voire super­fi­cielles de La Mou­ette, la rad­i­cal­ité du What if they went to Moscow qui réclame un autre jeu, entraîne une dis­tri­b­u­tion mod­i­fiée, pro­pose des sit­u­a­tions dif­férentes. L’oeu­vre ini­tiale ne per­siste qu’en tant que sou­venir pre­mier, référen­tiel ; son écho ne meurt pas et il parvient jusqu’à nous telle une réver­béra­tion loin­taine…

Daniel Veronese, il y a quelques années, a procédé à des inter­ven­tions sur des textes de Tchekhov, en con­cen­trant les oeu­vres qui sem­blaient alors à des « têtes réduites » car, de même que dans les opéra­tions rit­uelles africaines, on recon­nais­sait les traits de l’oeu­vre sur fond de den­si­fi­ca­tion max­i­male du texte. Actuelle­ment au Théâtre Pan­Ta on rejoue la ver­sion Veronese de l’Oncle Vania (mise en scène Guy Delam­otte) — com­bi­en je regrette de ne pas l’avoir vue.

Par con­tre, com­ment ne pas évo­quer ici la décep­tion de la Ceri­saie signée par TgStan — l’adap­ta­tion du texte d’une sim­plic­ité con­fon­dante fai­sait penser à un « Tchekhov pour les nuls » pareil à « L’or­di­na­teur pour les nuls » qui se trou­ve dans la prox­im­ité de mon bureau.

Paru récemment : Tchekhov, par Georges Banu, Collection "Le théâtre de...", éd. Ides et Calendes, Lausanne, 2016
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Georges Banu
Écrivain, essayiste et universitaire, Georges Banu a publié de nombreux ouvrages sur le théâtre, dont...Plus d'info
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