La présence de l’enfant sur scène pose des questions à la fois pédagogiques, artistiques et symboliques : que signifie jouer dès le plus jeune âge, et comment l’apprentissage de la discipline et du geste scénique s’articule-t-il avec la représentation de l’enfance elle-même ? Pour approfondir la réflexion sur la place de l’enfant sur scène et sur les méthodes pédagogiques du National Taiwan College of Performing Arts (NTCPA), nous avons décidé d’interviewer Audia Lin Shean Yuan, acteur et pédagogue, responsable des programmes d’innovation scientifique au sein de l’école et chargé des relations internationales.

Avec un groupe de dix étudiant·e·s du département Théâtre de l’université Paris‑8, j’ai eu l’occasion de vivre cette réalité, à Taipei, au National Taiwan College of Performing Arts (NTCPA), l’une des plus grandes institutions dédiées aux arts traditionnels chinois : nous nous y sommes rendus en juin 2025, pendant deux semaines, afin de réaliser un séjour de découverte du xiqu (ensemble des formes spectaculaires connues en Occident sous le terme d’ « opéra chinois »). Sur le même campus que les enfants (ils s’y forment dès l’âge de 9 ans), nous avons partagé non seulement les cours et la scène, mais aussi les dortoirs et le réfectoire, expérimentant ainsi une immersion complète dans le quotidien artistique et pédagogique de l’école.
Le NTCPA fonctionne comme un internat : les étudiants y vivent en permanence. En effet, ils dorment sur place, prennent leurs repas à la cantine et suivent un emploi du temps très structuré. L’observation et le partage de leur vie quotidienne nous ont fait découvrir une culture basée sur la discipline et la régularité, celles-ci imprégnant chaque aspect de la formation. Témoins de l’intérieur des méthodes rigoureuses du NTCPA (de l’acrobatie au chant en passant par la danse et le maquillage), nous avons observé comment la présence de l’enfant sur scène est conçue, encadrée et valorisée dans une tradition scénique hautement codifiée. Cette présence permet également une réflexion sur les rapports entre formation, discipline et symbolique de l’enfance dans le théâtre chinois, ainsi que sur la manière dont ces pratiques nourrissent la créativité et l’ouverture interculturelle des jeunes artistes.
Pour commencer, pourriez-vous nous présenter brièvement la mission du NTCPA et la place accordée aux enfants dans votre école de théâtre ?
La mission du National Taiwan College of Performing Arts (NTCPA) est de préserver et de transmettre les arts du spectacle traditionnels de Chine et de Taïwan, tout en formant une nouvelle génération de talents dotés d’une vision contemporaine. L’éducation des enfants est au cœur de cette mission, car les compétences fondamentales du xiqu doivent être établies dès le plus jeune âge. Les enfants ne sont pas seulement des élèves, ils sont l’incarnation concrète de la continuité de cette tradition.

À partir de quel âge les élèves commencent-ils leur formation, et comment leur sélection s’opère-t-elle ?
La plupart des étudiants démarrent leur formation vers l’âge de 12 ans, bien que certains intègrent l’école dès l’âge de 9 ans. L’admission se fait principalement par concours, avec des épreuves de compétences professionnelles et des entretiens. Ces derniers évaluent les aptitudes physiques, le sens musical, la capacité d’imitation et le potentiel scénique des enfants. Nous recherchons des enfants passionnés et capables de s’adapter à une formation de longue durée.
Quelles sont les qualités ou spécificités que vous recherchez lors de la sélection des enfants pour votre école ?
Au-delà des conditions physiques de base, nous attachons de l’importance à la concentration, à la capacité d’imitation, à l’engagement face à l’apprentissage, et à la faculté de coopérer dans la vie de groupe. Le xiqu ne repose pas uniquement sur la technique individuelle ; il est fondamentalement un art collectif.

Comment leur parcours d’études est-il structuré ? Y a‑t-il d’abord une formation commune, puis une spécialisation disciplinaire ?
Dans les classes inférieures, les étudiants reçoivent une formation commune de base comprenant le mouvement, le chant, les techniques martiales et la théorie musicale. Une fois ces fondations acquises, ils sont orientés vers des rôles spécifiques selon leurs talents et leurs intérêts – tels que sheng (rôles masculins), dan (rôles féminins), jing (rôles à visage peint), chou (rôles de clown) – ou vers différents genres théâtraux, comme le jingju (opéra de Pékin), le gezaixi (opéra taïwanais) ou le kejiaxi (opéra hakka).
Vous avez également commencé votre formation étant enfant, mais vous n’avez pas fréquenté le NTCPA. Comment avez-vous vécu vos premières années de formation et votre initiation au jeu ?
Mon parcours a été différent de celui des étudiants du NTCPA, mais j’ai, moi aussi, suivi un entraînement rigoureux dès mon plus jeune âge. Contrairement à l’emploi du temps structuré de l’école, j’avais davantage de flexibilité et de temps libre pour un apprentissage autonome, car je n’étais pas en internat. J’ai été formé auprès de maîtres individuels, selon le système traditionnel de « maître-disciple », ce qui permettait un enseignement personnalisé, plus rare dans un cadre scolaire. Une autre différence est que j’ai étudié le jeu en travesti (qiandan, rôle d’imitation féminine dans le xiqu). À l’époque, ce type de formation était découragé, voire interdit, dans les écoles officielles, notamment pour les rôles masculins jouant des femmes. Même si je n’ai pas fréquenté le NTCPA (alors appelé National Fu-Hsing Dramatic Arts Experimental School), mes maîtres y enseignaient également, et je jouais souvent avec des élèves de mon âge. Cela m’a donné un sens aigu de la discipline et de la sensibilité scénique. Bien que difficile, la mémoire corporelle et l’intuition artistique développées très tôt ont constitué une base essentielle pour ma carrière ultérieure de comédien professionnel.


