Retourner vers les sources de ses premiers émois…
Non classé

Retourner vers les sources de ses premiers émois…

— Rencontre avec Sidiki Bakaba — 

Le 22 Juin 1995
Article publié pour le numéro
Théâtre d'Afrique Noire-Couverture du Numéro 48 d'Alternatives ThéâtralesThéâtre d'Afrique Noire-Couverture du Numéro 48 d'Alternatives Théâtrales
48
Article fraîchement numérisée
Cet article rejoint tout juste nos archives. Notre équipe le relit actuellement pour vous offrir la même qualité que nos éditions papier. Pour soutenir ce travail minutieux, offrez-nous un café ☕

TRENTE ANS de théâtre, acteur, met­teur en scène, cinéaste, pro­duc­teur, à cheval sur plusieurs pays et con­ti­nents, Sidi­ki Bak­a­ba a par­ticipé à toute l’histoire du théâtre africain con­tem­po­rain. For­mé aux pièces clas­siques qu’il a jouées au pays, au départ, avec un détour du côté des arts de la rue et de Gro­tows­ki, ce pio­nnier a vu toutes les évo­lu­tions con­tem­po­raines et a tou­jours tenu un rôle pri­mor­dial. 

« Ce méti­er, je l’ai inven­té, avait-il expliqué dans une inter­view don­née au jour­nal « Libéra­tion », inven­té comme un petit prêtre qui est né avec, qui doit le créer avec ses rites. Chez nous, il y avait une tra­di­tion orale, celle des gri­ots, mais pas de textes. Quand j’ai com­mencé à jouer, je n’avais jamais vu de théâtre, je n’avais jamais vu de pièces, les pro­fesseurs nous fai­saient écouter des dis­ques, mais je ne peux pas dire qu’un acteur m’ait don­né envie de jouer, le théâtre m’a choisi, alors qu’il m’é­tait incon­nu, qu’il n’ex­is­tait pas. »
Cette expéri­ence de créer un méti­er avec un imag­i­naire qui pal­lie tous les man­ques, il la partage avec nom­bre d’artistes africains. Les fonde­ments mêmes du méti­er, on les décou­vre sur le ter­rain. Pour Sidi­ki Bak­a­ba, la nais­sance a dû avoir lieu du côté des boy-scouts avec lesquels il décou­vre la joie des feux de camps et des saynètes. La renais­sance a lieu aux côtés de Bernard Dadié avec la pièce MONSIEUR THÔGÔ-GNINI.
« Dadié a été pour nous un tour­nant, dit-il. Au Théâtre Nation­al de Côte d’Ivoire, nous jouions alors Les clas­siques. C’é­tait pas­sion­nant. Mais avec Bernard Dadié, ce fut autre chose. Nous par­lions de nous. Nous avons qua­si­ment créé MONSIEUR T’HÔGG-GNINI avec lui. Ce fut l’ex­péri­ence de la créa­tion col­lec­tive, l’auteur était là, avec nous, adap­tait son texte au fur et à mesure et nous assis­tions à la genèse de cette pièce.Il y a eu alors un tour­nant décisif, ajoute l’ac­teur, nous avons com­pris ce qu’est un aft vivant. » 

Ils par­tent à tra­vers l’Afrique avec cette pièce et ce voy­age ouvre toutes les per­spec­tives. Au-delà de la Côte d’Ivoire, Sidi­ki Bak­a­ba, à l’in­star de nom­breux jeunes gens de sa généra­tion, se décou­vre africain. C’est effec­tive­ment la péri­ode de la post-indépen­dance, celle des rêves panafricains, de la con­science qui s’éveille à une his­toire com­mune, à un avenir com­mun. 

« Après MONSIEUR THÔGÔ-GNINI, nous avons con­tin­ué à faire du théâtre clas­sique, pour­suit-il, mais surtout, nous avons pra­tiqué Le théâtre de rue. Et c’est là que l’enseignement fut le plus fructueux. On pre­nait des extraits de pièces clas­siques et même des farces du Moyen-Âge et on allait les jouer dans les quartiers pop­u­laires, dans les petits vil­lages alen­tour d’Abidjan, devant les parvis des petites églis­es, à la lueur des lam­pes Petro­max. Il nous fal­lait alors nous adapter con­stam­ment au pub­lic et adapter le texte. Il est évi­dent que nous ne trahis­sions pas Molière, mais on y appor­tait des excla­ma­tions, des tour­nures africaines, un tra­vail du corps pour que le pub­lic, pas oblig­a­toire­ment fran­coph­o­ne, puisse com­pren­dre les vers. Pour faire pass­er le texte, nous étions oblig­és d’u­tilis­er un jeu qui nous soit pro­pre. Et même nous fûmes oblig­és de nous adapter à la con­cep­tion de la scène du pub­lic. L’en­seigne­ment en art dra­ma­tique que nous avions reçu au Con­ser­va­toire était conçu comme celui qui se fai­sait en France : salle avec une scène, pro­jecteurs et pub­lic dans la salle. Là, sur les ter­rains vagues, c’é­tait autre chose. On essayait de trac­er une délim­i­ta­tion, mais le pub­lic nous entourait, nous encer­clait. Il fal­lait tra­vailler avec ce mou­ve­ment cir­cu­laire. Nous trou­vions cela insup­port­able et nous avions honte de ce pub­lic, mais quelle ne fut pas notre sur­prise de voir que tout cela que nous reje­tions était en fait le sujet de recherche du théâtre européen de cette époque-là.. »
Sidi­ki Bak­a­ba se jette dans cette recherche. Sa quête le mène à l’Université Inter­na­tionale du Théâtre à Paris, au Liv­ing The­atre, chez Gro­tows­ki. Il joue, entre autres, BÉATRICE DU CONGO de Bernard Dadié au Fes­ti­val d’Av­i­gnon sous la direc­tion de Jean Marie-Ser­reau, LULU dans la mise en scène de Claude Régy, avec Jeanne More­au, LA DÉPOSSESSION de Sey­dou Bok­oum au Fes­ti­val mon­di­al des arts nègres à Lagos, COMBAT DE NÈGRES ET DE CHIENS avec Patrice Chéreau à Nan­terre, etc. Et saisit en pro­fondeur les prob­lèmes de déphasages et de diglossie que les comé­di­ens africains doivent affron­ter. 

« Il est évi­dent, dit-il, qu’à par­tir du moment où on est dans une école d’art dra­ma­tique, on va appren­dre en français, tra­vailler sur les méth­odes de dic­tion française. Mais l’ac­teur qui ne fait pas un tra­vail sur lui-même, qui ne retourne pas vers Les sources de ses pre­miers émois, et ceux-ci sont dans sa langue mater­nelle, cet acteur-là sera excel­lent tech­nique­ment, mais il ne pour­ra apporter aucune émo­tion, et ne pour­ra pas con­va­in­cre quand il va se trou­ver devant son pub­lic. » « Je me suis aperçu, ajoute Sidi­ki Bak­a­ba, que beau­coup de comé­di­ens africains qui avaient reçu une excel­lente for­ma­tion, régres­saient sur le ter­rain. En fait, je crois que c’est parce qu’ils ont un blocage. Ils ne peu­vent pas faire pass­er les nuances du texte parce qu’ils ne l’ont pas fait au préal­able dans leur langue. Quand je donne une for­ma­tion, sou­vent je dis : tra­vaille-le dans ta langue, vis-le dans ta langue d’abord.Et cela, j’ai pu l’expérimenter parce que j’ai eu la chance d’ar­riv­er en France à une époque où les recherch­es con­cer­naient ce domaine. On demandait alors à l’ac­teur de faire vibr­er ses cordes, les mots étaient des coups de poing. » 

« Aujour­d’hui, le théâtre africain va beau­coup mieux, dit-il, après un moment d’hésitation. Il y a beau­coup de textes qui sont écrits. Les met­teurs en scène ont le choix. Les auteurs eux aus­si ont suivi les évo­lu­tions du théâtre, de la con­cep­tion scénique, main­tenant, les pièces qui sont écrites peu­vent être jouées n’importe où, ne sont plus pti­son­nières du théâtre à l’i­tal­i­enne. » 

À un moment don­né, dans l’in­ter­view, il a encore dit ceci : « Un des plus beaux rôles que j’ai joués, c’est celui d’un sol­dat revenu de la guerre, dans LE CAMP DE T’HIAROYE, de Sem­bène Ous­mane. Cet homme-là a vécu les camps de con­cen­tra­tion, la mort. On l’a mutilé de sa langue. Il est muet, per­son­ne ne sait d’où il vient. Mais il est là, il est présent, par son regard, par son silence. Et tout le monde l’appelle « mon pays ». 

D’après un entre­tien réal­isé en mars 1995. 

Non classé
Partager
auteur
Écrit par Caya Makhele
Écrivain et met­teur en scène con­go­lais, Caya Makhele a mon­té plusieurs spec­ta­cles en France où il réside depuis...Plus d'info
Partagez vos réflexions...

Vous aimez nous lire ?

Aidez-nous à continuer l’aventure.

Votre soutien nous permet de poursuivre notre mission : financer nos auteur·ices, numériser nos archives, développer notre plateforme et maintenir notre indépendance éditoriale.
Chaque don compte pour faire vivre cette passion commune du théâtre.
Nous soutenir
Précédent
Suivant
Article publié
dans le numéro
Théâtre d'Afrique Noire-Couverture du Numéro 48 d'Alternatives Théâtrales
#48
mai 2025

Théâtres d’Afrique noire

23 Juin 1995 — S’IL Y A un domaine où tradition et modernité sont confusément définies, c’est bien celui du théâtre au Mali. Car…

S’IL Y A un domaine où tra­di­tion et moder­nité sont con­fusé­ment définies, c’est bien celui du théâtre au…

Par Amadou Chab Touré
Précédent
20 Juin 1995 — AMÉRICAINE d'origine africaine, Elsa Wolliaston est chorégraphe et danseuse depuis une trentaine d'années. Férue de pédagogie, elle a été la…

AMÉRICAINE d’o­rig­ine africaine, Elsa Wol­lias­ton est choré­graphe et danseuse depuis une trentaine d’an­nées. Férue de péd­a­gogie, elle a été la pre­mière à pro­pos­er, en France, une approche de la danse qui prenne en compte le…

Par Corinne Moncel
La rédaction vous propose

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements

Mot de passe oublié ?
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total