« Corrections »

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Le 21 Nov 1989

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Thomas Bernhard-Couverture du Numéro 34 d'Alternatives ThéâtralesThomas Bernhard-Couverture du Numéro 34 d'Alternatives Théâtrales
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UN homme, le nar­ra­teur, s’installe dans la mansarde Häller. Son but : met­tre de l’ordre dans les papiers d’un sui­cidé : Roithamer, 42 ans, biol­o­giste, pro­fesseur à Cam­bridge, archi­tecte, qui con­stru­it pour sa sœur un cône par­fait, matéri­al­i­sa­tion de l’éd­i­fice idéal. 

Qui est ici le nar­ra­teur ? Quelle est sa for­ma­tion ? Quelle pro­fes­sion exerce-t-il ? 

Sou­vent, les réc­its de Thomas Bern­hard met­tent en scène des cou­ples com­plé­men­taires, des fig­ures gémel­laires. Dans « Arras », l’un des frères penche pour ce que l’allemand appelle les « sci­ences de l’e­sprit », les sci­ences humaines. L’autre, pour les « sci­ences de la nature » ou les sci­ences exactes. 

Qui évoque ce cou­ple, pense au mythe de l’amour jumeau dans le ban­quet de Pla­ton et aus­sitôt se voit sug­gér­er que Bern­hard essaie de met­tre la sci­ence en scène, tels deux frères irré­c­on­cil­i­ables, mal­gré leur car­ac­tère gémel­laire. 

L’op­po­si­tion dans la com­plé­men­tar­ité, les cou­ples antag­o­nistes se retrou­vent à d’autres niveaux : classe sociale dif­férente. Mais il y a aus­si dans les réc­its le haut et le bas, le clair et l’obscur, la ville et la cam­pagne, etc…ou la sin­gu­lar­ité de Roithamer par rap­port à la famille, la mar­gin­al­ité et la ‘nor­mal­ité, l’être et l’avoir. 

Roithamer et sa sœur refusent tous deux l’héritage dans tous les sens du terme. D’une cer­taine manière, ils pré­ten­dent vivre sans acquis, sans his­toire avant eux. Ce seront donc des dérac­inés parce qu’ils pré­ten­dent que le monde com­mence avec eux et dans ce monde, ils refuseront l’avoir au prof­it de l’être, et se con­damnent par là à l’ex­il parce qu’ils veu­lent un monde à leur mesure et non à la mesure du passé oppres­sant. 

Ce que Roithamer con­stru­it, c’est un édi­fice ques­tion­nant, un édi­fice d’in­quié­tude et d’interrogations qui fini­ra par se retourn­er con­tre lui pour le tuer. Le cône, la con­struc­tion est l’axe autour duquel tour­nent toutes les ques­tions. Et ce lieu, ce bâti­ment est inter­rogé depuis une mansarde sous le faîte d’un autre toit. 

Cette mansarde Hôller n’est pas sans évo­quer Hélder­lin (ses amis l’appellaient Hôlder­le) qui dans sa démence trou­va refuge chez un menuisi­er du nom de Zim­mer. 

Là il arrive à Hôlder­lin de jouer de la musique à tue-tête des heures durant. 

Le lieu, les lieux, la ques­tion de l’i­den­tité, la phrase banale : qui sommes-nous, d’où venons-nous, où allons-nous. Avoir le courage d’af­fron­ter cette banal­ité dans ses préoc­cu­pa­tions. 

Les Wittgen­stein, Lud­wig, Paul mais aus­si toute la famille ne cessent de mar­quer l’œuvre de Bern­hard.

Richissime famille dont la for­tune se con­stru­it en moins de 50 ans, dans la reprise des fer­mes en fail­lite d’abord, des forges ensuite, dev­enue l’égale des Krupp, Sko­da, Carnegie parce qu’ils sont habités par un esprit éclairé, qui com­prend que l’époque placée sous le signe d’une muta­tion pro­fonde entre dans une révo­lu­tion per­ma­nente, mar­quée par une accéléra­tion du temps et une néces­sité d’in­nover sans cesse. 

Cepen­dant, l’immobilisme d’une aris­to­cratie con­ser­va­trice au pou­voir domine l’Empire autrichien de l’époque. La nou­velle haute bour­geoisie qui détient les rênes de la vie économique est pour­tant écartée de la vie poli­tique. Désireuse de témoign­er de son dynamisme et de son esprit d’entreprise, cette classe sociale investit dans l’art d’avant-garde de l’époque. 

Tout ce que Vienne compte alors de créa­teurs défile chez les Wittgen­stein. Ils aident Brahms, Clara Schu­mann, Pablo Casals, Mahler mais aus­si Klimt pour lesquels ils con­stru­isent le Palais de la Séces­sion. 

Néan­moins, dans cette famille où la for­tune sem­ble ne pas cess­er de sourire, des drames se pré­par­ent. Les 5 fils de la famille par­mi lesquels Paul et Lud­wig avouent tour à tour leur homo­sex­u­al­ité et, se dés­in­téres­sant des affaires, mar­quent leur pen­chant pour l’art. Résul­tat : 3 des enfants mâles se sui­ci­dent. 

Le plus célèbre des 2 sur­vivants, c’est sans doute Lud­wig, le philosophe, celui qui refuse l’héritage. 

Enfant sur­doué, il rêvait à l’image de Bern­hard, de devenir chef d’orchestre ou médecin. Sa vie sera beau­coup plus sin­ueuse, beau­coup plus tour­men­tée. 

Après des études d’ingénieur à Berlin et Man­ches­ter, il se con­sacre d’abord à des travaux d’aéronautique, anticipe en 1907 le tur­boréac­teur. Ayant touché aux lim­ites de ce domaine de la recherche, il se penche sur les fonde­ments de la math­é­ma­tique, dis­cute avec le logi­cien Frege, lequel avoue que Lud­wig a mis le doigt sur les véri­ta­bles prob­lèmes de l’époque. Il ren­con­tre alors Rus­sel, dont il suit les cours Cam­bridge et se lie d’amitié avec lui. Rus­sel le présente Vir­ginia Woolf, Kather­ine Mans­field, Keynes, etc…

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