La ronde de Boesmans et Bondy

La ronde de Boesmans et Bondy

Le 12 Juil 1993
Dale Duesing. REIGEN, opéra de Philippe Boesmans, livret et mise en scène de Luc Bondy. Photo Ruth Walz.
Dale Duesing. REIGEN, opéra de Philippe Boesmans, livret et mise en scène de Luc Bondy. Photo Ruth Walz.

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Dale Duesing. REIGEN, opéra de Philippe Boesmans, livret et mise en scène de Luc Bondy. Photo Ruth Walz.
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Théâtre et vérité-Couverture du Numéro 44 d'Alternatives ThéâtralesThéâtre et vérité-Couverture du Numéro 44 d'Alternatives Théâtrales
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En cet avant-print­emps 1993, l’événe­ment à Brux­elles fut la créa­tion au Théâtre de la Mon­naie de REIGEN (LA RONDE), un opéra de Philippe Boes­mans d’après un livret et une mise en scène de Luc Bondy.
L’in­tel­li­gence aura été au cœur de l’émotion et de la beauté d’un spec­ta­cle musi­cal dont la fas­ci­na­tion exer­cée sur le pub­lic pro­duit des effets à retarde­ment.
Avec REIGEN, l’en­jeu con­sis­tait à don­ner à enten­dre et à voir les entrelacs exis­ten­tiels du désir et du plaisir.
D’en dénouer le réseau secret des métaphores qui s’y glis­sent exigeait, de la part des créa­teurs Philippe Boes­mans et Luc Bondy, une cohérence esthé­tique s’éprou­vant à la réal­ité du temps, au rythme des fan­tasmes et de la perte de l’in­stant.
L’amour qui se lève scène après scène s’ac­corde en ce lieu mag­ique de la scène théâ­trale au proces­sus du désir créa­teur. C’est à ce moment de l’indiscernable pas­sage du désir à l’amour que se sont livrés Le com­pos­i­teur Philippe Boes­mans et son met­teur en scène et libret­tiste Luc Bondy. 

Marc Rom­baut 

MARC ROMBAUT : Philippe Boes­mans vous êtes l’auteur d’une par­ti­tion inti­t­ulée REIGEN (LA RONDE) d’après l’œuvre d’Arthur Schnit­zler, adap­tée et mise en scène par Luc Bondy. Qu’en est-il de l’origine du pro­jet ?

Philippe Boes­mans : La genèse du pro­jet date de l’époque où Luc Bondy et moi répé­tions LE COURONNEMENT DE POPPÉE au Théâtre Roy­al de la Mon­naie. Ger­ard Morti­er, le directeur du TRM, à l’époque, nous avait pro­posé de mon­ter un opéra ensem­ble. J’avais dit à Luc Bondy, que si je com­po­sais un opéra, ce qui m’in­téresserait, ce serait de faire un peu la cri­tique de l’opéra du vingtième siè­cle, surtout des trente dernières années. Je voulais un sujet qui ait une cer­taine légèreté. Je trou­ve que l’opéra d’au­jour­d’hui souf­fre trop des grandes œuvres de l’expressionnisme telles que WOZZECK. Aujourd’hui, par exem­ple en Alle­magne, il y a beau­coup d’opéras où l’on cherche la pro­fondeur, et cette pro­fondeur est dev­enue sou­vent un peu banale. C’est ce que j’ap­pelle les résidus de l’expressionnisme.
Bondy m’a tout de suite par­lé de Schnit­zler dont il a mon­té beau­coup de pièces tant en français qu’en alle­mand, à la Schaubühne de Berlin et à Paris. Il n’avait jamais mon­té LA RONDE parce qu’il n’a jamais voulu le faire au théâtre. Selon lui, cette pièce néces­site autre chose que le théâtre, soit le ciné­ma (ça a été fait d’ailleurs par Max Ophuls) soit une forme comme l’opéra, c’est-à-dire qui peut la sauver de sa « triv­i­al­ité ». Je ne dis pas que la pièce est triv­iale, mais il est pos­si­ble de lui don­ner un car­ac­tère plus mag­ique.
Quand j’ai lu la pièce, je me suis dit qu’elle con­ve­nait tout à fait et qu’elle se rap­prochait de COSI FAN TUTTE. C’est une pièce qui a une cer­taine légèreté, mais où il y a aus­si une grande amer­tume.
Le thème me parais­sait suff­isam­ment uni­versel pour pou­voir encore la rejouer aujourd’hui. Les per­son­nages de LA RONDE exis­tent tou­jours. Il y a tou­jours des comtes ou des fils de famille ;il y a tou­jours des pros­ti­tuées et tout cela existe. 

M.R.: Quand vous avez lu le livret de Bondy, la trans­po­si­tion musi­cale vous est-elle apparue évi­dente ? 

P.B.: Oui. Le livret a été écrit par Bondy d’après Schnit­zler, mais nous l’avons fait en col­lab­o­ra­tion. Il fal­lait adapter la pièce en gar­dant l’essen­tiel, car met­tre la pièce telle quelle en musique, cela aurait fait un opéra de six heures. Si le texte est d’une durée nor­male au théâtre, il est trop long chan­té. Il fal­lait donc l’adapter sans le trahir. Nous sommes par­tis en voy­age ensem­ble pour tra­vailler et nous nous sommes beau­coup amusés en tra­vail­lant sur le livret. Nous estimions qu’il fal­lait garder à la pièce sa per­ti­nence et en tout cas garder les choses essen­tielles. Ce qui serait sup­primé pour­rait se trou­ver dans la musique. Je veux dire que le non-dit est très présent chez Schnit­zler. Nous avons donc mod­i­fié le texte et j’ai par­ticipé à ce tra­vail. Des idées sont nées, par exem­ple, pour la troisième scène, Bondy me dis­ait : « Il y a le jeune homme et la jeune femme, c’est l’aprèsmidi et il fait très chaud » et moi je lui dis : « oui il fait chaud et il y a un mous­tique ». « Oh oui répon­dit Bondy, il y a un mous­tique ». Les choses sont venues comme Ça. J’ai apporté des idées musi­cales qui ont influ­encé le livret.
Quand le livret fut écrit, j’ai com­mencé à com­pos­er. Mais à ces moments-là encore, je lui téléphonais et nous nous voyions. Je lui pro­po­sais autre chose, alors Bondy réécrivait le pas­sage.
Finale­ment, je peux dire que le livret fut ter­miné quand la musique fut ter­minée. Cela a mis un cer­tain temps, cela nous a demandé trois ans pour écrire le livret et la musique. 

M.R.: Donc si je vous entends bien, la par­ti­tion et le texte ont été écrits en même temps. Il y a une cohérence esthé­tique. Il y a la vision scénique de Bondy, il y a le regard musi­cal qui est le vôtre. Nous sommes en présence d’une cohé­sion qui relève d’une excep­tion­nelle com­plic­ité esthé­tique.

P.B.: Je me sens très proche de Luc Bondy. Nous voulions tous les deux réalis­er une œuvre qui puisse être regardée et écoutée sans que nous limpo­sions. C’est-à-dire garder une cer­taine légèreté. Je crois que ce qui car­ac­térise une mise en scène de Luc Bondy c’est qu’on ne la sent pas. On a l’im­pres­sion que les gens se com­por­tent comme ils se com­por­tent dans la vie. C’est parce qu’il a un tel regard sur la vie et qu’il n’y a pas chez lui une sorte de pré-dra­maturgie très forte. Quand il com­mence une mise en scène, il ne sait pas ce qu’il va faire, et ça c’est mer­veilleux. Le pre­mier jour, il est très angois­sé. Nous avons cela en com­mun. Quand je com­mence à com­pos­er je ne sais pas ce que je vais écrire. Nous tra­vail­lons de la même façon, nous lais­sons venir les choses. Evidem­ment, il y avait, comme vous le disiez, une grande com­plic­ité au départ à pro­pos du livret. Quand j’ai reçu le livret, nous avions déjà dis­cuté à pro­pos de cer­taines options esthé­tiques et d’une cer­taine sen­si­bil­ité com­mune. Mais il n’y avait pas de matéri­aux au départ. Ce que nous nous sommes dit, c’est par exem­ple, à pro­pos de la deux­ième scène : elle pour­rait se pass­er au bois de Boulogne, avec des cou­ples, et alors là il faudrait trou­ver quelque chose de dif­férent. Il faudrait trou­ver un chant qui n’est pas chez Schnit­zler, que nous avons appelé « le chant de l’amour éter­nel » , qui est chan­té par un autre cou­ple et là, Bondy a sug­géré de pren­dre quelques phras­es du CANTIQUE DES CANTIQUES. Ces phras­es sont telle­ment belles à côté du texte de Schnit­zler, qui, lui, est très proche du boule­vard. Je crois que c’est là que réside la beauté de Schnit­zler, on est tou­jours à la lim­ite du boule­vard, on est proche du mélo, mais c’est juste­ment ce « presque » qui est mer­veilleux et qui fait la richesse de l’œuvre. Donc, ce chant, c’est la pre­mière chose que j’ai com­posée. J’ai écrit ce chant qui revient dans la huitième scène du poète et de la chanteuse, parce que c’est le seul cou­ple qui chante quand ils font l’amour. Et ils chantent ce chant parce que leur vie esr parole, es chant. C’é­tait le seul matéri­au que j’avais et à par­tir de ça j’ai com­mencé à écrire un prélude avec des rap­pels de ce thème. C’est comme ça que les choses sont venues.
Je crois que Bondy aus­si tra­vaille la mise en scène de cette façon, sans rien prédéter­min­er. Il voit com­ment sont les chanteurs. Par exem­ple, si dans la pre­mière scène, il voit un sol­dat qui a une épaule un peu trop basse quand il marche, il garde cela, il ne rec­ti­fie pas. Il joue avec Les gens comme ils sont. Il se sert aus­si bien de leurs qual­ités que de leurs défauts. C’est pour cela que les gens sur scène ont une présence telle­ment évi­dente. Je crois que nous cher­chions tous les deux l’év­i­dence comme si la pièce le sug­gérait. 

Françoise Pollet, Dale Duesing. REIGEN. Photo Ruth Walz.
Françoise Pol­let, Dale Duesing. REIGEN. Pho­to Ruth Walz.

M.R.: Pour revenir à cette ajoute du CANTIQUE DES CANTIQUES, cela apporte une dimen­sion qui n’est pas dans l’œuvre de Schnit­zler, parce qu’on peut par­ler dans LA RONDE d’un enjeu qui serait exclu­sive­ment le désir, le plaisir. Et vous y avez ajouté une dimen­sion qui est celle de l’amour, c’est-à-dire une dimen­sion de la tran­scen­dance. Est-ce que par là vous vous ne vous rap­prochez pas de Mozart ? 

P.B.: Je me rap­proche en tout cas de ce qu’il faut faire lorsqu’on crée un opéra. Il fal­lait réalis­er un tra­vail qui s’éloigne du texte par­lé et qui soit en même temps très proche, et qui per­me­tte le bel can­to. Ce qui car­ac­térise la pièce de Schnit­zler, c’est l’amour éphémère, mais c’est quand même de l’amour, et donc l’amour éter­nel est quand même là. Mon idée était que ce chant pou­vait être un rien douloureux. Il y a un côté un peu mor­bide aus­si, l’idée de la mort qui pou­vait être là. Je ne sais pas si ça nous rap­proche de Mozart, mais ça nous rap­prochait de l’opéra en tout cas. C’é­tait un matéri­au musi­cal intéres­sant et au fond il est sou­vent présent dans la musique, dans l’orchestre, il y a beau­coup de vari­a­tions autour de ça. C’é­tait un démar­rage pour me don­ner un petit bout de matéri­au pour tra­vailler. 

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