Hommage à Peter Wyssbrod
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Hommage à Peter Wyssbrod

Le 18 Fév 1986
Article publié pour le numéro
Le théâtre en Suisse Romande-Couverture du Numéro 25 d'Alternatives ThéâtralesLe théâtre en Suisse Romande-Couverture du Numéro 25 d'Alternatives Théâtrales
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Ce texte a été pub­lié dans Pas­sages,
n°1, sep­tem­bre 1985. 

Photos Wolfgang Keseberg
Pho­tos Wolf­gang Kese­berg

Cet homme me touche au vif de ma chair et de mon esprit. Mais je ne sais pas si c’est le meilleur moyen de lui ren­dre hom­mage que de le cou­vrir de mots fleuris. On aurait plutôt envie de pren­dre avec lui une bonne cuite et de délir­er à l’in­fi­ni sur les per­spec­tives du théâtre con­tem­po­rain, sachant que le lende­main il n’en restera rien. On ne racon­te pas Wyss­brod comme ça en quelques lignes. Ce serait hor­ri­ble­ment pré­ten­tieux. Il faut le voir pour y croire. out juste peut-on tir­er quelques flèch­es avec l’arc ten­du par son bras. Jeu dan­gereux, sûre­ment. Allons‑y tout de même, quitte à ce que la flèche nous revi­enne et nous transperce. Alors ? Eh bien, on se baladera dans la rue avec la poitrine transper­cée : pitoy­able revenant d’un drame sanglant et haute­ment comique sur la con­di­tion mis­érable de Thomme de théâtre dans le monde con­tem­po­rain.

Hom­mage à la con­ven­tion
D’abord, cha­peau bas, Wyss­brod est de ceux qui se ser­vent de Shake­speare non pas pour se regarder au tra­vers ou pour se sub­limer à la lumière de sa grandeur, mais pour met­tre à mal la lour­deur des con­ven­tions qui prési­dent au culte shake­spearien. Après avoir ren­con­tre Wyss­brod, on ne peut plus vrai­ment se pren­dre au sérieux devant Shake­speare, comme d’ailleurs devant n’im­porte quel clas­sique. Notre cuistrerie nous ferait mal au cœur. Mais cela n’est pas l’essen­tiel. Dis­ons que der­rière ce que j’ai reçu comme une véri­ta­ble mise à sac de nos pré­ten­tions et de nos oppor­tu­nités », des ques­tions brûlantes peu­vent sur­gir. Car notre rela­tion aux textes clas­siques n’est tou­jours pas claire. Notre retour péri­odique à une rela­tion plus con­ven­tion­nelle avec le pub­lic non plus. Que sommes-nous en train de faire ?

Photos Wolfgang Keseberg
Pho­tos Wolf­gang Kese­berg

Faut-il faire aveu de totale Impuis­sance et ray­er les clas­siques du réper­toire Faut-il sys­té­ma­tique­ment sor­tir des bâti­ments de théâtre pour espér­er échap­per a la con­ven­tion ? Tout a été ten­té. Tout a été fait, Il m’ap­pa­rait que depuis quinze ans, nous n’avons cessé de voguer d’une réponse a l’autre, sans jamais pou­voir se fix­er sur une d’en­tre elles, qui serait Sat­is­faisante. Toute vérité existe en son con­traire. Wyss­brod résume tout. Point final. Cela peut-il vouloir dire que réduire Shake­speare aux seules scènes de meurtres et de sui­cides est le meilleur hom­mage que nous soyons capa­bles de lui ren­dre aujourd’hui ? Cela peut-il vouloir dire que réduire le moment de la représen­ta­tion a son entracte est le meilleur hom­mage que l’on puisse ren­dre a la con­ven­tion théâ­trale ? Voilà bien de quoi se taper la tête con­tre les murs !

Ques­tion de vie ou de mort

De qui compte, c’est de savoir en rire. Car rien n’est plus vrai que quelque chose qui rate sur une scène de théâtre. Les acteurs et les met­teurs en scène le savent bien qui vivent dans l’an­goisse per­pétuelle que, sous l’ef­fet d’un petit rien, l’équili­bre pré­caire de l’il­lu­sion théâ­trale s’écroule : un pro­jecteur mal vis­sé, un pan­neau mal fixe, un rideau de scène enrail­lé. Le trou de texte enfin, le fameux blanc, la han­tise essen­tielle. Il faut en rire, car nous ne sommes que des fab­ri­cants d’illusions. Le monde que nous créons n’ex­iste pas. Et pour­tant, tout ce qui le men­ace d’anéan­tisse­ment nous pousse vers la tombe. Le non-spec­ta­cle en soi, c’est la mort. Mais le non-spec­ta­cle don­né en représen­ta­tion, c’est la vie. Un fonc­tion­nement dialec­tique essen­tiel. C’est jouir de la déri­sion de notre pro­pre mort : mas­ca­rade, pieds de nez et galipettes con­tre l’ob­scur des­tin qui peut frap­per d’un moment à l’autre l’illusion théâ­trale. Wyss­brod a ressen­ti cela, forte­ment. Tout est bon, absol­u­ment tout, tout est bon à une mise en spec­ta­cle, même une scène vide… ou l’en­vers de la scène.

L’in­stinct sub­ver­sif
Avez-vous déjà assisté à un début de répéti­tion dans n’im­porte quel théâtre du monde, à deux heures de l’après-midi, après un repas bien riche ? Avez-vous déjà vu un met­teur en scène régler des éclairages en cat­a­stro­phe, à qua­tre heures du matin ? Avez-vous déjà été témoin de l’in­croy­able charge spec­tac­u­laire que dégage un comé­di­en ou une comé­di­enne qui se met en colère devant la dif­fi­culté ? Les « états d’âme»les « grandes colères.. les petits scan­dales », les petits et les grands men­songes, les grandes et les petites traitris­es qui jalon­nent la con­fec­tion d’un spec­ta­cle ? Con­nais­sez-vous tout cela ? La médi­ocrité érigée en tal­ent ? Le culot en coup de génie ? Le men­songe en vérité ? Savez-vous que cela existe ?

Mais savez-vous que l’il­lu­sion pour laque­lle nous tra­vail­lons est plus vraie que nature Qu’il nous arrive de jouir très fort à faire par­ler un per­son­nage de 1560 ou de 1770 ou d’hi­er ou d’aujourd’hui nous-mêmes, car c’est de nous qu’il s’ag­it, au-delà de nous-mêmes ? Savez vous que l’odeur des couliss­es d’un vieux théâtre, un « man­teau d Arle­quin » déchire, des vieux pan­neaux crevés peu­vent encore nous émou­voir. jusqu’aux larmes. Savez-vous, enfin, qu’un vieux théâtre près de s’écrouler est plus pré­cieux qu’une banque ou un park­ing ? Nos caprices et nos fan­taisies sont à pren­dre tout à fait au sérieux, car nous sommes capa­bles d’en faire la déri­sion comme Wyss­brod devant vous quand vous voulez.
Cet homme me touche au vif, car il rassem­ble en lui-même tout ce pourquoi nous tra­vail­lons. Il a l’in­stinct sub­ver­sif en lui. Nous exis­tons pour le cul­tiv­er par nous-mêmes.

Hom­mage au théâtre
de et par Peter Wyss­brod
Adap­ta­tion française
de Roland Bra­chet­to

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