S’IL Y A un domaine où tradition et modernité sont confusément définies, c’est bien celui du théâtre au Mali. Car autant le théâtre traditionnel a des contours et une forme très précis, autant le théâtre d’aujourd’hui est imprécis. Qu’est-ce que le théâtre d’aujourd’hui ? Quelles sont les ambitions des nombreuses expériences dans le domaine de La création théâtrale ? Noir !
Quand les Bambara parlent de théâtre, ils disent « Nyogolon » ou « Nyogondon » (ce qui signifie « se connaître les uns les autres »). Ce mot désigne un jeu dramatique global où danses, chants, musique et acrobaties se mêlent. L’élément le plus important du Nyogolon est la fête, une fête de rencontre où les acteurs et les spectateurs jouent tous les rôles, lesquels, pour mieux s’interchanger, n’ont pas été définis ou plus exactement sont indéfinissables.
La forme de langage que l’on peut repérer dans le Nyogolon et qui correspondrait au théâtre occidental est le « Kotéba », sorte de miroir de la communauté qui, pat la parole, met sur la place du village les maux de la société. Les acteurs du Kotéba (Kotédens c’est-àdire les enfants du Kotéba) maîtrisent la parole et l’humour et surtout les techniques de l’improvisation : les personnages mis en scène sont dessinés par le thème du jeu (le cocu, le marabout trompeur, la femme adultère, etc.). La mise en scène du Kotéba prévoit toujours un meneur de jeu qui est en quelque sorte le metteur en scène : il est musicien, il donne la parole, relance le jeu en introduisant un nouveau thème dès qu’il sent tomber le rythme du premier.
Le Kotéba se déroule en cercles dont le point de départ est le meneur de jeu. Les musiciens, en file indienne derrière lui, sont suivis des Kotédens. Les spectateurs arrivés sur la place par petits groupes se mettent dans la file. Le meneur de jeu anime cette foule en tournant en rond, décrivant un premier cercle avec derrière lui tous les musiciens. Un deuxième cercle est formé par les Kotédens. Un, deux, ou trois cercles selon le nombre de spectateurs peuvent se former. Ces trois corps (musiciens, Kotédens, spectateurs) s’installent et occupent la scène en cercles configurant une sorte d’escargot (Kotéba veut dire en bambara « le grand escargot » ).
Cette mise en scène du Kotéba est en fait un jeu où comédiens et spectateurs, c’est-à-dire « espace de jeu » et « espace de regard » sont très proches voire confondus. La règle évidente du jeu est, dès lors, une improvisation permanente des uns et des autres : le Kotéden provoque le spectateur qui, à son tour, aiguillonne le comédien. Le tempo de l’action dramatique est soutenu par les chants et les danses des musiciens.
Dans le Kotéba, il n’y a ni texte ni décor théâtral. Les situations jouées sur la place du village (scène publique de toutes Les fêtes) dans leur fugacité retracent des moments réels et peignent des personnes connues, présentes ou absentes, tout en dédramatisant les antagonismes et les conflits : la « victime » et les autres membres de la société sont remis face à face et la dérision est poussée à son paroxysme. Le Kotéba est un théâtre de « retour au vécu » non pas pour prévoir l’avenir, mais pour réconcilier le présent et Le passé et créer le spectacle.
Coutume par laquelle la vie est en quelque sorte constamment revécue, le Kotéba n’est plus une pratique systématique dans le milieu bambara villageois. Par contre, dans les villes, des spectacles de théâtre s’en inspirent et Le public citadin le découvre.
Au cours des quinze dernières années, le théâtre d’État (le Groupe dramatique national constitué de comédiens fonctionnaires salariés et relevant du ministère de la culture) mais aussi le théâtre privé, se sont « ressourcés » au Kotéba. Les toutes premières créations du Groupe dramatique national et celles des « Nyogolon » de l’association TRACT ont eu un bon accueil auprès du public populaire des villes d’abord, puis des villages.
Ce public lassé des pièces trop « politiques », trop bavardes et peu drôles des biennales artistiques en redemandait pour rire, puisque c’est drôle et parce qu’il comprenait puisque les spectacles étaient joués en bambara. Nous fûmes tous momentanément prokotéba. L’enthousiasme était général.
Mais si, dans le Kotéba, traditionnellement, le décor se confond avec le lieu de jeu, en l’occurrence, la place du village (place réelle de fête avec des murs réels, des arbres réels etc..), ailleurs, dans les nouveaux spectacles de Kotéba, un nombre important d’accessoires surimposent un décor au lieu. Et cela donne des spectacles d’un réalisme inesthétique souvent ennuyeux.
Si l’idée du retour au Kotéba a été une bonne chose sur le plan de l’investigation d’un patrimoine théâtral ancien, son exploitation par les uns et les autres manquait d’imagination. D’un spectacle à l’autre l’ambition véritablement théâtrale s’est émoussée, l’imagination est tombée en panne.
Les Nyogolon, une expérience ou une impasse ?

