TOUTE NAISSANCE est liée à la théâtralité. Cérémonial et rituel des gestes, des dates, des émotions et des joies exprimées par les masques des premiers visages ; ceux des parents, des amis et futurs ennemis et d’un monde d’objets qui s’ouvre à l’enfant. Le lieu de naissance lui-même est déjà une histoire en soi. Une histoire comme celle de Sony Labou Tansi, placée d’emblée au cœur d’une Afrique contemporaine et balbutiante.
Né le 5 juin 1947 à Kimwanza, au Zaïre, de père zaïrois et de mère congolaise, Sony Labou Tansi y fait ses études primaires, mais très vite son oncle l’amène au Congo où il continue ses études en français, car au Congo belge on le scolarisait en kikongo. Là se trouve peut-être le ferment de ce qui deviendra sa pierre référentielle : la culture kongo. « Je suis Kongo, je parle kongo, j’écris en français. Ma kongolité ne peut pas s’exprimer en dehors de cette cruelle réalité »1.
Culture qui le ramène à la terre. Professeur et cultivateur, il se lie d’amitié avec des paysans qui lui apprendront à cultiver cette terre, à la connaître, lui qui aura vécu sa carrière de professeur d’anglais dans des villes reculées du pays. Il fait de sa maison à Makélékélé une généreuse forêt, labyrinthe de plantes diverses ramenées de ses nombreux voyages autour du monde. Épris d’une terre qu’il souhaite arroser chaque matin d’un peu plus d’amour, Sony dit : « Ce jardin est ma fenêtre sur l’univers. Elle est ouverte de jour comme de nuit. Que vous dire d’autre qui ne soit mensonge ou coquetterie ? La nature aussi doit avoir sa chaise à la table de la démocratie. Nous avons voulu la dominer. Elle est par essence indominable. J’ai eu tous mes diplômes dans les bras de la terre et des plantes ».2 Plus tard, l’un de ses personnages dans UNE VIE EN ARBRE ET CHARS… BOND3, un vieil homme, dira : « Cet arbre est capital pour l’espèce humaine dans sa totale globalité. Il est donc classé et déclaré patrimoine incontestable, inaliénable et définitif du genre humain dans sa globalité. Voilà pourquoi, à compter de ce jour, il est créé, institué et instauré sur les contrées de Bamilonne, Grabani et Souyate, une réserve dénommée Village Planétaire ». Ce texte est un hymne à la liberté de la nature. Le vieil homme défendra le dernier arbre encore présent sur la terre au prix de sa vie. Mais il ne pourra sauver les humains de la déchéance, car « notre monde qui, pour des raisons hautement louables, s’est tourné vers une civilisation du minerai et de l’animal, vit de façon trop grossière, le dos tourné au végétal ; on y oublie trop savamment que la plante est hallucinement le ventre exact de notre planète et de la vie. Mais ces choses pour les dire, il faut bien plus qu’un théâtre. Quelque chose qui aille plus loin que le cœur de l’homme et tout à gauche de la dimension du jeu » 4.
Humain, jusqu’au bout de la plume, comment Sony pouvait-il demeurer indifférent à toutes les injustices parsemées dans cette Afrique aux révolutions authentifiées par toutes sortes de dictateurs ? C’est, comme l’indique Eric Faye, son éruprion anti-utopique.5 Il se met alors à traquer l’innommable au bout de chaque mot, de chaque verbe, haut et fort, écrivant souvent avec le sang de milliers de personnes innocentes, broyées par ces révolutions promettant de sauver l’homme pour mieux le manger, constante mise-en-mythe de la réalité. Comme il aimerait que la beauté par son inutilité écrase la laideur de la raison !
L’homme s’insurge face à ces politiques cannibales, l’écrivain fustige :
« Enfin si les mots veulent
s’ils veulent
prendre ventre
et chausser mon cœur
au temps de la peur
si les mots veulent
sur la carte du sang
rejouer l’espoir enfin
Je choisirai cette haine
qui danse pour régler
leur compte aux morts
vivant vie de mot
comme jadis
mais maître à danser cette haine
et jeu de mots
et jeu de peau
et jeu de noms
mais cœur passe ».6

