Quand Thierry Salmon m’a demandé de composer la musique des Troyennes d’Euripide, j’ai été profondément émue. C’est le terme exact. Parce que je savais que sur un texte aussi éloigné de nous, et en même temps tellement imprégné d’histoire, de culture et de sacré, je ne pouvais tricher : non pas qu’utiliser tout un orchestre soit toujours une manière de déguiser des idées musicales inconsistantes, mais on ne peut certainement pas se permettre, avec la tragédie grecque, une surenchère sonore.
C’est tellement vrai, que Thierry Salmon fut immédiatement d’accord avec moi quand je lui ai proposé de n’utiliser que les voix, et des percussions. Et une fois ce choix délibéré, mieux valait le radicaliser : aucunes percussions extérieures, ni tambours, ni gong, ni triangles, mais simplement l’organisation des sons naturels tirés de la scène.
L’émotion que j’ai ressentie provenait aussi de l’exigence implicite, dans une telle entreprise, d’aller à la recherche de quelque chose d’authentique, d’un rituel musical qui se joigne au rituel scénique et textuel lié à la tragédie grecque. J’avais en somme la possibilité d’inventer une série de chants traditionnels pour la tragédie, comme s’ils nous étaient parvenus par la tradition orale. Je suis partie de la création d’une gamme, puis de l’invention d’une série de règles de scansion des syllabes du texte grec (syllabation naturelle), pour mettre ces vers en musique en suivant leur rythme naturel, sans les niveler par la métrique. C’était un autre choix fait d’un commun accord avec Thierry Salmon. Nous avons également suivi les indications d’Euripide en ce qui concerne les parties du texte qui doivent être chantées ou non. Ainsi, la musique, par nécessité d’adéquation au texte, est-elle divisée en deux genres : les chœurs et les récitatifs.
Dans Les Troyennes, il n’y a que quatre chœurs, tous très beaux, très nostalgiques, à la fois épiques et lyriques : c’est pourquoi l’idée m’est venue de composer pour eux une sorte de musique sacrée, presque un hymne. Ensuite, Euripide demande la mise en musique de duos déchirants entre Hécube et Andromaque, entre Hécube et Talthybios, et entre Hécube et le chœur : ici, le texte ne suggérait pas l’hymne, mais plutôt le récitatif. Dans mon esprit, le récitatif peut être soit montéverdien, soit populaire, ou encore, l’un issu de l’autre. Et en découvrant que ce texte s’adapte parfaitement au genre choisi, mon émotion persiste.
Voix et percussions seules
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