THÉÂTRE, mon théâtre, notre théâtre ! Qu’y suis-je ? Comédien ou acteur ?
À naviguer entre deux eaux, moi, interprète de rôle au théâtre, dans cette ville d’Afrique noire francophone, je ne sais plus vers quel cap je rame. Galère de chauve-souris. Ni mammifère, ni oiseau. Une hybridité qui me suspend entre un rôle que j’assume sur scène un soir et qui me colle à la peau et un statut de comédien que je n’ai pas puisqu’officiellement l’on ne reconnaît pas la valeur de métier au travail monstre que j’abats. « Je ne vis pas de mon art. » Ce n’est pas moi qui le dis. L’on veut qu’il en soit ainsi !
Acteur ! Le public, mon public se prend les orteils dans le piège. Pour avoir joué un rôle, je suis le rôle. « Jouer ergo sum ». Bintou avait raison de manifester tant de réticence à interpréter un rôle de prostituée. Elle se serait fait prendre pour une vraie au quotidien et… son fiancé lui aurait dit « adieu » après le bannissement de ses parents.
On raconte qu’un « white » ayant interprété avec brio le rôle d’un raciste dans L’ÉTUDIANT DE SOWÉTO1 dans une bourgade sahélienne, à sa grande surprise, s’est retrouvé assailli par des souliers et sandales et autres projectiles bien placés par des spectateurs un peu trop rancuniers. Il était le raciste. Et « si ce n’est lui c’est donc un de ses frères. sans doute l’un des siens ». Il était l’apartheid à abattre !
Comédien ! L’ère des troupes nationales est révolue. Fonctionnarisées, sclérosées, à court d’inspiration puisque créer n’était pas une nécessité pour faire bouillir la marmite. Mon ministre de la culture se tait lorsque son homologue de la jeunesse et du sport réclame à coup de sifflet les jetons du budget national pour les footballeurs ! Ne parlez pas de subventions à octroyer à des compagnies d’inquiéteurs publics que sont les gens de théâtre. Il y a une échelle des besoins et creuser des puits est prioritaire. Et puis d’où viennent-ils ces enfants nourris aux poubelles des nantis ou rebuts du système scolaire absurde qui secrète plus de mélasse que de jus. D’ailleurs nous y sommes venus. au théâtre en dilettantes, amateurs puisque nombre d’entre nous ont un autre job pour nourrir leur famille. Évidemment le metteur en scène ne peut trop exiger d’eux. Ils sont mutés par-ci, envoyés en recyclage par là…, menacés de divorce par leur partenaire conjugal qui estime faire les frais d’un art trop accaparant…Moi j’y suis venu par vocation. et je me suis bien usé les fonds de culotte sur les bancs de l’Institut national des Arts pendant quatre années. et pourtant.
Le griot des temps modernes
J’ai l’intime conviction que je joue dans la société actuelle le rôle du griot d’hier. J’ai le sentiment de cristalliser les arts de la parole que je profère et ceux du mouvement de ce corps que mon génie anime. Historien, poète, héraut, danseur, musicien, je me sens porter le verbe qui détend, amuse, interpelle, convainc, dénonce, prédit. « Porte-gourde » d’une parole vraie dissimulée dans le fouillis des convenances, je n’hésite pas à casser la gourde sur la place publique pour en répandre la vérité… devant le regard de tous. N’en déplaise aux roitelets et aux autres tyranneaux aux pieds d’argile.
En plus de cela, j’apporte un sacré coup de main aux agents sociauxculturels qui se la coulent douce dans les bureaux climatisés. Pour eux, je vais dans les villages, les bidonvilles, afin de faire de la sensibilisation. Fier je suis, parce que je crois que mon théâtre peut être utile aux miens. J’en ai fait mon credo. Longues randonnées sur les pistes à mille nids de poules à faire du kotéba, du théâtre forum pour apprendre aux femmes à conquérir leur droit de parole, à soigner leur enfant mal nourri, et pour mettre mon public en garde contre le SIDA… J’en reviens exténué comme ce soir. mais heureux d’avoir retrouvé les miens avec qui j’ai partagé une calebasse de dolo, une aile de pintade grillée.
Fanta, elle, est formée à l’école du théâtre de la vie. Mais une vraie dynamite sur scène. Cette fille qui a bravé les interdits de sa lignée noble pour faire la,saltimbanque. Formation ou pas, nous sommes tous habités par la même énergie lorsque nos pieds effleurent le carré sacré, le même enthousiasme, la folie de donner tout ce que nous possédons au public. Le metteur en scène aura beau nous dire : « Mets ici ton pied, relève, là, le bout de ton nez », nous sommes animés par cette folie de créer notre personnage, séance tenante.. là sur scène comme le public le souhaite, puisque le public, ce cher public dialogue avec nous, rigole, applaudit, pleure, chahute, menace, commente pendant que nous jouons. Comment voulez-vous que l’on se prive de lui répondre, de jouer avec lui puisqu’il est présent, vivant et exige de faire partie de la pièce à créer ensemble, « in situ » ? Nous serons toujours des griots, des conteurs condamnés à improviser. En plus, nous faisons tout : régie, décors, manutention, installation. C’est sûr, le public qui nous salue dans la rue nous reconnaît bien ce rôle de griot.. mais il a oublié que les griots des temps modernes ne sont pas pris en charge par le roi. Quand je pense que mon grandpère a reçu sa femme, ma grand-mère, en échange d’une mémorable prestation ! Il avait battu le tam-tam pendant vingtquatre heures sans répit lors des funérailles d’un chef de terre. Il en avait les paumes des mains toutes déchiraillées. L’on décida de lui donner en mariage la plus belle fille du village. ma grand-mère !

