Ce qui bouge dans l’être
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Ce qui bouge dans l’être

— Entretien avec Luc Bondy — 

Le 14 Juil 1993
Article publié pour le numéro
Théâtre et vérité-Couverture du Numéro 44 d'Alternatives ThéâtralesThéâtre et vérité-Couverture du Numéro 44 d'Alternatives Théâtrales
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GEORGES BANU : TERRE ÉTRANGÈRE de Schnit­zler, LE CHŒUR FINAL de Botho Strauss, BORKMAN, il y a peu, vien­nent tous du même univers : celui du « grand intérieur ». 

Luc Bondy : La for­mule m’in­téresse ! J’ai tou­jours cher­ché à faire appa­raître l’é­trange au sein d’un monde con­cen­tré. Dans LE CHŒUR FINAL, la seule pièce qui par­le des con­séquences de l’unification des deux Alle­magne, l’essentiel se pas­sait dans ce que nous avons appelé, Botho Strauss et moi-même, Café Deutsch­land. Il s’agis­sait de faire resur­gir là, dans un espace fer­mé, le choc des deux Alle­magne, sans que cela devi­enne pour autant sym­bol­ique. Tout devait demeur­er fan­tas­tique et amu­sant. C’est cela, le « grand intérieur ». 

LE CONTE D'HIVER de Shakespeare,
mise en scène de Luc Bondy. Photo W. Böing.
LE CONTE D’HIVER de Shake­speare,
mise en scène de Luc Bondy. Pho­to W. Böing.

G.B.: Avec BORKMAN, l’at­ten­tion porte plutôt sur un héros hors pair, un héros qui évoque la mytholo­gie wag­néri­enne… 

L.B.: J’adore tra­vailler sur des mon­stres. Cit­i­zen Kane. Il est vrai qu’ils exis­tent plus dans le théâtre de la fin du XIXè siè­cle et du début du XXè. Bork­man rap­pelle Wotan et Hofre­it­er de TERRE ÉTRANGÈRE. Chez Strauss, le mon­stre était le chœur car le XXè siè­cle ne cul­tive pas la fix­a­tion niet­zschéenne sur le surhomme. Strauss met juste­ment en cause cet indi­vid­u­al­isme démesuré. 

G.B.: Votre Orson Welles, c’est tou­jours Michel Pic­coli ? 

L.B.: Oui. Parce qu’il peut être en même temps un leader et un être fébrile, ten­dre, prêt à se dés­in­té­gr­er. Tout en affichant son pou­voir, Pic­coli est capa­ble de jouer avec vérité une scène éro­tique sur un plateau, à avoir des rap­ports pro­fonds avec une femme. 

G.B.: Par un curieux con­cours de cir­con­stances, cette pièce sur une immense fraude qui laisse désem­paré l’in­dus­triel Bork­man arrive au moment des « affaires » en France, Ital­ie, Espagne. Com­ment gérez-vous ces rap­ports déli­cats entre une œuvre anci­enne et cer­taines simil­i­tudes évi­dentes avec l’ac­tu­al­ité ? 

L.B.: Je ne cherche jamais à établir de rela­tion directe. Je viens de mon­ter au Théâtre Roy­al de la Mon­naie, à Brux­elles, LA RONDE, opéra d’après Schnit­zler. La ronde est celle ses sens, du sexe ; eh bien, cer­tains m’ont reproché de ne pas avoir placé le spec­ta­cle à Man­hat­tan et de ne pas par­ler du sida ! C’est une bêtise. La cen­sure sociale au début du siè­cle n’a rien à voir avec la cen­sure qu’im­pose le sida. Si des rap­proche­ments sont pos­si­bles, c’est au spec­ta­teur de les faire. Je n’aime pas les lui sug­gér­er ou impos­er. C’est pourquoi Bork­man n’est pas Maxwell ! Ce que je cherche, ce sont les fluc­tu­a­tions, les asso­ci­a­tions, ce qui bouge dans l’être et non pas les éti­quettes. Ni, non plus, les coups de poing dans la gueule du spec­ta­teur. Avec la télé, il en reçoit tous les jours assez. 

G.B.: Le motif qui revient le plus sou­vent chez vous, c’est celui des fins de cycle. 

L. B.: J’aime la fin d’un cycle : cycle d’une société ou cycle d’un être. II y a alors un rap­pel de la forme (et non pas la forme elle-même), un laiss­er-aller de la forme… Les per­son­nages se trou­vent entre le sou­venir et la tristesse. Ils approchent de la « sagesse con­tente ». Et alors s’ex­erce le regard que j’aime, un regard caus­tique, sans cynisme ni morale. 

Pro­pos recueil­lis par Georges Banu

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Portrait de George Banu
Écrit par Georges Banu
Écrivain, essay­iste et uni­ver­si­taire, Georges Banu a pub­lié de nom­breux ouvrages sur le théâtre, dont récemment La porte...Plus d'info
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Théâtre et vérité-Couverture du Numéro 44 d'Alternatives Théâtrales
#44
mai 2025

Théâtre et vérité

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