SUR UN CONTINENT confronté à d’énormes déséquilibres politiques, économiques, culturels et sociaux, parler des conditions de la création, de la production et de la diffusion du théâtre d’Afrique noire est certainement une gageure. Ne serait-il pas plus réaliste d’utiliser le mot noncondition, vu l’absence de moyens techniques et financiers ? Et « pourtant elle tourne » dirait un de nos grands philosophes, car ce serait sans compter sur la volonté des créateurs et la nécessité absolue de faire entendre leur VOIX.
La musique africaine a acquis ses lettres de noblesse. Le cinéma est sur le même chemin. Pourquoi le spectacle vivant, au-delà des prestations folkloriques, resterait-il sur la touche ? Sans mystifier, il faut arrêter de croire qu’il ne se passe rien. Malgré les difficultés de tous ordres, les productions africaines existent. La situation n’est bien évidemment pas idyllique, mais sachons reconnaître ce qui est là, et ceux qui se battent pour que vive un théâtre africain de qualité : auteurs, acteurs, metteurs en scène, producteurs…, africains et occidentaux !
Le dynamisme des créateurs qui revendiquent le droit de travailler dans leur pays et qui se battent pour trouver les moyens de leur action, a fait comprendre à bon nombre de partenaires que c’est dans des structures de création efficaces et durables que se trouve l’avenir du théâtre en Afrique. Cependant, sans tomber dans « l’Afropessimisme », il faut bien admettre que l’état des lieux laisse à désirer : aucune reconnaissance sociale du métier d’artiste, pas de soutien des gouvernements africains, des théâtres nationaux englués dans le fonctionnariat et l’absence d’évolution, des moyens financiers mis à disposition par les seuls pays occidentaux, quelques subsides pour la diffusion et rien pour la production, et puis, et surtout, l’isolement des créateurs, le risque de la prise de parole, la précarité des compagnies, la défection des acteurs et la quasi-impossibilité de vivre de son métier.
Si l’on voulait faire un état des lieux du théâtre d’Afrique noire, il faudrait avant tout prendre en compte que nous parlons d’un continent et qu’il est immense, que les artistes d’Afrique noire ne vivent pas forcément dans leur pays d’origine et que beaucoup d’entre eux sont installés en Europe, que ce théâtre vit et existe très souvent en étroite collaboration et avec le soutien d’artistes occidentaux et que l’argent a, au départ et à quelques exceptions près, la couleur des francs français, belges et suisses, du dollar, du deutschmark, de la lire ou de la livre sterling !
Une fois ce constat posé sur la table, abordons l’essentiel. Il faut parler des auteurs et des dramaturges qui sont si prolifiques. Le concours théâtral interafricain de Radio France Internationale reçoit chaque année des milliers de textes. Certains ont la chance d’être sélectionnés ou soutenus par la Fondation Beaumarchais à Paris, le CEAD à Montréal ou le Festival des Francophonies en Limousin. Quelques éditeurs, comme les éditions Lansman ou l’Harmattan, prennent le risque de publier les textes en sachant qu’il seront avant tout destinés à la vente en Europe. La diffusion du livre en Afrique, et du théâtre en particulier, se heurte à l’absence de réseaux de distribution et de points de vente, aux prix prohibitifs et à l’analphabétisme. Et pourtant, les bibliothèques et les centres de documentation des centres culturels étrangers sont utilisés à plein rendement. La soif de connaissances et d’écriture est immense.
Le théâtre africain a évolué depuis l’époque de l’école William Ponty1 et les « pères de la négritude ». L’antillais Aimé Césaire, le sénégalais Léopold Sédar Senghor ou l’ivoirien Bernard Dadié ont enfanté des Sony Labou Tansi2 et des Maxime N’Debeka au Congo, des William Sassine en Guinée, des Wole Soyinka au Nigeria qui eux-mêmes ont ouvert la voie à des Kossi Efoui au Togo, à des Koffi Kwahulé en Côte d’Ivoire, des Moussa Konaté au Mali qui euxmêmes sont suivis de près par des Landu Mayamba au Zaïre ou des Koulsy Lamko au Tchad, etc. etc. On est passé, dans le désordre, de la revendication d’être nègre au rejet des colonisateurs, du retour aux sources à la recherche des traditions, de la dénonciation des dictateurs à la volonté d’une expression libre, du théâtre poétique au théâtre « utile », de l’affirmation de soi à l’envie de dire et d’être.
Tous ces auteurs et bien d’autres ont posé les bases de l’esprit des théâtres d’Afrique noire et offrent aux troupes des mots pour parler de leur quotidien, de leurs plaisirs, de leurs rêves, de leurs sensations, de leurs révoltes. Le sérieux côtoie le mystique, l’emphase est entrecoupée par la danse, les chants sont omniprésents et l’humour n’est, heureusement, jamais oublié.
Ainsi, les acteurs passent allègrement du texte, aux mouvements des corps et à l’expression vocale. On trouve cette multidisciplinarité dans la plupart des groupes constitués. Le Kotéba d’Abidjan dirigé par le guinéen Souleymane Koly utilise toutes ces techniques pour nous parler de la vie quotidienne dans les grandes métropoles avec COMMANDANT JUPITER ET SES BLACKS NOUCHIS ou avec ADAMA CHAMPION ou pour nous raconter la grande épopée de l’empire Mandingue avec WARAMBA. La camerounaise Werewere Liking qui dirige la Villa Ki Yi dans cette même ville d’Abidjan maîtrise parfaitement avec sa troupe les techniques du chant, de la musique, de la danse, de la marionnette et du texte dramatique quand elle nous propose UN TOUAREG S’EST MARIÉ AVEC UNE PyGMÉE. La compagnie du togolais Danaye Kanlanfei a fait le tour du monde avec ses marionnettes à fil. Ses manipulateurs sont comédiens, danseurs, musiciens et conteurs.
Le plus difficile pour Les compagnies n’est pas de trouver les idées ou les textes, mais certainement de pouvoir travailler à long terme et de présenter leurs spectacles dans le pays où ils résident, et pour plus d’une seule représentation. C’est pourquoi certains ont fait le choix de se battre pour faire vivre dans leur ville un lieu de création et de diffusion.
C’est le cas de Werewere Liking à Abidjan, de Katanga Mupey du Théâtre des Intrigants à Kinshasa au Zaïre ou de Vincent Mambachaka de l’Espace Linga Tere à Bangui en Centrafrique. Chacun à leur manière, ils proposent un espace de parole sans soutien de leurs pouvoirs de tutelle respectifs. Les troupes et les acteurs sont souvent très nombreux. Faire vivre ces lieux demande beaucoup d’abnégation et de persévérance. Les gens de théâtre savent que les recettes des spectacles sont quelquefois négligeables. En Afrique noire, elles sont souvent insignifiantes et cela ne peut en être autrement. Alors, on fait appel aux sponsors (grands hôtels ou marques de bière qui vont payer la publicité) mais cela ne suffit pas pour rémunérer le travail des artistes. Le Ministère français de la Coopération (et l’association « Afrique en créations ») intervient sur certaines productions. Quelques organismes participent ponctuellement à des co-productions. Néanmoins, les soutiens financiers à la production et les achats de spectacles sont rares et souvent peu importants.
C’est dans ce contexte qu’entrent en jeu les centres culturels étrangers, les services culturels des ambassades, les organisations internationales et les organisations non gouvernementales (ONG) . Ils mettent à disposition leurs salles de spectacles pour les répétitions et leur matériel technique pour les enregistrements. Ils achètent des spectacles, passent des commandes et souvent aident à la diffusion. À leur initiative, des festivals ont vu le jour sur le continent : le Marché des arts du spectacle africain à Abidjan (MASA) organisé par l’Agence de Coopération Culturelle et Technique (’ACCT, organisme intergouvernemental francophone) et le gouvernement ivoirien, le Festival International de Théâtre du Bénin (FITHEB) organisé par le Ministère français de la Coopération et le gouvernement béninois. D’autres festivals, moins soutenus financièrement et organisés par des compagnies indépendantes, prennent aussi une place significative : le Festival de Théâtre pour le Développement de Ouagadougou organisé par l’Atelier Théâtre Burkinabé (Prosper Kompaoré), les Journées Zaïroises du Théâtre pour et par l’Enfance et la Jeunesse à Kinshasa (JOUZATE), organisées par le Théâtre des Intrigants), le Festival international de l’acteur organisé par l’Ecurie Maloba à Kinshasa, le Festival de l’‘Unedo à Ouagadougou organisé par le Théâtre de la Fraternité (Jean-Pierre Guingané). Toutes ces manifestations ont une vocation internationale et dans ce sens elles remplissent un rôle très important de contacts et d’échanges artistiques. Elles permettent de lutter contre l’isolement, de voir les créations des autres artistes et de montrer les spectacles aux diffuseurs potentiels.
Vendre un spectacle en Europe ou co-produire un spectacle en collaboration avec des artistes occidentaux est souvent une stratégie prioritaire pour les troupes africaines. Et pourquoi le leur reprocher ? Quand on sait que la diffusion du théâtre africain sur le continent se heurte à des montagnes d’incommunicabilité : mauvais fonctionnement du réseau téléphonique et des postes, absence de collaboration entre Les pays, coûts des déplacements élevés, moyens de transport non fiables, etc. C’est ainsi que certaines troupes collaborent avec les artistes ou les producteurs du nord pour faire entendre leur voix.
Beaucoup d’auteurs et d’acteurs faisant partie des troupes accueillies en Europe choisissent de rester. Les responsables de troupes se plaignent de la défection de leurs artistes lors des tournées. Le manque de moyens pour vivre de son métier, le manque de liberté sont des facteurs essentiels. Certains acteurs viennent en Europe pour suivre une formation et travailler dans des conditions professionnelles. On entre là dans un cercle vicieux dont il est bien difficile de sortir. Si les acteurs ayant une expérience et une formation ne travaillent plus dans leur pays, les troupes locales n’auront aucune chance de progresser, et, si elles ne progressent pas, les acteurs qui souhaitent aller de l’avant continueront à s’expatrier.
«IL Y A EU à un moment donné une fausse couche. Il «faut en parler, elle est à l’image du…

