À l’écoute d’ “Une Chambre en Inde” au Théâtre du Soleil 

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À l’écoute d’ “Une Chambre en Inde” au Théâtre du Soleil 

Le 12 Déc 2016
Shaghayegh Beheshti et Sébastien Brottet-Michel dans "Une chambre en Inde". Photo Michèle Laurent.
Shaghayegh Beheshti et Sébastien Brottet-Michel dans "Une chambre en Inde". Photo Michèle Laurent.

Décem­bre 2016, Car­toucherie de Vin­cennes. Nous sommes dans Une cham­bre, en Inde. Pour­tant, de cette Inde, nous glis­sons très rapi­de­ment vers le Japon, la Syrie, l’Arabie Saou­dite ou encore l’Is­lande, comme un point d’ancrage aux mul­ti­ples fenêtres pour dire le monde con­tem­po­rain et son chaos. A l’issue d’une représen­ta­tion, Jean-Jacques Lemêtre, fidèle com­pagnon de route du Théâtre du Soleil depuis 1979, m’accueille dans son ate­lier pour m’y con­ter le proces­sus de créa­tion et sa démarche musi­cale.


Un opéra de basse caste de l’Inde du Sud, c’est le pari de départ de cette nou­velle créa­tion. “Le pro­jet d’origine, explique le musi­cien, était de par­tir du Ter­ru Khoutu, d’essayer de le trans­pos­er, de le mod­erniser, de s’en imprégn­er pour en faire quelque chose de nou­veau”. Si le Théâtre du Soleil a déjà exploré des formes indi­ennes dites nobles, tels que le Kathakali et le Bhara­ta Natyam, l’idée est ici de s’atteler à une forme résol­u­ment pop­u­laire. Toute la troupe s’est alors ren­due à Pondichéry, un mois durant, pour suiv­re l’enseignement d’un maître et appren­dre cette tech­nique ances­trale.

Rich­es des pre­miers enseigne­ments, les impro­vi­sa­tions ont débuté, comme tra­di­tion­nelle­ment dans les proces­sus de créa­tion d’Ariane Mnouchkine. Tous se sont mis à impro­vis­er “des folies à pro­pos du Ter­ru Khoutu”, des Indes rêvées, occi­den­tal­isées, leurs Indes. Le chaos du monde est arrivé en répéti­tions, à l’image des doutes qui envahissent le per­son­nage de Cor­nelia et ses rêves tout au long du spec­ta­cle. Et pour elle, le chaos est dou­ble. Suite au départ de Lear, le met­teur en scène devenu fou, la jeune femme se retrou­ve propul­sée à la tête de la com­pag­nie. A cette nou­velle respon­s­abil­ité s’ajoute l’angoisse de la mise en scène et des pos­si­bil­ités du théâtre. Les atten­tats, le dji­hadisme, la pol­lu­tion des nappes phréa­tiques ou encore la con­di­tion des femmes en Inde : par­ler de la bru­tal­ité du monde con­tem­po­rain, certes, mais que choisir et “com­ment fait-on théâ­trale­ment ?” Dans cette cham­bre indi­enne, Cor­nelia rêve, et nous spec­ta­teurs, suiv­ons le fil de ces visions. Ici, la con­ti­nu­ité de la forme a cédé la place à la dis­con­ti­nu­ité, à une frag­men­ta­tion ryth­mée par les coups de télé­phone qu’elle reçoit d’Astrid, son admin­is­tra­trice restée en France. Alter­nance des visions. En une son­ner­ie, l’on passe de la Syrie à une scène du Ter­ru Khoutu, finale­ment joué dans sa forme tra­di­tion­nelle.

Jean-Jaques Lemêtre pendant les répétitions d’ "Une chambre en Inde", Théâtre du Soleil, Cartoucherie 2016. Photo Michèle Laurent.
Jean-Jaques Lemêtre pen­dant les répéti­tions d’ “Une cham­bre en Inde”, Théâtre du Soleil, Car­toucherie 2016. Pho­to Michèle Lau­rent.

Tout au long des répéti­tions, la troupe a pour­suivi l’apprentissage de l’opéra avec le maître indi­en Sam­ban­dan Kan­nap­pa venu à Paris pour l’occasion, et Emmanuelle Mar­tin, chanteuse car­na­tique. Un appren­tis­sage pro­gres­sif, qui s’est fait strates par strates : d’abord la danse — pour don­ner le sens du rythme — puis les mots, le chant, le jeu et enfin les cos­tumes. Jean-Jacques Lemêtre souligne la com­plex­ité de la langue tamoule, qui, par ses sonorités et ses artic­u­la­tions, est l’une des plus dif­fi­ciles au monde. En inté­grant la troupe, le gen­dre du maître indi­en a rejoint l’aventure de ce spec­ta­cle, se faisant ain­si garant de la langue tamoule autant que cette forme artis­tique mil­lé­naire sur la scène du Théâtre du Soleil.

A côté de ces scènes tra­di­tion­nelles, la musique sem­ble plus dis­crète au regard de créa­tions antérieures. Jean-Jacques Lemêtre explique la nou­veauté de cette com­po­si­tion, qui, à la manière d’un tapis sonore, se fau­file en soubasse­ment des scènes pour dis­tiller toutes les sortes d’Inde qui ont tra­ver­sé le proces­sus de créa­tion : Inde réelle, imag­i­naire, mirac­uleuse, sociale, ou encore religieuse, par­mi tant d’autres. Dans son espace musi­cal, situé sur le bord de la scène, le musi­cien accom­pa­gne les comé­di­ens au moyen d’une quar­an­taine d’instruments. L’espace sonore est aus­si habité par une série de bruitages, fine­ment orchestrés, et enreg­istrés à Pondichéry, ren­dant sen­si­ble la chaleur et l’exotisme de l’Inde sur la scène de la Car­toucherie.

“Un tes­ta­ment gai” pour Ari­ane Mnouchkine, c’est ain­si que Jean-Jacques Lemêtre perçoit ce spec­ta­cle dans le par­cours du Théâtre du Soleil. “Toute sa vie théâ­trale est là”, dit-il. Tan­dis que Lear cherche dés­espéré­ment Artaud, Shake­speare et Tchekhov appa­rais­sent sur le plateau. Avec amuse­ment, le musi­cien racon­te que l’apparition de Gand­hi est accom­pa­g­née de la même musique qu’en 1987 dans L’Indiade ou l’Inde de leurs rêves. Un clin d’oeil, une émo­tion de la recon­nais­sance pour les spec­ta­teurs aguer­ris du Théâtre du Soleil. Si l’on retrou­ve les racines du Théâtre du Soleil et son attache­ment à l’Orient, la force de ce spec­ta­cle est aus­si d’oser le pas­sage d’un opéra indi­en mil­lé­naire au comique des films muets. Dans cette dra­maturgie onirique, illo­gismes et trans­for­ma­tions de la réal­ité sont autorisés pour ten­ter de déjouer la noirceur du monde grâce au rire.

Une chambre en Inde
une création collective du Théâtre du Soleil
dirigée par Ariane Mnouchkine
musique de Jean-Jacques Lemêtre
en harmonie avec Hélène Cixous
avec la participation exceptionnelle de
Kalaimamani Purisai Kannappa Sambandan Thambiran
Compte rendu
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Critique
Ariane Mnouchkine
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Alisonne Sinard
Après un parcours d’études théâtrales, de littérature française (Paris III Sorbonne Nouvelle) et de management...Plus d'info
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