Quand des enfants se perdent dans les musées de l’opéra

Quand des enfants se perdent dans les musées de l’opéra

Orlando de Haendel par Jeanne Desoubeaux

Le 8 Déc 2025
Orlando, un opéra de G.F. Haendel. Mise en scène de Jeanne Desoubeaux. Direction musicale de Christophe Rousset. 2025, Théâtre du Châtelet © Thomas Amouroux
Orlando, un opéra de G.F. Haendel. Mise en scène de Jeanne Desoubeaux. Direction musicale de Christophe Rousset. 2025, Théâtre du Châtelet © Thomas Amouroux

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Orlando, un opéra de G.F. Haendel. Mise en scène de Jeanne Desoubeaux. Direction musicale de Christophe Rousset. 2025, Théâtre du Châtelet © Thomas Amouroux
Orlando, un opéra de G.F. Haendel. Mise en scène de Jeanne Desoubeaux. Direction musicale de Christophe Rousset. 2025, Théâtre du Châtelet © Thomas Amouroux
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Il existe un impératif auquel tous les théâtres lyriques sont soumis désor­mais : renou­vel­er le pub­lic des opéras, et donc s’adresser aux plus jeunes. Les moyens ten­tés pour y arriv­er exis­tent et se renou­vel­lent incon­testable­ment. Mais il reste une évi­dence : le réper­toire lyrique, auquel il faudrait pré­par­er le jeune pub­lic, n’est pas vrai­ment fait pour eux. Dès lors, com­ment et pourquoi les men­er vers ce réper­toire ? Com­ment vivent-ils la ren­con­tre lorsqu’elle a lieu, générale­ment par la cul­ture famil­iale, par­fois dans le cadre sco­laire ? Et au-delà de ces fac­teurs socio-cul­turels, com­ment s’opère l’alchimie intime qui per­met de pénétr­er dans ces his­toires d’adultes ? Que vont-ils en con­serv­er une fois qu’ils auront atteint l’âge de choisir libre­ment leurs loisirs ?

Orlando, un opéra de G.F. Haendel. Mise en scène de Jeanne Desoubeaux. Direction musicale de Christophe Rousset. 2025, Théâtre du Châtelet © Thomas Amouroux
Orlan­do, un opéra de G.F. Haen­del. Mise en scène de Jeanne Des­oubeaux. Direc­tion musi­cale de Christophe Rous­set. 2025, Théâtre du Châtelet © Thomas Amouroux

La mise en scène d’Orlan­do de Haen­del, réal­isée par Jeanne Des­oubeaux et son équipe au Théâtre du Châtelet (jan­vi­er 2025), explore quelques-unes de ces ques­tions sans réponse – alors même que ce n’était pas du tout dans son cahi­er des charges. Pour dire les choses sim­ple­ment : les sit­u­a­tions et la musique d’Orlan­do (1733) sont à des années-lumière des intérêts des enfants. De plus, elles sont peu « jouantes », pour repren­dre une for­mule de Jeanne Des­oubeaux, que j’ai inter­rogée quelques semaines après le spec­ta­cle1. Le sujet, basé sur un matéri­au romanesque extrême­ment riche de la fin du Moyen Âge et de la Renais­sance, est celui de la folie amoureuse, avec des his­toires d’amour entremêlées. Quant à la par­ti­tion, d’une grande beauté orches­trale2, elle a été com­posée pour des voix dont cer­taines n’existent plus aujourd’hui (les cas­trats), de sorte que les qua­tre per­son­nages prin­ci­paux (Angel­i­ca et Dorin­da, mais aus­si Medoro et Orlan­do) peu­vent être joués par des femmes3. Il n’y a donc pas de vraisem­blance vocale. L’œuvre porte de sur­croît un héritage com­plexe, dans sa façon de racon­ter la con­fronta­tion de l’Europe avec « l’Orient », les Croisades, et de met­tre en scène la Terre, la nature, en don­nant à pressen­tir quelque chose comme la fin de l’unité du monde. À tous points de vue, on est donc dans une sorte de musée de la cul­ture occi­den­tale avec Orlan­do

Orlando, un opéra de G.F. Haendel. Mise en scène de Jeanne Desoubeaux. Direction musicale de Christophe Rousset. 2025, Théâtre du Châtelet © Thomas Amouroux
Orlan­do, un opéra de G.F. Haen­del. Mise en scène de Jeanne Des­oubeaux. Direc­tion musi­cale de Christophe Rous­set. 2025, Théâtre du Châtelet © Thomas Amouroux

Or les musées de notre époque ne sont pas (plus) des taber­na­cles d’œuvres sous clé. Ce sont des lieux vivants, fréquen­tés par des mil­lions de vis­i­teurs – dont cer­tains n’auraient jamais l’idée d’entrer dans un théâtre ou un opéra. La vis­ite au musée, pop­u­lar­isée par le tourisme de masse, fait par­tie d’une cul­ture très large­ment partagée. La galerie de por­traits, de même, est entrée dans la cul­ture pop­u­laire, par les jeux, la série, etc. Le pro­jet de Des­oubeaux con­sis­tait à met­tre en scène Orlan­do comme un musée, fréquen­té par une classe de jeunes accom­pa­g­nés par leurs pro­fesseurs. Que se passe-t-il dans leur tête ? Quelles sont les inter­ac­tions qui s’établissent entre ce qu’ils voient et ce qu’ils vivent ? Entre le plan de la fic­tion anci­enne et celui de leur réal­ité ? Entre les généra­tions ? Entre les styles ? Entre les imag­i­naires ? 

Orlando, un opéra de G.F. Haendel. Mise en scène de Jeanne Desoubeaux. Direction musicale de Christophe Rousset. 2025, Théâtre du Châtelet © Thomas Amouroux
Orlan­do, un opéra de G.F. Haen­del. Mise en scène de Jeanne Des­oubeaux. Direc­tion musi­cale de Christophe Rous­set. 2025, Théâtre du Châtelet © Thomas Amouroux

Entr­er dans le musée de l’opéra

L’intuition du musée est arrivée très vite, affirme la met­teuse en scène : 

Le musée s’est imposé comme une espèce de cadre par lequel on pou­vait lire cette his­toire en essayant de ne pas la juger comme étant intéres­sante ou pas intéres­sante, en la prenant comme elle est. Mais sous le regard d’un autre, à savoir l’enfant, on pou­vait la regarder avec tan­tôt de l’empathie, tan­tôt de l’ennui (…) et tra­vers­er tous ces sen­ti­ments, sans que ce soit déplaisant ou déplacé par rap­port à l’œuvre… 

Nom­breuses sont les mis­es en scène qui trans­posent des opéras dans l’univers des musées – ce n’est pas là que la pro­duc­tion du Châtelet se mon­trait orig­i­nale. De même, le fait de dou­bler le cast­ing des chanteurs par des enfants a déjà été ten­té (notam­ment par Romeo Castel­luc­ci à l’Opéra Gar­nier en 2019 dans Il pri­mo omi­cidio de Scar­lat­ti, dans une choré­gra­phie mil­limétrée de Sil­via Cos­ta). Ce qui était fasci­nant dans Orlan­do, qui mobil­i­sait deux dis­tri­b­u­tions dif­férentes d’enfants de 9 à 13 ans, était l’hybridation pro­gres­sive des dif­férents plans, ménageant une sorte de pro­liféra­tion de la vie. 

Cela com­mençait comme une séquence dans une salle de musée4, avec des tableaux aux murs et une classe qui vis­ite5. À la fin de l’ouverture, qua­tre enfants6 se détachent : ils res­teront sur scène, enfer­més dans le musée. On assiste alors à leur décou­verte des lieux, des morceaux et des per­son­nages, soit par des « effets » féeriques tra­di­tion­nels (le personnage/chanteur sort de son por­trait, par exem­ple), soit par des appro­pri­a­tions plus sauvages, inspirées par le Bat­man de Tim Bur­ton. L’histoire portée par les chanteurs reste évidem­ment au cen­tre de l’attention du pub­lic. Mais on s’intéresse de plus en plus à ce qui se passe du côté des enfants : ils regar­dent les tableaux, puis les per­son­nages, avant de s’investir corps et âme dans des espèces de jeux de rôles, sim­ples et pour­tant assez incom­préhen­si­bles, comme peu­vent l’être les jeux d’enfants au regard des adultes. On com­prend qu’ils se for­ment en jouant. D’acte en acte, ils revê­tent peu à peu des cos­tumes et acces­soires baro­ques7, ros­es fluo comme leurs gilets de sor­tie sco­laire. La ques­tion du trav­es­ti n’est sem­ble-t-il qu’une sorte de modal­ité de jeu par­mi d’autres, sans con­no­ta­tion par­ti­c­ulière. À mesure que ces vis­i­teurs clan­des­tins s’intéressent au sujet et s’impliquent dans leur Orlan­do imag­i­naire, le tableau général s’enrichit visuelle­ment. 

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Écrit par Isabelle Moindrot
Isabelle Moin­drot est Pro­fesseure d’É­tudes théâ­trales à l’U­ni­ver­sité Paris 8, mem­bre senior de l’In­sti­tut uni­ver­si­taire de France (IUF)....Plus d'info
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