L’exercice de l’art doit être vertueux et amoureux

Entretien
Théâtre

L’exercice de l’art doit être vertueux et amoureux

Entretien avec Théo Mercier

Le 23 Oct 2019
Every stone should cry, installation de Théo Mercier, Musée de la chasse et de la nature, Paris, 2019. Photo Erwan Fichou.
Every stone should cry, installation de Théo Mercier, Musée de la chasse et de la nature, Paris, 2019. Photo Erwan Fichou.

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Every stone should cry, installation de Théo Mercier, Musée de la chasse et de la nature, Paris, 2019. Photo Erwan Fichou.
Every stone should cry, installation de Théo Mercier, Musée de la chasse et de la nature, Paris, 2019. Photo Erwan Fichou.

Depuis une dizaine d’années, entre l’Europe et l’Amérique cen­trale, Théo Merci­er développe une oeu­vre plas­tique ten­tac­u­laire peu­plée de mythes dystopiques, de sculp­tures icon­o­clastes et de per­for­mances trou­blantes. En 2014, il ini­tie un tra­vail de mise en scène immé­di­ate­ment repéré sur les scènes européennes et il asso­cie désor­mais intime­ment les dimen­sions plas­tiques et scéniques dans son tra­jet per­son­nel.

Benoît Hen­naut — Ces dernières années, ton tra­jet artis­tique t’emmène avec beau­coup d’aisance des espaces d’exposition aux plateaux de théâtre, dans des allers-retours féconds et com­plé­men­taires. Est-ce un dou­ble désir ou la néces­sité de ce partage vient-elle de l’inexistence du lieu par­fait pour ton tra­vail ?

Théo Merci­er - C’est un mélange. Un vieux rêve dada, un rêve d’art total sans doute. Un grand appétit pour le monde, les autres, les regards. Les salles noires comme les white cubes sont des tem­ples, des tem­ples du regard où le temps s’arrête, se rétréc­it, s’allonge. Être artiste, c’est être maître du temps, un peu magi­cien. Moi c’est la magie grise que je recherche, un instant de tous les temps, un endroit de tous les lieux, sur la ligne des fron­tières. La scène est pour moi autant un socle pour comé­di­en, que l’exposition est un plateau où le vis­i­teur devient acteur-regardeur. C’est le théâtre de l’exposition que j’aimerais créer. Je suis heureux de voir que peu à peu mes deux « savoir-faire » se mélan­gent et s’auto-alimentent. Ma pra­tique récente de met­teur en scène a com­plète­ment boulever­sé mon rap­port à la sculp­ture. L’essentiel pour moi est d’être en muta­tion per­ma­nente, de regarder le monde et déplac­er ses repères. C’est un priv­ilège bour­geois d’être artiste, homme, blanc ; il faut le célébr­er et être le plus généreux pos­si­ble.

BH — Avec La fille du col­lec­tion­neur, tu présen­tais un pro­jet scénique dont le pro­pos tour­nait nar­ra­tive­ment et esthé­tique­ment autour d’objets issus de ta pro­duc­tion plas­tique. Ces deux médias se mêlent donc aus­si sur un plan thé­ma­tique dans ton tra­vail ?

TM - C’est la seule fois je crois… et ce n’est pas tout à fait juste. Dans ce pro­jet pré­cis, ce n’était pas véri­ta­ble­ment mes objets ni mon « univers » d’artiste que l’on retrou­vait sur le plateau. La grande struc­ture a été dess­inée par le design­er Arthur Hoffn­er, ancien com­pagnon de tra­vail avec qui j’ai col­laboré plus de dix ans, et la pein­ture immense de clown est une copie peinte d’une pho­to anonyme trou­vée aux puces. L’esthétique générale du pro­jet serait un mélange entre du théâtre expres­sion­niste des années 1920 et un Bob Wil­son des années 1990… Bref, tout ça n’est pas vrai­ment moi, et je déteste les clowns ! J’ai ten­té avec ce pro­jet d’imaginer un artiste autre que moi, un avatar, un fan­tôme. Il s’agit en effet beau­coup de fan­tômes, un por­trait de l’absent. Un théâtre de la mémoire, où l’histoire se racon­te par le vide qu’elle laisse. La fille du col­lec­tion­neur, c’est l’empreinte qu’est la famille sur le corps.

BH — Ta dernière pièce pour la scène, Afford­able solu­tion for bet­ter liv­ing, conçue en dia­logue avec le choré­graphe Steven Michel, engage forte­ment la plas­tique du corps et du mou­ve­ment. C’était déjà le cas de Radio Vin­ci Park, en tan­dem avec François Chaig­naud. Quel regard pos­es-tu sur la danse et l’art du mou­ve­ment aujourd’hui ?

TM — Le corps de l’autre est un matéri­au fasci­nant. Les artistes avec qui j’ai la chance de tra­vailler sont de véri­ta­bles auteurs de leurs corps. Je trou­ve ça très beau. Les danseurs et comé­di­ens avec qui je col­la­bore m’ont appris le peu que je sache aujourd’hui. C’est beau de faire une oeu­vre avec le lan­gage d’un autre. Cha­cun des rôles dans cha­cune de mes pièces a tou­jours été créé sur mesure. C’est à chaque fois un por­trait d’eux que je leur pro­pose de réalis­er avec moi. J’imagine un de leurs mul­ti­ples corps/visages et ils exposent mes fan­tasmes à la lumière.

BH — Ton tra­vail plas­tique revendique à cer­tains égards une forme de cos­mopolitisme ; tu voy­ages beau­coup, et tu glanes auprès de nom­breuses tra­di­tions cul­turelles. Les chemins croisés entre tes désirs plas­tiques et tes désirs scéniques sont-ils plus facile­ment disponibles hors d’Europe, ou son­tils mêmes liés à ces ailleurs ?

TM — Je n’invente pas grand-chose, je me nour­ris du monde. Un mag­a­sin Ikea est une source de fan­tasme au même titre qu’un ves­tige pré- Colom­bi­en. Je suis un artiste de la glob­al­i­sa­tion, un enfant du net qui procède en per­ma­nence à une mise à plat du monde. Mon tra­vail est d’organiser de manière hor­i­zon­tale, de réin­ven­ter l’histoire à ma façon, d’inverser les sys­tèmes de valeurs, de dé-hiérar­chis­er, de décloi­son­ner, de con­t­a­min­er, le beau/le laid, le précieux/le vul­gaire, le vrai/ le faux… et de célébr­er le monde comme je peux.
Mais se nour­rir du monde est dan­gereux, car on devient vite un pré­da­teur, un jouis­seur, un colon. Je tente d’être tou­jours le plus juste, le plus atten­tif, le plus généreux, le plus légitime avec les con­textes dans lesquels je pro­duis et mon­tre mon tra­vail. La manière dont je conçois et réalise un pro­jet est donc aus­si impor­tante que le résul­tat. L’exercice de l’art doit être vertueux et amoureux

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Benoit Hennaut
Benoît Hennaut est Docteur en lettres de l’ULB et de l’EHESS à Paris. Il est...Plus d'info
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