Dans son texte introductif à ce numéro, Marie-Noëlle Semet résume les enjeux de cette publication. Elle dresse en effet un méticuleux inventaire des relations qui unissent les plasticiens et créateurs de théâtre, danse ou musique contemporains depuis une vingtaine d’années et brosse une esquisse articulée selon les incursions de plasticiens sur la scène, l’avènement des metteurs en scène-scénographes, ou encore la théâtralité de l’art contemporain. On y retrouve des formes hybrides conçues par des artistes venant des deux bords du rivage (Marina Abramović et Robert Wilson, Olafur Eliasson et Wayne Mac Gregor, Anselm Kiefer et Klaus Michael Grüber, …) mais aussi des oeuvres inventées par des scénographes-metteurs en scène et des chorégraphes-plasticiens (de Roméo Castelluci ou Jan Fabre, jusqu’à Philippe Quesne ou Dimitris Papaioannou). Une figure est née au xxie siècle, qui excède et englobe celle du metteur en scène tout puissant apparue au xxe siècle.
L’origine des oeuvres plastico-scéniques est bien sûr plus lointaine, et Cécile Schenck nous le rappelle dans son article consacré aux chorégraphes qui ont flirté avec la sculpture ou la peinture dès l’orée du xxe siècle. Des Ballets russes à Josef Nadj, de Loïe Fuller ou Martha Graham à Tino Seghal, Cécile Schenck propose une vertigineuse traversée des arts du corps en mouvement sur des « scènes-paysages ». Monique Borie-Banu plonge également dans le passé en scrutant les mouvements entre corps de chair et corps de pierre lorsque le théâtre réinventa un nouveau modèle d’acteur à la faveur des avantgardes européennes au tournant des xixe et xxe siècles. On en retrouve d’ailleurs de potentiels héritiers contemporains en Clédat & Petitpierre. Comme le rappelle Marjorie Bertin dans un texte sur ces inventifs sculpteurs et performeurs, Yvan Clédat et Coco Petitpierre créent en effet des dispositifs habités par d’étranges « sculptures à activer ».
Au jeu des généalogies inventées, il est enfin tentant d’inscrire l’art du zentaï dans cette lignée. Évoquant cette subculture fétichiste japonaise, Karolina Svobodova décrit l’influence du zentaï et de sa combinaison intégrale recouvrant l’ensemble du corps en effaçant les traits comme une déshumanisation plastique des plateaux d’art vivant. Ces silhouettes indistinctes interviennent comme une mise en question formelle du monde contemporain dans un art théâtral qui expose plus qu’il ne raconte.
Depuis deux décennies, nous dit encore Marie-Noëlle Semet, les formes issues des rencontres plastiques et scéniques sont pléthoriques ! Nous n’en rendrons pas compte ici de manière exhaustive bien sûr. Nous proposons aux lecteurs des traversées théoriques de ces croisements, dans le domaine du théâtre et de la danse, mais également dans les champs de l’opéra et de l’art performance, respectivement abordés par Leyli Daryousch et Christophe Alix.
Nous nous arrêtons également dans ce numéro (avec notre part de subjectivité) sur des projets artistiques défendus par les membres du comité de rédaction, et/ou programmés par des lieux tels le théâtre Nanterre-Amandiers ou le centquatre-paris, qui permettent à des oeuvres insolites et hybrides de se déployer à la croisée des arts : Phia Ménard (jongleuse, metteure en scène et dompteuse d’éléments), Josef Nadj (chorégraphe, interprète, photographe), Johann Le Guillerm (circassien, plasticien), Christiane Jatahy (auteure, metteure en scène, réalisatrice), Patrick Corillon (plasticien, conteur, performeur), Noé Soulier (danseur et chorégraphe), Erwan Ha Kyoon Larcher (circassien et performeur), Ayelen Parolin et Lea Petra (danseuse, chorégraphe, performeuse pour la première ; et pianiste pour la deuxième), Suzanne Kennedy (metteure en scène du corps, de l’objet et de la machine), Théo Mercier (plasticien et metteur en scène).
Enfin, quelques semaines après la Quadriennale de Prague, ce numéro consacré aux relations entre arts scéniques et arts plastiques ne pouvait faire l’économie d’un chapitre consacré à la scénographie. Simon Siegmann, plasticien et scénographe, s’est prêté à un entretien autour de sa pratique du plateau. C’est également par le biais de la formation des jeunes artistes que nous avons abordé ce champ. Une table ronde a ainsi réuni des artistes enseignant à La Cambre (Bruxelles) et au Pavillon Bosio (Monaco), deux écoles d’art offrant un cursus complet de scénographie au rang des arts plastiques et visuels.