Cet article a été publié dans l’ouvrage édité par la Comédie de Genève et le Théâtre de la Ville à Paris pour accompagner les représentations franco-suisses du Dragon d’Evguéni Schwartz, mis en scène par Benno Besson. (septembre 1985)
La version française du Dragon d’Evguéni Schwartz par Benno Besson se signale avant tout comme celle d’un homme de théâtre, d’un praticien de la scène averti. Elle prend racine dans une expérience complémentaire de l’écriture et du plateau. Il n’est pas sans intérêt de rappeler, ici, schématiquement, les composantes essentielles de la formation de Benno Besson :
- le théâtre de tréteaux, la pratique des tournées, l’apprentissage du métier de comédien sur le tas avec Jean-Marie Serreau ;
- l’université de Zürich en philologie où il se passionne pour les langues romanes et anglaise, leurs civilisations et leurs mythes :
- la fréquentation des exilés allemands du nazisme, la rencontre avec Brecht, le départ pour Berlin-Est (où il était prévu qu’il n’y reste que deux ans…), la participation à l’édification du Berliner Ensemble, les premiers travaux de mise en scène et d’adaptation. Cela pour dire que Besson s’est toujours senti proche des dramaturges-acteurs-chefs de troupe et que ceux-ci font partie de ses auteurs préférés : Shakespeare, Molière, Brecht..
Voilà pourquoi sa démarche de metteur en scène prend corps au travers d’une curieuse alchimie ou la réflexion sensuelle le dispute au pragmatisme analytique.
Sa première mise en scène en langue allemande provoque simultanément son premier travail d’écriture. En 1952, il monte Le procès de Jeanne d’Arc à Rouen. Il s’agit de l’adaptation par Brecht en collaboration avec Besson d’une pièce radiophonique due à la grande romancière est-allemande Anna Seghers (celle-ci représentait à l’époque ce que Christa Wolf représente aujourd’hui pour les deux Allemagne).
En réalité, des son arrivée au Berliner Ensemble, en 1949, Besson travaille conjointement comme assistant a la mise en scène, comédien et collaborateur de Brecht pour l’écriture de plusieurs de ses pièces, essentiellement consacrées à la traduction et à l’adaptation d’œuvres du passé, dans la perspective de l’élaboration critique d’un répertoire susceptible de participer au redressement, à la reconstruction culturelle et idéologique d’une Allemagne doublement traumatisée par le nazisme et la guerre.
En 1950, Besson fait ses premiers pas comme acteur ainsi que comme collaborateur pour Le précepteur. adaptation par Brecht de la comédie de Jakob Lenz. Pour ses débuts, il intervient plus spécialement sur le montage des scènes dans le cadre d’une nouvelle narration de la pièce de Lenz, participant également à la réécriture de quelques scènes. A l’image de l’esprit de collaboration ouverte et dialectique insufflé par Brecht, Besson met la main à la pâte dramaturgique et spectaculaire. De ces années d’apprentissage, la pratique future de Benno Besson ne cessera de se nourrir pour avancer. Et pour changer.
Besson, dés la mort de Brecht, et déjà de son vivant, tout en reconnaissant l’influence décisive que celui-ci représentait dans son parcours artistique et biographique, ne revendiqua jamais un quelconque droit d’héritage, se refusant farouchement à toute récupération dogmatique et à tout suivisme servile.
En cela, avec le temps, il apparait singulièrement fidèle à la mémoire d’un Brecht complexe et protéiforme, celui des années de jeunesse comme celui de l’exil comme celui de l’âge mûr : contradictoire, mouvant, insaisissable.
Pour l’ouverture du Theater am Schiffbauerdamm (1954), nouvellement construit pour le Berliner qui jusque là répétait dans une salle partiellement désaffectée et donnait ses spectacles au Théâtre de chambre du Deutsches Theater, Benno Besson présente une mise en scène qui deviendra vite une référence, celle du Don Juan de Molière.
En effet, proposant à Besson de venir travailler au Berliner Ensemble, Brecht lui avait assigné, entre autres, une tâche à ses yeux déterminante : opérer une pénétration véritable et critique de l’oeuvre de Molière dont la représentation en Allemagne s’était cantonnée dans une convention idéalisée et intimidante du XVIle. A l’image d’un théâtre français perçu depuis le XVIlle et des critiques virulentes adressées contre lui par Lessing et Lenz comme hégémonique, voire carrément impérialiste.
De cette relative difficulté de départ, de ce handicap objectif, Besson sut tirer avantage et, profitant de son éloignement momentané de l’univers francophone, put aborder le texte de Molière avec la naïveté sensible, la liberté esthétique et la lucidité politique nécessaires au déminage périlleux d’une tradition bourgeoise ayant imposé, avec les siècles, une lecture univoque, assujettie aux concepts prétendument éternels du bon goût et du bel esprit.
En 1952, à Rostock, Besson effectua une première traduction-adaptation du Don Juan en collaboration avec Elisabeth Hauptmann, amie de longue date de Brecht.
Besson s’appuya sur une compréhension non dogmatique du matérialisme historique, une approche active et sensuelle de la dialectique.
Il réintroduit avec vigueur la dimension comique propre à cette pièce (généralement évacuée au profit d’une vision dramatiquement sublimée) et réactiva dans le même mouvement sa dimension politique.
Il mit à profit sa connaissance complémentaire de la tradition française originelle (pour autant qu’on l’appréhende dans ce qu’elle a de fragile et d’incertain et pas de prétendument authentique et définitif) et du travail exemplaire effectué en 1910 par Vsevolod Meyerhold sur cette même pièce.
Besson intervint, non seulement sur la structure classique de la pièce, la ramenant de cinq à quatre actes, mais également sur la fable, le langage et la distribution : écrivant de nouvelles scènes, inventant des personnages. Un tel traitement de l’œuvre classique prenait en compte la réalité d’origine (le XVIIe) non d’un point de vue étroitement sociologique ou archéologique mais dans une perspective résolument dialectique, se jouant des échos comme des écarts, articulant mémoire du passé et attention au présent.
Sur la base de cette version initiale, à l’occasion de la reprise du Don Juan au Berliner mentionnée plus haut ; Brecht établit un nouveau texte avec la complicité d’Elisabeth Hauptmann et de Besson, revisitant plusieurs anciennes traductions allemandes de la pièce, en particulier celle d’Eugen Neresheimer.
En 1953, en vue de son inscription au répertoire du Berliner Ensemble, Bertolt Brecht demande à Elisabeth Hauptmann et à Benno Besson de se charger de l’élaboration d’une nouvelle version de La vie de Galilée.
Ceux-ci établirent un premier texte a, partir de la version primitive (1938 – 39, exil au Danemark), de la version américaine effectuée en étroite collaboration avec Charles Laughton (1944 – 47, exil aux Etats-Unis) ainsi que de divers documents complémentaires (fragments, ébauches, hypothèses et photos issus de la période américaine):
Deux ans plus tard, Brecht, fort de ce travail préparatoire, écrivit la version que l’on connait de La vie de Galilée (celle qui fut jouée à Berlin, six mois après la mort de Brecht, le 15 Janvier 1957, dans une mise en scène d’Erich Engel).
En 1953, Besson et E. Hauptmann font une première traduction de The recruiting Officer (1706) de George Farquhar. En leur compagnie, Brecht l’adapta, la réécrivit pour en faire Tambours et trompettes.

En 1958, deux ans après la disparition de Bertolt Brecht, Besson quitte le Berliner. Selon les situations, au gré des programmations, au fil des désirs, Benno Besson s’est régulièrement retrouvé dans la position de traducteur-adaptateur-metteur en scène.
Qu’il nous suffise d’énumérer, pour mémoire, les réalisations suivantes :
- A Francfort, en 1959, de nouveau en collaboration avec Elisabeth Hauptmann, Les deux gentilshommes de Vérone, premier travail de Besson sur Shakespeare. Des les débuts du Berliner, Brecht souhaitait vivement que Besson engage une démarche sur Shakespeare, conscient qu’il était de la nécessité de reconsidérer l’interprétation shakespearienne traditionnelle en Allemagne, issue pour l’essentiel des traductions romantiques de Schlegel et de ses contemporains.
- Au Deutsches Theater de Berlin-Est, Molière : Tartuffe. En 1963. En collaboration avec le dramaturge est-allemand, Hartmut Lange.
- Dans la même institution, en 1965, Le dragon d’Evgueni Schwartz, adaptation avec la collaboration du même H. Lange.



