Abattoir fermé. Emballer la mort.
Théâtre
Critique

Abattoir fermé. Emballer la mort.

Patrick Bonté

Le 27 Juin 2010
Tine Van den Wyngaer dans MYTHOBARBITAL, conception et réalisation Stef Lernous / Abattoir fermé, Festival international des Brigittines, 2009. Photo Stef Lernotts.
Tine Van den Wyngaer dans MYTHOBARBITAL, conception et réalisation Stef Lernous / Abattoir fermé, Festival international des Brigittines, 2009. Photo Stef Lernotts.
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Un THÉÂTRE hyp­no­tique d’Abat­toir fer­mé, rien ne peut se résumer ou se réduire dans des for­mules sim­ples. Pour­tant les enjeux des créa­teurs sont clairs, leur univers s’im­pose d’emblée avec cohérence et con­stance ; mais lorsqu’on se laisse tra­vers­er comme ils le font par ce qui est plus grand que soi, on s’ex­pose à ce que le sujet de l’œu­vre ne se laisse pas aisé­ment com­menter… Néan­moins, on pour­rait dégager des pistes de dis­cus­sion ou d’analyse à par­tir de quelques thèmes ou principes : l’at­tente, l’énigme, la stu­peur, l’ac­cu­mu­la­tion, le rit­uel, le sex­uel.
Tout d’abord dire que l’a­bat­toir est un lieu fer­mé et que nous sommes tou­jours à l’in­térieur comme en vis­ite d’une déli­rante mai­son close dans laque­lle les corps eux-mêmes sont sou­vent pris à l’in­térieur de plus petits récep­ta­cles : vit­rines, blocs de glaise, baig­noires …
Les cauchemars seront domes­tiques, imprégnés de l’in­sis­tante présence des objets et des matières. Les rap­ports entre les per­son­nes : tou­jours ambi­gus. Surtout lorsqu’on se laisse enfer­mer dans la sit­u­a­tion où l’autre voudrait qu’on soit, et puis qu’en­suite on explore cette sit­u­a­tion, on en énumère les pos­si­bil­ités, les impass­es, les sor­ties imprévues.
C’est que les fig­ures de ce théâtre1, coincées dans ce monde d’en­fer­me­ment, n’en espèrent aucune délivrance. Ils sont plutôt sai­sis de stu­peur, tétanisés devant la dis­pari­tion de l’avenir. Ce que nous sommes est obscur, et ils le savent. Ils en acceptent le mau­vais augure tout en en refu­sant la déplo­ration. Pas de dés­espoir ici, le drame a déjà eu lieu ; il n’y a plus qu’à atten­dre, comme si l’on savait qu’au­cun événe­ment n’é­tait désor­mais pos­si­ble, mais qu’on en pre­nait son par­ti et qu’en atten­dant, on ne pou­vait que boire : vin, lait, bière, café.
C’est en assumant ce besoin de liq­uide que la couleur appa­raît et con­t­a­mine la scène entière. Et le monde se met à dérailler : le détail devient mon­strueux, les objets s’ac­cu­mu­lent sur le plateau, les divans livrent leur cadavre, les hommes per­dent leurs cheveux et se trans­for­ment en femmes, les femmes se trans­for­ment en idol­es dérisoires … Tous accom­pa­g­nent la cat­a­stro­phe (c’est en cela que l’on pour­rait par­ler ici de rit­uel).
Pour­tant la stag­na­tion donne la sen­sa­tion que l’on avance, que l’on cir­cule dans un cauchemar à forte teneur sex­uelle dont les asso­ci­a­tions n’élu­ci­dent jamais l’énigme La chair se libère, lumineuse et stérile, délibéré­ment face à sa fin. Elle est un des élé­ments car­dinaux de ce théâtre de la cru­auté sans vio­lence explicite, en retenue con­stante, comme si l’hor­reur du monde que l’on remet indéfin­i­ment en scène n’au­tori­sait pas de véri­ta­ble lâch­er-prise. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le désir n’y fonc­tionne pas.
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on n’a pas le désir de quit­ter ce monde.
Au loin, très loin en nous, nous savons que s’y enfon­cer sauve.

Tine Van den Wyn­gaert dans MYTHOBARBITAL,
con­cep­tion et réal­i­sa­tion Stef Lernous / Abat­toir fer­mé,
Fes­ti­val inter­na­tion­al des Brigit­tines, 2009.
Pho­to Stef Lernous.


  1. Au nom­bre de trois dans cha­cun des spec­ta­cles envis­agés ici. ↩︎

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Écrit par Patrick Bonté
Patrick Bon­té a écrit pour la radio, le ciné­ma et le théâtre et réal­isé de nom­breuses mis­es en...Plus d'info
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