Fièvre et légèreté

Fièvre et légèreté

— Entretien avec Michel Piccoli — 

Le 13 Juil 1993
Bulle Ogier, Nada Strancar, Michel Piccoli, Catherine Frot, Bernard Nissille. JOHN GABRIEL BORKMAN de H. Ibsen, mise en scène de Luc Bondy. Photo Ruth Walz.
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Théâtre et vérité-Couverture du Numéro 44 d'Alternatives ThéâtralesThéâtre et vérité-Couverture du Numéro 44 d'Alternatives Théâtrales
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GEORGES BANU : Quand j’ai demandé à Luc Bondy de me décrire le comé­di­en idéal, il m’a répon­du tout de suite : Michel Pic­coli

Michel Pic­coli : Que voulez-vous que je dise après une telle déc­la­ra­tion ? 

G.B.: Il a pour­suivi en pré­cisant : « parce qu’il est le comé­di­en qui a le plus à offrir ». Bondy est-il un met­teur en scène à l’é­coute les comé­di­ens ? 

M.P.: Non seule­ment, il est à leur écoute. Je crois aus­si qu’il choisit des comé­di­ens à l’é­coute desquels il peut se met­tre. Qui don­nent et ne refusent pas de pren­dre des risques sous pré­texte de fausse pudeur. Lors des pre­mières répéti­tions, il y a une cer­taine retenue tout à fait néces­saire ; mais il faut la com­bat­tre énergique­ment. Car Bondy a besoin de comé­di­ens qui lui don­nent autant que lui-même donne aux comé­di­ens. Il est là pour stim­uler, puis pour cor­riger, pour pren­dre ou pour rejeter. Et il a vrai­ment besoin pour cela que le comé­di­en joue la pièce avec une cer­taine exal­ta­tion. Les comé­di­ens qui ne seraient que de fidèles exé­cu­tants de ses propo­si­tions ne lui suf­fi­raient pas. Il laisse à ses comé­di­ens toute lat­i­tude de pro­pos­er le meilleur et aus­si le pire. 

G.B.: Com­ment arrive-t-il à stim­uler les ini­tia­tives, les propo­si­tions des comé­di­ens ? 

M.P.: J’ai tra­vail­lé trois fois avec lui et j’ai décou­vert petit à petit à quel point c’est agréable. Il est là, comme un petit garçon. Il n’a absol­u­ment aucun respect pour le théâtre, comme on pour­rait s’y atten­dre de la part d’un met­teur en scène de théâtre. Non — il fait du théâtre, comme le feraient les enfants. Très sim­ple­ment, pour pro­duire quelque chose de mer­veilleux, oui, c’est cela, quelque chose demer­veilleux. Il est tou­jours dans un état d’émer­veille­ment suprême qui pousse le comé­di­en à jouer — avec lui et pour lui. 

G.B.: Il m’a con­fié un jour que les propo­si­tions que vous lui faites sus­ci­tent chez lui des asso­ci­a­tions d’idées. Ce sont ces idées qui lui per­me­t­tent de dévelop­per son tra­vail au cours des répéti­tions. Accorde-t-il davan­tage d’im­por­tance à ces asso­ci­a­tions qu’à la pré­pa­ra­tion dite « dra­maturgique » ? 

M.P.: Il ne fait jamais de déc­la­ra­tion d’in­ten­tion. Il ne fait jamais référence à une école ou à un maître du passé. Il aurait plutôt ten­dance à répéter : « Tu sais com­ment le méti­er de met­teur en scène est né ? Deux comé­di­ens tra­vail­laient ensem­ble, puis l’un dit à l’autre : Veux-tu bien aller dans la salle et me dire ce que je dois faire ?» 

G.B.: Com­ment abor­dez-vous le texte ? Par des lec­tures, ou directe­ment sur le plateau ? 

M.P.: On fait quelques lec­tures, mais assez peu. Bien moins par exem­ple qu’avec Chéreau qui prof­ite de l’occasion pour dire déjà tout ce qu’il redi­ra ensuite aux répéti­tions. Bondy donne quelques élé­ments sur la manière dont il voit les choses, mais cela n’ap­pa­raît vrai­ment que sur la scène. Et là, il ne cesse de faire des allées et venues entre la table de régie et la scène. Il est tou­jours très proche des acteurs. Il a besoin de cette promis­cuité, de cette intim­ité : pour le tra­vail, pour l’e­sprit de groupe, pour la con­fi­ance. 

G.B.: Lors des répéti­tions, accepte-t-il des per­son­nes dans la salle ? 

M.P.: Autant Peter Brook aime les ambiances feu­trées, autant Luc Bondy tra­vaille dans une ambiance de mai­son de fous. Il est ouvert au pub­lic pen­dant les répéti­tions ; non pas pour se met­tre en scène lui-même, mais pour se sen­tir bien de l’autre côté. Il est tou­jours dans un état fébrile et il doit se sen­tir en per­ma­nence entouré par d’autres. Il en a besoin pour vivre. 

G.B.: Exige-t-il que toute la troupe soit présente à toutes les répéti­tions, comme Strehler par exem­ple ? 

M.P.: Non, mais il demande aux comé­di­ens de venir et de regarder ce que les autres font, et il répète sou­vent « dis-moi ce que tu en pens­es ». Il a aus­si besoin de cette atten­tion de la part des autres.
Il a le don très rare de créer l’am­biance, et je n’ai pas dit : de met­tre en scène. C’est un jon­gleur, et ses balles sont les comé­di­ens. 

G.B.: Quand il donne des indi­ca­tions, des con­seils, à quoi fait-il allu­sion :à des tranch­es de vie ou à des références artis­tiques ? 

M.P.: Sou­vent il racon­te des anec­dotes quo­ti­di­ennes ou his­toriques. Mais il ne dit jamais com­ment un per­son­nage doit être. Il donne des recom­man­da­tions rel­a­tives à la sit­u­a­tion, jamais au per­son­nage. Toute­fois pour LE CONTE D’HIVER, il nous a demandé d’esquisser les con­tours, comme pour une gravure sur cuiv­re, pour nous per­me­t­tre de trou­ver les gestes, Les atti­tudes et l’ex­pres­sion cor­porelle capa­bles de traduire le style et la puis­sance du texte. Il ne voulait pas de formes banales ou mod­ernes. Et je dois dire que c’est là une des raisons qui me poussent à faire du théâtre et à jouer la comédie actuelle­ment : pou­voir exprimer par un geste quelque chose d’inaccessible — être capa­ble d’ex­primer des émo­tions fortes comme le désir, la tristesse, la joie ou le cha­grin. 

G.B.: Et les sen­ti­ments, la manière de les ressen­tir ? Les cli­mats ? 

M.P.: Je ne peux dire qu’une seule chose : comme il fait aus­si des opéras, il est très sen­si­ble à tout cela — et il a sou­vent des idées très sim­ples à cet égard. 

G.B.: Répète-t-il longtemps ? Et quand s’arrête-t-il ? 

M.P.: Il répète avec énor­mé­ment de soin. Mais par­fois, juste avant la pre­mière, il peut tout cham­bouler. Brook fait cela aus­si, mais Luc Bondy le fait en per­ma­nence. 

G.B.: Pen­dant les répéti­tions, est-ce qu’il observe la troupe, ou plutôt les indi­vidus ? 

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Écrit par Georges Banu
Écrivain, essay­iste et uni­ver­si­taire, Georges Banu a pub­lié de nom­breux ouvrages sur le théâtre, dont récemment La porte...Plus d'info
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