Benno Besson : Ecriture et mise en scène

Benno Besson : Ecriture et mise en scène

Le 23 Fév 1986
Le sexe faible de Flaubert. Photo Jesus Moreno.
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Le théâtre en Suisse Romande-Couverture du Numéro 25 d'Alternatives ThéâtralesLe théâtre en Suisse Romande-Couverture du Numéro 25 d'Alternatives Théâtrales
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Cet arti­cle a été pub­lié dans l’ou­vrage édité par la Comédie de Genève et le Théâtre de la Ville à Paris pour accom­pa­g­n­er les représen­ta­tions fran­co-suiss­es du Drag­on d’Evguéni Schwartz, mis en scène par Ben­no Besson. (sep­tem­bre 1985

La ver­sion française du Drag­on d’Evguéni Schwartz par Ben­no Besson se sig­nale avant tout comme celle d’un homme de théâtre, d’un prati­cien de la scène aver­ti. Elle prend racine dans une expéri­ence com­plé­men­taire de l’écri­t­ure et du plateau. Il n’est pas sans intérêt de rap­pel­er, ici, sché­ma­tique­ment, les com­posantes essen­tielles de la for­ma­tion de Ben­no Besson :

  •   le théâtre de tréteaux, la pra­tique des tournées, l’ap­pren­tis­sage du méti­er de comé­di­en sur le tas avec Jean-Marie Ser­reau ;
  • l’u­ni­ver­sité de Zürich en philolo­gie où il se pas­sionne pour les langues romanes et anglaise, leurs civil­i­sa­tions et leurs mythes :
  •   la fréquen­ta­tion des exilés alle­mands du nazisme, la ren­con­tre avec Brecht, le départ pour Berlin-Est (où il était prévu qu’il n’y reste que deux ans…), la par­tic­i­pa­tion à l’éd­i­fi­ca­tion du Berlin­er Ensem­ble, les pre­miers travaux de mise en scène et d’adap­ta­tion. Cela pour dire que Besson s’est tou­jours sen­ti proche des dra­maturges-acteurs-chefs de troupe et que ceux-ci font par­tie de ses auteurs préférés : Shake­speare, Molière, Brecht..
    Voilà pourquoi sa démarche de met­teur en scène prend corps au tra­vers d’une curieuse alchimie ou la réflex­ion sen­suelle le dis­pute au prag­ma­tisme ana­ly­tique.

Sa pre­mière mise en scène en langue alle­mande provoque simul­tané­ment son pre­mier tra­vail d’écri­t­ure. En 1952, il monte Le procès de Jeanne d’Arc à Rouen. Il s’ag­it de l’adap­ta­tion par Brecht en col­lab­o­ra­tion avec Besson d’une pièce radio­phonique due à la grande roman­cière est-alle­mande Anna Seghers (celle-ci représen­tait à l’époque ce que Christa Wolf représente aujour­d’hui pour les deux Alle­magne).
En réal­ité, des son arrivée au Berlin­er Ensem­ble, en 1949, Besson tra­vaille con­join­te­ment comme assis­tant a la mise en scène, comé­di­en et col­lab­o­ra­teur de Brecht pour l’écri­t­ure de plusieurs de ses pièces, essen­tielle­ment con­sacrées à la tra­duc­tion et à l’adap­ta­tion d’œu­vres du passé, dans la per­spec­tive de l’élab­o­ra­tion cri­tique d’un réper­toire sus­cep­ti­ble de par­ticiper au redresse­ment, à la recon­struc­tion cul­turelle et idéologique d’une Alle­magne dou­ble­ment trau­ma­tisée par le nazisme et la guerre.

En 1950, Besson fait ses pre­miers pas comme acteur ain­si que comme col­lab­o­ra­teur pour Le pré­cep­teur. adap­ta­tion par Brecht de la comédie de Jakob Lenz. Pour ses débuts, il inter­vient plus spé­ciale­ment sur le mon­tage des scènes dans le cadre d’une nou­velle nar­ra­tion de la pièce de Lenz, par­tic­i­pant égale­ment à la réécri­t­ure de quelques scènes. A l’im­age de l’e­sprit de col­lab­o­ra­tion ouverte et dialec­tique insuf­flé par Brecht, Besson met la main à la pâte dra­maturgique et spec­tac­u­laire. De ces années d’ap­pren­tis­sage, la pra­tique future de Ben­no Besson ne cessera de se nour­rir pour avancer. Et pour chang­er.

Besson, dés la mort de Brecht, et déjà de son vivant, tout en recon­nais­sant l’in­flu­ence déci­sive que celui-ci représen­tait dans son par­cours artis­tique et biographique, ne revendi­qua jamais un quel­conque droit d’héritage, se refu­sant farouche­ment à toute récupéra­tion dog­ma­tique et à tout suiv­isme servile.

En cela, avec le temps, il appa­rait sin­gulière­ment fidèle à la mémoire d’un Brecht com­plexe et pro­téi­forme, celui des années de jeunesse comme celui de l’ex­il comme celui de l’âge mûr : con­tra­dic­toire, mou­vant, insai­siss­able.

Pour l’ou­ver­ture du The­ater am Schiff­bauer­damm (1954), nou­velle­ment con­stru­it pour le Berlin­er qui jusque là répé­tait dans une salle par­tielle­ment désaf­fec­tée et don­nait ses spec­ta­cles au Théâtre de cham­bre du Deutsches The­ater, Ben­no Besson présente une mise en scène qui devien­dra vite une référence, celle du Don Juan de Molière.
En effet, pro­posant à Besson de venir tra­vailler au Berlin­er Ensem­ble, Brecht lui avait assigné, entre autres, une tâche à ses yeux déter­mi­nante : opér­er une péné­tra­tion véri­ta­ble et cri­tique de l’oeuvre de Molière dont la représen­ta­tion en Alle­magne s’é­tait can­ton­née dans une con­ven­tion idéal­isée et intim­i­dante du XVIle. A l’im­age d’un théâtre français perçu depuis le XVIlle et des cri­tiques vir­u­lentes adressées con­tre lui par Less­ing et Lenz comme hégé­monique, voire car­ré­ment impéri­al­iste.

De cette rel­a­tive dif­fi­culté de départ, de ce hand­i­cap objec­tif, Besson sut tir­er avan­tage et, prof­i­tant de son éloigne­ment momen­tané de l’u­nivers fran­coph­o­ne, put abor­der le texte de Molière avec la naïveté sen­si­ble, la lib­erté esthé­tique et la lucid­ité poli­tique néces­saires au démi­nage périlleux d’une tra­di­tion bour­geoise ayant imposé, avec les siè­cles, une lec­ture uni­voque, assu­jet­tie aux con­cepts pré­ten­du­ment éter­nels du bon goût et du bel esprit.

En 1952, à Ros­tock, Besson effec­tua une pre­mière tra­duc­tion-adap­ta­tion du Don Juan en col­lab­o­ra­tion avec Elis­a­beth Haupt­mann, amie de longue date de Brecht.

Besson s’ap­puya sur une com­préhen­sion non dog­ma­tique du matéri­al­isme his­torique, une approche active et sen­suelle de la dialec­tique.
Il réin­tro­duit avec vigueur la dimen­sion comique pro­pre à cette pièce (générale­ment évac­uée au prof­it d’une vision dra­ma­tique­ment sub­limée) et réac­ti­va dans le même mou­ve­ment sa dimen­sion poli­tique.
Il mit à prof­it sa con­nais­sance com­plé­men­taire de la tra­di­tion française orig­inelle (pour autant qu’on l’ap­préhende dans ce qu’elle a de frag­ile et d’in­cer­tain et pas de pré­ten­du­ment authen­tique et défini­tif) et du tra­vail exem­plaire effec­tué en 1910 par Vsevolod Mey­er­hold sur cette même pièce.
Besson inter­vint, non seule­ment sur la struc­ture clas­sique de la pièce, la ramenant de cinq à qua­tre actes, mais égale­ment sur la fable, le lan­gage et la dis­tri­b­u­tion : écrivant de nou­velles scènes, inven­tant des per­son­nages. Un tel traite­ment de l’œu­vre clas­sique pre­nait en compte la réal­ité d’o­rig­ine (le XVIIe) non d’un point de vue étroite­ment soci­ologique ou archéologique mais dans une per­spec­tive résol­u­ment dialec­tique, se jouant des échos comme des écarts, artic­u­lant mémoire du passé et atten­tion au présent.
Sur la base de cette ver­sion ini­tiale, à l’oc­ca­sion de la reprise du Don Juan au Berlin­er men­tion­née plus haut ; Brecht établit un nou­veau texte avec la com­plic­ité d’Elis­a­beth Haupt­mann et de Besson, revis­i­tant plusieurs anci­ennes tra­duc­tions alle­man­des de la pièce, en par­ti­c­uli­er celle d’Eu­gen Neresheimer.

En 1953, en vue de son inscrip­tion au réper­toire du Berlin­er Ensem­ble, Bertolt Brecht demande à Elis­a­beth Haupt­mann et à Ben­no Besson de se charg­er de l’élab­o­ra­tion d’une nou­velle ver­sion de La vie de Galilée.
Ceux-ci établirent un pre­mier texte a, par­tir de la ver­sion prim­i­tive (1938 – 39, exil au Dane­mark), de la ver­sion améri­caine effec­tuée en étroite col­lab­o­ra­tion avec Charles Laughton (1944 – 47, exil aux Etats-Unis) ain­si que de divers doc­u­ments com­plé­men­taires (frag­ments, ébauch­es, hypothès­es et pho­tos issus de la péri­ode améri­caine):

Deux ans plus tard, Brecht, fort de ce tra­vail pré­para­toire, écriv­it la ver­sion que l’on con­nait de La vie de Galilée (celle qui fut jouée à Berlin, six mois après la mort de Brecht, le 15 Jan­vi­er 1957, dans une mise en scène d’Erich Engel).

En 1953, Besson et E. Haupt­mann font une pre­mière tra­duc­tion de The recruit­ing Offi­cer (1706) de George Far­quhar. En leur com­pag­nie, Brecht l’adap­ta, la réécriv­it pour en faire Tam­bours et trompettes.

L'oiseau vert d’après Carlo Gozzi. Photo Yves Gallois.
L’oiseau vert d’après Car­lo Gozzi. Pho­to Yves Gal­lois.

En 1958, deux ans après la dis­pari­tion de Bertolt Brecht, Besson quitte le Berlin­er. Selon les sit­u­a­tions, au gré des pro­gram­ma­tions, au fil des désirs, Ben­no Besson s’est régulière­ment retrou­vé dans la posi­tion de tra­duc­teur-adap­ta­teur-met­teur en scène.
Qu’il nous suff­ise d’énumér­er, pour mémoire, les réal­i­sa­tions suiv­antes :
- A Franc­fort, en 1959, de nou­veau en col­lab­o­ra­tion avec Elis­a­beth Haupt­mann, Les deux gen­til­shommes de Vérone, pre­mier tra­vail de Besson sur Shake­speare. Des les débuts du Berlin­er, Brecht souhaitait vive­ment que Besson engage une démarche sur Shake­speare, con­scient qu’il était de la néces­sité de recon­sid­ér­er l’in­ter­pré­ta­tion shake­speari­enne tra­di­tion­nelle en Alle­magne, issue pour l’essen­tiel des tra­duc­tions roman­tiques de Schlegel et de ses con­tem­po­rains.
- Au Deutsches The­ater de Berlin-Est, Molière : Tartuffe. En 1963. En col­lab­o­ra­tion avec le dra­maturge est-alle­mand, Hart­mut Lange.
- Dans la même insti­tu­tion, en 1965, Le drag­on d’Evgueni Schwartz, adap­ta­tion avec la col­lab­o­ra­tion du même H. Lange.

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Écrit par philippe macasdar
Philippe Macas­dar a mis en scène notam­ment Fer­nan­do Arra­bal, Peter Weiss, Michel Vinaver, Michel Deutsch, Franz Xaver Kroetz,...Plus d'info
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