Hommage aux femmes non rééducables 

Compte rendu

Hommage aux femmes non rééducables 

Le 6 Mai 2016
Angelo Bison dans "Femme non rééducable", mise en scène Michel Bernard. photo Aloïs Echard.
Angelo Bison dans "Femme non rééducable", mise en scène Michel Bernard. photo Aloïs Echard.
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Alors que Lorent Wan­son s’apprête à mon­ter, au Rideau de Brux­elles, le très ambitieux Lehman Tril­o­gy que nous avons évo­qué dans le n°126 – 127 d’Alternatives théâ­trales, Michel Bernard vient de ter­min­er les représen­ta­tions au Cen­tre cul­turel des Rich­es claires de Femme non réé­d­u­ca­ble, un autre opus, plus ancien mais ô com­bi­en d’actualité, de Ste­fano Massi­ni.

Au-delà de l’hommage à cette femme extra­or­di­naire que fut Anna Politkovskaïa, la dérangeante jour­nal­iste de la Novaïa Gaze­ta de Moscou, con­nue pour son mil­i­tan­tisme en faveur des droits de l’homme et de la lib­erté de la presse et décédée il y a tout juste dix ans, c’est un bel acte d’engagement que de présen­ter ce texte.
L’auteur, Ste­fano Massi­ni, s’est basé sur des arti­cles de la jour­nal­iste et sur des notes auto­bi­ographiques qu’il a trans­for­més en tra­vail­lant sur le « déclic instan­ta­né », sur la « séquence immé­di­ate », comme il les nomme lui-même, sur les flashs qui cueil­lent un détail et dont la somme façonne un ensem­ble. Ce qui l’intéressait était de « don­ner une dig­nité théâ­trale à une sen­sa­tion » qui l’a touché à la décou­verte des textes et de la vie d’Anna P. Il a ten­té d’en réalis­er un album d’images en repro­duisant cette « cru­elle immé­di­ateté ».

Le texte est conçu en une ving­taine de tableaux, comme une galerie de zooms sur des sit­u­a­tions pré­cis­es, des ambiances, par­fois des états d’âme. À chaque début de tableau, le lecteur / spec­ta­teur ne sait rien : il est bru­tale­ment pro­jeté par les mots dans un con­texte pré­cis ; c’est à lui d’en recon­stru­ire les détails. Vingt fois de suite, nos yeux s’ouvrent et se fer­ment sur des thé­ma­tiques et des lieux dif­férents, qu’il faut sen­tir. Il ne s’agit pas d’un texte sur Anna P. mais d’un voy­age depuis les yeux de la jour­nal­iste : une « vision sub­jec­tive dans les abysses rus­so-tchétchènes ».

La mise en scène de Michel Bernard et le jeu d’Angelo Bison et d’Andréa Han­necart ont pleine­ment saisi cette fausse objec­tiv­ité de l’auteur et ont su éviter le pathos qui aurait alour­di dan­gereuse­ment les pro­pos, assez forts en eux-mêmes. Cha­cun à leur tour incar­ne la reporter, et Ange­lo Bison joue aus­si les autres per­son­nages, comme le jeune sol­dat tchétchène, le médecin gérant d’hôpital, etc.

Con­traire­ment à la mise en scène de la Com­pag­nie de la Souri­cière que nous avions vue dans le OFF d’Avignon en 2015, ici, pas de pro­jec­tion vidéo ni pho­to, inutiles. Les mots sont plus trans­gres­sifs que les images. Sou­vent, ils suff­isent.

Sur la scène très sobre de la salle des Rich­es claires, des per­fu­sions d’eau s’égouttent du pla­fond : sim­ple métaphore de la guerre, avec son lot de blessés des deux côtés. Un rap­pel aus­si, peut-être, de l’image du début : la tête san­guino­lente du sol­dat tchétchène, exposée sur un gazo­duc, qui goutte… Scène dont Anna P. fut témoin et qui l’a forte­ment mar­quée…

Pas de manichéisme non plus, même si, pen­dant leurs inter­roga­toires, les Russ­es deman­dent sans cesse à la jour­nal­iste de pren­dre posi­tion :« pren­dre posi­tion c’est faire preuve d’intelligence » lui répète-t-on comme une litanie. Mais ni les mil­i­taires russ­es ni les ter­ror­istes tchétchènes n’ont rai­son, évidem­ment. Com­ment choisir entre ceux qui pren­nent d’assaut une école et ceux qui exé­cu­tent des enfants ? Entre les sol­dats russ­es qui réalisent des « fagots humains » avec des Tchétchènes pris au hasard dans les vil­lages, pour en tuer le plus pos­si­ble, et les ter­ror­istes tchétchènes qui se font explos­er dans un théâtre, où plus de huit cents per­son­nes – hommes, femmes et enfants – sont rassem­blées ?

Pas émou­voir donc, même si, for­cé­ment, on l’est, devant ce drame annon­cé – Anna Politkovskaïa, haïe par les autorités russ­es et par le Prési­dent Vladimir Pou­tine et définie par le Krem­lin « non réé­d­u­ca­ble », sera assas­s­inée le 7 octo­bre 2006 en bas de chez elle – mais heurter indi­ci­ble­ment le spec­ta­teur et stim­uler sa curiosité.

Pietro Pizzuti a signé les traductions de Lehman Trilogy et de Femme non rééducable, publiés chez Arche-éditeur. Il participera en tant qu’acteur à Lehman Trilogy montée par Lorent Wanson au Rideau de Bruxelles du 24-5 au 11-6.
Les citations sont extraites de notes de Stefano Massini sur son texte (traduites par nous).
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Laurence Van Goethem
Laurence Van Goethem, romaniste et traductrice, a travaillé longtemps pour Alternatives théâtrales. Elle est cofondatrice...Plus d'info
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