Le nom propre
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Le nom propre

Le 28 Nov 1989
Article publié pour le numéro
Thomas Bernhard-Couverture du Numéro 34 d'Alternatives ThéâtralesThomas Bernhard-Couverture du Numéro 34 d'Alternatives Théâtrales
34
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THOMAS Bern­hard naît à Heerlen aux Pays-Bas, le 9 ou 10 févri­er 1931. Afin de cacher sa grossesse à la tante sévère qui l’héberge, Her­ta Freum­bilch­er, sa mère, est venue sur les con­seils d’une amie se réfugi­er à Rot­ter­dam. 

Lorsqu’elle sen­ti­ra approcher le terme, elle par­ti­ra pour Heerlen où elle trou­ve asile dans un cou­vent qui accueille les pros­ti­tuées et les filles mères en détresse. 

C’est là que Thomas Bern­hard naî­tra clan­des­tine­ment, enfant illégitime, incar­na­tion du « péché de la chair », fils de la ten­ta­tion, du désir irré­press­ible aux­quels ses par­ents ont suc­com­bé. On ne man­quera pas de le lui répéter. 

Une fois l’en­fant né, la mère l’emmènera dans une cor­beille à linge à Rot­ter­dam où durant un an il sera mis en nour­rice, con­fié à la femme d’un pêcheur. Il passera ain­si la pre­mière année de sa vie sur un vieux cha­lu­ti­er ancré dans le port, dans une puan­teur sans nom, cou­vert de furon­cles, au milieu des cris et des pleurs de sept-huit autres enfants, couchés dans des hamacs. 

A plusieurs repris­es, Thomas Bern­hard, évo­quera cette pre­mière année de son enfance, pré­ten­dant qu’il est avant tout un homme de la mer. Non pas de la mon­tagne qui l’étouffe mais de la mer parce qu’elle lui per­met de respir­er et de penser. C’est le pre­mier paysage impor­tant de la biogra­phie de Thomas Bern­hard. 

Pen­dant un an, sa mère effectuera des navet­tés répétées entre l’Autriche où elle exerce le méti­er d’aide ménagère-et la Hol­lande, où elle vient tous les mois ren­dre vis­ite à son fils. 

Née en Suisse, Her­ta Freum­bilch­er est l’être d’un rêve blessé. Enfant, elle aspi­rait, sur les con­seils de son père, à devenir danseuse et en fut empêchée par une affec­tion pul­monaire. 

A 7 ans, elle dan­sait Blanche-Neige à l’Opéra de la Cour. À 12, elle con­trac­ta une catarrhe au som­met du poumon et dut renon­cer à la car­rière de danseuse étoile. 

Elevée dans une famille qui fuyait les con­ven­tions, tirait le dia­ble par la queue, vivant sou­vent d’expédients et de travaux d’ap­point, Her­ta Freum­bilch­er aspire quant à elle à men­er une vie con­forme aux aspi­ra­tions petites bour­geois­es de l’époque. 

Rêve d’une exis­tence d’avance réglée, sans his­toire, soumise aux valeurs du com­mun. Ce désir cepen­dant, ne cessera d’être con­tre­car­ré, bous­culé par le tumulte des événe­ments de l’époque et un fils qui se qual­i­fie lui-même de tur­bu­lent. Ce sera une femme sans cesse débor­dée et impuis­sante, dépassée par toutes les sit­u­a­tions et qui d’emblée perd pied, aban­donne. 

Le père, quant à lui, incar­ne la fig­ure absente par excel­lence. Aloïs Zuck­er­stät­ter, fils de cul­ti­va­teurs, avait en plus de ce méti­er, appris celui de menuisi­er. Né en 1900, il meurt en 1943 à Franc­fort sur l’Oder dans des con­di­tions indéter­minées et prob­a­ble­ment de mort vio­lente. 

C’est un ami d’enfance d’Herta et lorsqu’elle revient s’in­staller à Hen­ndorf, ils se retrou­vent régulière­ment. 

C’est ain­si qu’un soir de juin 1930 au milieu des pom­miers, Her­ta cède aux avances répétées d’Aloïs Zuck­er­stät­ter mais sans savoir à quoi elle cède, igno­rant les pré­cau­tions à pren­dre. Une fois enceinte, elle aura l’im­pres­sion qu’il a abusé d’elle, d’au­tant plus que le père, ne recon­naî­tra jamais son fils, ne voudra jamais en enten­dre par­ler, ne s’inquiétera jamais de lui, alors que la ressem­blance physique est trou­blante. 

Cette pater­nité est l’ultime élé­ment qui l’incite à fuir son vil­lage natal en 1931, après avoir mis le feu à sa mai­son pour la voir brûler depuis le train. 

Durant toute son enfance, l’en­tourage de Thomas Bern­hard fera silence sur cet homme et lorsque par hasard il en est ques­tion, c’est en ter­mes mon­strueux, de per­son­nage infâme, d’imposteur. 

A la fin de la guerre cepen­dant, Thomas Bern­hard décou­vre dans une cave près de Salzbourg le père de son père qui par­le d’Aloïs comme d’une tête de bétail. Cepen­dant, il reçoit une pho­togra­phie le temps de remar­quer qu’ils ont le même vis­age. Cette pater­nité pose une ques­tion de détail sans doute, mais un détail impor­tant : pourquoi Thomas Bern­hard s’appelle-t-il Thomas Bern­hard puisque sa mère se nomme Freum­bilch­er et son père Zuck­er­stät­ter, pourquoi Bern­hard ? D’où vient ce nom qui ressem­ble telle­ment à un autre prénom ? Bern­hard est-il le nom qu’il se choisit aux alen­tours de 16 ans, au moment où à la mort de son grand’père, il com­mence lui-même à écrire ? Est-ce le pseu­do­nyme der­rière lequel il se cache, pour ne pas avoir à légitimer son orig­ine et jus­ti­fi­er ses liens avec Freum­bilch­er, son grand-père, écrivain con­nu à l’époque ? 

Bern­hard n’abordera jamais cette ques­tion. Pour­tant la fig­ure du père absent hante les pre­miers textes pub­liés. C’est pour lui à cette époque l’une des ques­tions majeures, c’est encore une ques­tion au moment où il pub­lie le dernier vol­ume de son auto­bi­ogra­phie « L’en­fant » qui, para­doxale­ment, tourne autour de cette ques­tion. 

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