Médée à Beyrouth
Entretien
Théâtre

Médée à Beyrouth

Entretien avec Hanane Hajj Ali

Le 8 Déc 2025
Jogging, conception, écriture et performance par Hanan Hajj Jali, mise en scène d’Eric Deniaud, Beyrouth, 2016 © Marwan Tahtah
Jogging, conception, écriture et performance par Hanan Hajj Jali, mise en scène d’Eric Deniaud, Beyrouth, 2016 © Marwan Tahtah

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Jogging, conception, écriture et performance par Hanan Hajj Jali, mise en scène d’Eric Deniaud, Beyrouth, 2016 © Marwan Tahtah
Jogging, conception, écriture et performance par Hanan Hajj Jali, mise en scène d’Eric Deniaud, Beyrouth, 2016 © Marwan Tahtah
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Cachée dans des abris pen­dant la guerre du Liban (1975 – 1990),  Hanane Hajj Ali com­mence le théâtre pour aider les autres à vain­cre leur peur. Depuis, cette comé­di­enne, autrice et chercheuse, l’un des grands noms du théâtre libanais, pra­tique un théâtre poli­tique pen­sé pour ceux dont on n’entend jamais la voix. Créé en 2013, emblême de son par­cours, Jog­ging1 est une réécri­t­ure con­tem­po­raine de Médée. Véri­ta­ble plongée dans la vie de trois mères con­fron­tées à l’infanticide au Liban, ce mono­logue a été joué par Hanane Hajj Ali dans le monde entier. 

Com­ment est né Jog­ging ?

Jogging, conception, écriture et performance par Hanan Hajj Jali, mise en scène d’Eric Deniaud, Beyrouth, 2016 © Marwan Tahtah
Jog­ging, con­cep­tion, écri­t­ure et per­for­mance par Hanan Hajj Jali, mise en scène d’Eric Deni­aud, Bey­routh, 2016 © Mar­wan Tah­tah

Je fai­sais du jog­ging dans Bey­routh tous les matins depuis des années. Mes rêver­ies étaient très divers­es et, quand je ren­trais chez moi, je les écrivais. Ces notes ont d’abord don­né une pre­mière ver­sion du spec­ta­cle, qui a été joué en ville, et sur un tapis de course. C’était à l’initiative du col­lec­tif Khahra­ba, pour un très beau fes­ti­val d’art de rue, « Les Voisins et la Lune » (d’après le titre d’une chan­son de Fay­rouz, ndlr), qui implique toute la com­mu­nauté artis­tique de Bey­routh. Suite à cela, j’ai été invitée en Bel­gique afin de tra­vailler cette pre­mière ver­sion, pour laque­lle j’avais col­laboré avec Abdal­lah el-Kafrieh à la dra­maturgie et Éric Deni­aud comme regard extérieur. Je voulais écrire cette pièce à la fois en tant que mère-citoyenne et comé­di­enne. Je tenais égale­ment à la jouer dans des camps de réfugiés, dans les cam­pagnes et dans tous les lieux où il y a rarement du spec­ta­cle. J’ai tou­jours revendiqué l’abolition de la cen­sure, la décen­tral­i­sa­tion théâ­trale et la démoc­ra­ti­sa­tion de la cul­ture. Cela néces­si­tait donc un dis­posi­tif léger. Je me suis débar­rassée de la machine à courir, qui était trop encom­brante, et j’ai choisi  le dénue­ment, l’espace vide dont par­le Peter Brook. La scéno­gra­phie est évo­ca­trice et sculp­tée par la lumière. Je voulais aus­si ce spec­ta­cle comme une ago­ra où le comé­di­en, avec son dis­cours et son imag­i­naire, puisse être en rap­port organique avec l’audience. Mais aus­si l’abolition de la cen­sure, avec un spec­ta­cle où il faudrait avoir le courage de touch­er aux tabous majeurs du Liban : la poli­tique, le sexe et la reli­gion. 

Une mère libanaise y envis­age d’étouffer son fils, rav­agé par la douleur causée par son can­cer. Une autre empoi­sonne ses filles en leur faisant manger un gâteau cuis­iné avec de la mort-aux-rats. Com­ment ces fig­ures de Médée sont-elles nées ? 

Jogging, conception, écriture et performance par Hanan Hajj Jali, mise en scène d’Eric Deniaud, Beyrouth, 2016 © Marwan Tahtah
Jog­ging, con­cep­tion, écri­t­ure et per­for­mance par Hanan Hajj Jali, mise en scène d’Eric Deni­aud, Bey­routh, 2016 © Mar­wan Tah­tah

Elles sont arrivées pen­dant mes jog­gings et plus tard, durant mes recherch­es. La pre­mière Médée, c’est mon his­toire :  elle est née pen­dant la mal­adie de mon fils. Il avait 7 ans, il était atteint d’un can­cer dont le pour­cent­age de guéri­son était très min­ime, et qui lui cau­sait des douleurs épou­vanta­bles. Nous sommes entrés un jour à l’hôpital pour ne plus en sor­tir… Mes amis me pous­saient à repren­dre le théâtre et à courir pour trou­ver la force de résis­ter… Une fois, il souf­frait telle­ment qu’il m’a demandé de lui couper la main… Un jour, tan­dis que je courais,  j’ai rêvé que je l’étouffais pour qu’il cesse de souf­frir. Cette pen­sée m’a tétanisée, je suis restée clouée au sol. Tuer mon pro­pre fils ? Oui, mais par amour. Dev­enue Médée en rêve, je me suis demandé com­bi­en il pou­vait y avoir de Médée autour de moi. J’ai fait des recherch­es et j’ai vu toutes les adap­ta­tions de Médée pos­si­bles. J’ai notam­ment été très mar­quée par celles de Lars Von Tri­er et de Pasoli­ni, même si je pense que, si Euripi­de avait vécu à l’époque de Pasoli­ni, il l’aurait tué pour avoir écrit un scé­nario aus­si « merdique » ! Bien sûr, j’ai aus­si été très mar­quée par le texte d’Euripide, et  par l’interprétation de Valérie Dréville dans Médée-matéri­au de Hein­er Müller, ça, c’est indé­pass­able. Je le racon­te d’ailleurs aux spec­ta­teurs au début du spec­ta­cle : je n’oserai jamais imag­in­er la dépass­er. Mais « mes » Médée sont de vraies Médée, à par­tir desquelles j’ai écrit et imag­iné cette pièce, dont  mon his­toire avec mon fils. J’y ai inséré des choses irréelles. 

  1. Jog­ging est un spec­ta­cle nomade : la pre­mière de ce mono­logue a eu lieu dans la salle d’ex­po­si­tion Saleh Barakat à Bey­routh, suiv­ie d’une série de per­for­mances à l’e­space STATION, puis dans plusieurs espaces, théâtres, villes, vil­lages et camps du Liban ↩︎

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Photo de Marjorie Bertin, Crédit Anthony Ravera RFI
Écrit par Marjorie Bertin
Doc­teur en Études théâ­trales, enseignante et chercheuse à la Sor­bonne-Nou­velle, Mar­jorie Bertin est égale­ment jour­nal­iste à RFI et au...Plus d'info
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