« Trash (a lonely prayer)» Priez pour nos déchets…
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« Trash (a lonely prayer)» Priez pour nos déchets…

Le 16 Juil 1993
François Sikivie, Véronique Stas, Sofia Leboutte, Mireille Bailly, Anne-Marie Loop, Janine Godinas. TRASH (A LONELY PRAYER).
François Sikivie, Véronique Stas, Sofia Leboutte, Mireille Bailly, Anne-Marie Loop, Janine Godinas. TRASH (A LONELY PRAYER).
François Sikivie, Véronique Stas, Sofia Leboutte, Mireille Bailly, Anne-Marie Loop, Janine Godinas. TRASH (A LONELY PRAYER).
François Sikivie, Véronique Stas, Sofia Leboutte, Mireille Bailly, Anne-Marie Loop, Janine Godinas. TRASH (A LONELY PRAYER).
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FACE som­bre et lucide de L’ANNONCE FAITE À MARIE, TRASH, sec­ond volet du pro­jet VÉRITÉ enfan­té par le Groupov, exhume nos pul­sions ani­males. Débor­de­ments sanglants pour qu’émerge la tur­bu­lente con­science de soi. 

Stéphane Fauville, Janine Godinas. TRASH (A LONELY PRAYER).
Stéphane Fauville, Janine God­i­nas. TRASH (A LONELY PRAYER).

Foutre. Le mot jail­lit des lèvres de la femme.  D’abord comme une inso­lente éclabous­sure. Puis comme un jet brûlant qui plaque au mur, transperce jusqu’à la nudité. Foutre me faire foutre bais­er enculer léch­er bris­er cass­er moulue tor­due… Comme un déverse­ment boueux, une log­or­rhée vom­i­tive provo­quée par une nausée sécu­laire. Elle dit la pisse, la pour­ri­t­ure, la catin, les fess­es, les plaies, le gron­de­ment du sang con­tre les tym­pa­ns. Toute seule der­rière un micro. Elle dit puis qua­tre autres dis­ent, seules der­rière leur micro, tous les tabous tus par les femmes ; tan­dis qu’en haut s’élève la musique, intouch­able et pure, de Christo­pher Tye. Elles chu­chotent, éructent, avouent la bête qui s’approche du sexe, les éructe­ments qui se mêlent au plaisir, les sœurs qui se fondent l’une dans l’autre, le cru­ci­fix qui s’enflamme, le père qui souille la fleur de lait cail­lé.
Elle dis­ent la peur, la vio­lence, l’éro­tisme intime­ment lié à la mort, l’animalité niée. Nos pul­sions bâil­lon­nées par l’obsessionnelle con­quête de l’ordre et du pro­grès. Aller tou­jours plus haut, tou­jours plus loin. Soif. Soif de tout con­trôler, tout pos­séder, jusqu’à la destruc­tion.
Puis elles se taisent pour que s’élèvent les pré­ceptes du gourou. Réas. Ratat­iné der­rière sa chaire de « vérité » , il délivre une pro­pa­gande charis­mati­coter­ror­iste, gorgée de paraboles religieuses. Sim­u­lacre du sacré sal­va­teur. « Trash (a lone­ly prayer)» Priez pour nos déchets… dont les résur­gences se font pro­téi­formes par ces temps dés­in­car­nés. Se faire le dis­ci­ple de ses dogmes tran­chants, devenir quelqu’un vite, vite avant que notre fin n’advienne. Que notre règne vienne…

Mireille Bailly. RASH (A LONELY PRAYER).
Mireille Bail­ly. RASH (A LONELY PRAYER).

Soif. La terre crevassée, les jardins cal­cinés, l’e­spoir éven­tré. Les femmes repren­nent la parole pour nous plonger au cœur d’un réc­it apoc­a­lyp­tique. Makatele, le 8 jan­vi­er 2023. Le général, représen­tant l’état major de l’ONU, Clara, une reporter, deux experts de l’Unesco et de la banque mon­di­ale arpen­tent l’Afrique pour assou­vir leurs fan­tasmes les plus assas­sins. Elles racon­tent les soumis enchaînés, les êtres dont les for­mules géné­tiques accouchent, les chairs arrachées, tor­turées, cru­ci­fiées sous le regard lubrique et vorace de Clara. Orgie tyran­nique que l’on voudrait lim­itée à la parole seule et qui pour­tant se matéri­alise sor­dide­ment, ne serait-ce que sur le sol lacéré de l’exYougoslavie. Entre deux descrip­tions infer­nales, elles égrè­nent des chiffres. USA 1991 : un adulte sur cinq est anal­phabète. Chaque heure, 12 actes de vio­lence sont mon­trés à la télévi­sion. 99% des chaînes sont con­trôlées par les blancs. 35 mil­lions d’Améri­cains n’ont aucune cou­ver­ture sociale. Un homme noir vivant à New York a moins de chances d’at­tein­dre l’âge de 65 ans qu’un habi­tant du Bengladesh… Sta­tis­tiques froides qui giflent comme jamais, insérées dans le flot sanglant du con­te futur­iste.
Puis, pour la pre­mière fois dans la débâ­cle, elles mur­murent douce­ment So, it’s very sim­ple : je veux que tout le monde ait à manger tout le monde, je veux que les enfants nais­sent de l’homme et de la femme qui ont con­fon­du un instant leurs corbs, je 47 veux libér­er mes frères et sœurs, je prie qu’ils se libèrent eux-mêmes. Et aus­si Je aime, ne m’a­ban­donne pas, ne me laisse pas seule…

RIVAGES À L'ABANDON de Heiner Müller. Liège, 1988.
RIVAGES À L’ABANDON de Hein­er Müller. Liège, 1988.

Enfin elles éveil­lent la douleur engen­drée par l’ensevelissement de l’être aimé, le refroidisse­ment défini­tif de sa chair, l’étreinte du vide, le refus de la mort, tabou entre tous les tabous. Poignant face à face avec l’évanouissement de nos pal­pi­ta­tions, échafaudages chimériques et recherch­es de jouis­sance.
François Sikivie, Mireille Bail­ly, Janine God­i­nas, Anne-Marie Loop, Véronique Stas et Sofia Leboutte ont lit­térale­ment incar­né les mots de Marie-France Col­lard et Jacques Del­cu­vel­lerie, se sont soumis à |’ exigeante et rigoureuse orches­tra­tion du met­teur en scène pour que la parole, celle qui gifle, taraude et boule­verse, celle qui crève la coquille sécurisante nous explose aux oreilles, au corps et à l’âme.

Roberto Sacca, Solveig Kringelborn. REIGEN (LA RONDE), opéra de Philippe Boesmans. Livret et mise en scène de Luc Bondy.
Théâtre Royal de la Monnaie, 1993. Photo Ruth Walz.
Rober­to Sac­ca, Solveig Kringel­born. REIGEN (LA RONDE), opéra de Philippe Boes­mans. Livret et mise en scène de Luc Bondy.
Théâtre Roy­al de la Mon­naie, 1993. Pho­to Ruth Walz.

De peur d’être souil­lés, quelques spec­ta­teurs sont sor­tis, faisant cla­quer colèreuse­ment leur moelleux siège en cuir. D’autres se sont lais­sé attein­dre, emplir par le verbe cathar­tique de TRASH, accep­tant que ce verbe en engen­dre un autre dans nos tripes, notre bouche. Pour qu’à son tour, il provoque des ondes, laisse échap­per des cris de lutte con­tre l’amollissement, la fadeur, la con­ven­tion, le cal­cul. « Des hommes ne vien­nent à bout de leur pos­si­ble qu’en deux temps. Le pre­mier est celui de leur déchaîne­ment, mais le sec­ond celui de la con­science. Nous devons éval­uer ce que dans la con­science nous per­dons, mais nous devons, dès l’abord, apercevoir qu’à la mesure de cette human­ité qui nous enferme, la clarté de la con­science sig­ni­fie le refroidisse­ment. »1

  1. Georges Bataille, LES LARMES D’EROS.  ↩︎
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Écrit par Christelle Prouvost
Chris­telle Prou­vost est cri­tique dra­ma­tique au jour­nal Le Soir et au Vif/l’Express.Plus d'info
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