Arturo est un enfant autiste né d’une relation violente entre Lucia, qui se prostituait, et Gepetto, un client régulier. Après la mort tragique de Lucia sous les coups de cet homme, Arturo vit dans un studio avec Anna, Nuzza et Bettina, les trois amies de la victime, également prostituées. Elles adoptent cet enfant malgré son handicap et leur propre misère. Comment expliquez-vous leur choix ?
Les trois femmes, en décidant de prendre soin d’Arturo, n’agissent pas de façon rationnelle, mais instinctive. Elles ressentent un besoin puissant de le protéger, elles le font sans limites, sans se poser trop de questions. Anna, Nuzza et Bettina deviennent les mères naturelles de cet enfant parce qu’elles sont mobilisées par sa fragilité. Elles le font avec une grande détermination, sans penser à ce qui est juste et à ce qui ne l’est pas, sans se soucier de leurs conditions de vie misérables. Elles prennent soin d’un être fragile, qui est dans le besoin comme peut l’être un enfant ou une personne porteuse de handicap. Elles deviennent des mères naturelles parce qu’elles agissent naturellement.

Est-ce que le contexte économique et social des femmes du sud de l’Italie a influencé la création de ce spectacle ? Si oui, de quelle façon ?
Le problème des violences basées sur le genre est toujours actuel et irrésolu. Ces violences sont plus fréquentes et plus terribles dans les milieux pauvres, car il y a plus d’omertà. Et puis il n’existe aucun moyen de défendre ou de sauver la vie de ces femmes en danger. Il y a tellement de vies misérables, de mères et de filles qui ne savent pas où trouver la force de continuer, qui n’ont pas le courage de fuir cet enfer. Ces femmes sont victimes d’une culture qui se transmet de père en fils. Même si elles aspirent à la liberté et à l’indépendance vis-à-vis des hommes, elles n’envisagent pas de se révolter, car l’idée d’être tuées les terrifie davantage que la mort elle-même.

Anna, Nuzza et Bettina sont trois pauvres malheureuses, elles ne possèdent rien, juste un corps qu’elles utilisent pour survivre. Ce sont trois prostituées et un jeune garçon handicapé qui vivent dans un studio crasseux et minable. Le jour, elles tricotent, confectionnent des écharpes et des châles ; et, au crépuscule, elles offrent leurs corps flasques sur le seuil de leur porte aux passants. Mais ce cloaque, qui existe vraisemblablement dans la réalité, est aussi une fabrique d’amour. Ces trois femmes forment une famille : elles sont solidaires entre elles et aiment Arturo comme leur fils.
Misericordia raconte, avant tout, la fragilité et la solitude désespérée des femmes. Il y a, dans ce spectacle, une réalité sordide imprégnée de pauvreté, d’analphabétisme et de provincialisme. On explore l’enfer d’une déchéance terrible que la société veut de plus en plus ignorer. Je voulais révéler cette horreur, mais j’avais aussi besoin de la légèreté du conte pour plonger plus profondément dans cette tragédie.
Le spectacle offre deux niveaux de lecture : chaque personnage incarne une dimension symbolique, psychologique et littéraire. Par exemple, Arturo peut être comparé à Pinocchio, tandis qu’Anna, Nuzza et Bettina rappellent les trois fées protectrices des contes. Dans ce contexte, selon vous, qu’est-ce qui a permis à Arturo de se transformer à la fin de la pièce ? Diriez-vous que ces mères adoptives ont elles-mêmes été transformées par Arturo ?

À un moment de l’histoire, on raconte que la mère d’Arturo est tuée par un client régulier. Cet homme était menuisier et, dans le quartier, on le surnommait Geppetto parce qu’il portait toujours des gants troués et une casquette. C’est lui le père d’Arturo, c’est lui qui piétine la mère jusqu’au sang, jusqu’à ce que la mort s’ensuive. Mais, au-delà de cela, l’élément qui m’a guidée principalement vers le Pinocchio de Collodi est que ce roman est le symbole d’un rite de passage dans notre tradition culturelle : de la croissance, de la découverte de soi à la transformation. Dans le spectacle, l’enfant né « dur » comme du bois, déjà marqué par les coups du père bien avant sa naissance et détruit définitivement par ces violences, devient au fur et à mesure un véritable enfant grâce à l’amour de ces trois femmes qui l’adoptent. Malgré la misère la plus sombre, Anna, Nuzza et Bettina l’élèvent comme s’il était leur propre fils, et donc elles ne sont pas seulement mères, mais aussi des fées, en quelque sorte.
Quels ont été les émotions ou les sentiments les plus difficiles à exprimer, à transcrire scéniquement, de la relation mère-enfant pour le public ? Et pourquoi ?






