Remonter ce fleuve jusqu’aux rapides de la représentation et, de là, questionner l’amont : le texte de theatre, tel est le projet de ce texte. Mais remonter ce fleuve sur un seul spectacle n’aurait amené qu’à en faire la critique, sans pouvoir dépasser les contingences de ce spectacle particulier. C’est pourquoi j’ai choisi de parler d’un ensemble de spectacles réalisés à l’intérieur d’une même institution : le Nouveau théâtre de poche.
Plus qu’une succession arbitraire de spectacles, la programmation du Théâtre de poche est pensée dans son déroulement. Des lignes de forces, esthétiques, thématiques, la traversent. Ces lignes de forces, cette unité esthétique, cette éthique du théâtre, sont des appuis indispensables à ma réflexion. Le désir est ici de parler du theatre comme d’un cru, avec le plaisir d’y goûter.
Repères :
La ronde.
De Arthur Schnitzler.
Mise en scène : Martine Paschoud.
Dans la Vienne impériale, dix couples tournent à la recherche de l’amour.
Mais quelle est cette ronde ? Une valse viennoise ou le revers d’une valse ? Qui imprime le mouvement de ces ultimes tours de piste ? Ça tournoie, ça se choque, ça s’affole dans cette ronde. Mais quoi : Ça ?

La Parisienne.
De Henry Becque.
Mise en scène : Martine Paschoud.
La Parisienne, c’est Clotilde.
Du Mesnil, épouse d’Adolphe,
fonctionnaire obnubile par la réussite sociale, et maitresse de Lafont, célibataire oisif et fortuné. La femme, le mari, l’amant : trio bien connu du vaudeville. Un trio cependant revu et corrigé par Henry Becque, journaliste et observateur sarcastique de la société de la fin du XIXe siècle.

Mademoiselle Else.
D’après le roman de Arthur Schnitzler.
Réalisation et jeu : Anne Durand.
Invitée par sa tante, Else passe ses vacances dans un hôtel chic. Elle se promène, joue au tennis, observe les gens, invente leur histoire…
Elle s’ennuie luxueusement.
Elle reçoit une lettre de sa mère : sa famille est ruinée, pire, déshonorée, si Else n’arrive pas à emprunter 50.000 florins à un certain M. Von Dorsday qui loge à l’hôtel…
Else hésite, se décide enfin à rencontrer Von Dorsday. Le « vieil ami de la famille » veut bien payer, mais en échange veut voir la jeune fille nue…
Le navire Night.
De Marguerite Duras.
Mise en scène : Jacques Roman.
Entre une femme et un homme se tisse une histoire d’amour. Ils ne se sont jamais vus. La seule chose qui les relie, c’est le téléphone.
Un narrateur, que la mise en scène divise en trois personnages, raconte cette histoire. Une enquête sur le théâtre, lieu d’où surgissent les fictions..
Torquato Tasso.
De J.W. Goethe.
Mise en scène : André Steiger.
Coincé entre la folie du mouvement artistique « Sturm und Drang » et la raison du Classicisme de Weimar, Goethe — le poète allemand — fait surgir sur la scène la présence du poète italien, Le Tasse, pris lui-même-entre la raison et la folie, entre la mesure politique et la démesure artistique.
Et pourtant ce silence ne pouvait être vide.
De Jean Magnan.
Mise en scène : Martine Paschoud.
Le 2 février 1933, au Mans, la femme et la fille d’un ancien avoué à la retraite sont assassinées par leurs deux bonnes qui leur arrachent, vivantes, les yeux.
Bonnes modèles, elles avaient vécu sept ans dans cette maison. Au procès, la cadette des deux sœurs déclarera simplement : « On ne se parlait pas…»

La nuit et le moment.
D’après le roman de Crébillon-fils.
Mise en scène : Daniel Wolf.
La scène est à la campagne dans la maison de Cidalise. Clitandre s’introduit sans permission dans la chambre de Cidalise, c’est le premier pas de sa stratégie amoureuse. Alors commencent les discussions de ruelles…
Ecritures
Lieux

Dans l’espace du décor la géométrie se fait figure de rhétorique :porte tournante dans La ronde, labyrinthe dans La Parisienne.
… M’asseoir face à cette scène, voir ces personnages se perdre, se buter à ces obstacles, s’en habituer, construire leurs rapports autour. Je vois l’obstacle et le contournement ; la haie et le saut ; l’objet et son économie…
Les lieux de représentation délimitent pour les personnages, un espace respirable (ou irrespirable). La cave pour Mademoiselle Else ; la pièce/chambre pour La nuit et le moment inscrivent le spectateur dans la totalité de l’espace scénique. Le spectateur est là, comme par effraction, il est hors-la-loi. La force centrifuge du jeu le colle au mur, tente de l’y faire disparaître. De cette impossibilité nait une esthétique : celle du trop plein. Les signes s’organisent, s’arrangent, de cet espace minimal.
…Je regarde devant moi, autour de moi, comme tombe dans le microscope où j’observais la goutte d’eau. Les amibes autour de moi se meuvent a petits pas, comme pour ne pas m’effrayer. Mais je sais / tombé dans le microscope / qu’ici l’amibe est aussi grosse que moi. Je me colle au mur et plaque mon nez à cette vitre qui n’existe pas…



