Ingrid von Wantoch Rekowski, créatrice d’objets scéniques non identifiés
Théâtre
Portrait

Ingrid von Wantoch Rekowski, créatrice d’objets scéniques non identifiés

Le 29 Juin 2010
Pascal Crochet, Bernard Eylenbosch, Hélène Gailly, Dominique Grosjean, Dirk Laplasse, Isabelle Dumont, Pietro Pizzuti, Annette Sachs, Candy Saulnier, Luc Schillinger dans IN H-MOLL, conception et mise en scène Ingrid von Wantoch Rekowski, Festival international des Brigittines, 2002. Photo Philippe Fresco.

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Pascal Crochet, Bernard Eylenbosch, Hélène Gailly, Dominique Grosjean, Dirk Laplasse, Isabelle Dumont, Pietro Pizzuti, Annette Sachs, Candy Saulnier, Luc Schillinger dans IN H-MOLL, conception et mise en scène Ingrid von Wantoch Rekowski, Festival international des Brigittines, 2002. Photo Philippe Fresco.
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S’IL EST BIEN UNE ARTISTE que le fes­ti­val des Brig­itinnes accom­pa­gne depuis ses débuts, c’est Ingrid Rekows­ki. Son théâtre poly­mor­phe et poly­phonique ne pou­vait que sus­citer l’in­térêt et ren­con­tr­er les affinités d’un fes­ti­val à l’af­fût d’écri­t­ure scéniques orig­i­nales : cen­tré sur le corps et la voix, éloigné de la dra­maturgie du texte et de la nar­ra­tion, s’aven­tu­rant du côté de l’opéra, de la per­for­mance ou de la vidéo, il cherche à révéler une « autre scène » à l’ œuvre der­rière les apparences humaines, entre les lignes d’une par­ti­tion, sous la sur­face d’une image, au cœur des mythes et des réc­its. À par­tir de ces référents gui con­stituent autant une source imag­i­naire qu’un défi artis­tique — parce qu’ils relèvent a pri­ori de l’ir­représentable, ou parce qu’il s’ag­it de chefs-d’œu­vre a pri­ori intouch­ables -, ses spec­ta­cles jouent de la trans­po­si­tion, du décalage, de la méta­mor­phose pour créer, sur base d’im­pro­vi­sa­tions, un théâtre tragi­comique à la fois visuel et musi­cal, élaboré dans son esthé­tique et ses sig­ni­fi­ca­tions mais économe dans ses moyens scéniques, et d’une atten­tion pas­sion­née autant qu’ex­igeante à l’é­gard de l’ac­teur, puisque tout repose essen­tielle­ment sur les inter­prètes, chœur de solistes tra­vail­lés au corps par des pul­sions dépouil­lées de toute con­ven­tion psy­chologique.

Sa for­ma­tion pluri­artis­tique (dont des études de mise en scène à l’IN­SAS) et ses recherch­es sur le tra­vail de Mey­er­hold avaient mené la jeune artiste fran­co-alle­mande à une pre­mière créa­tion en 1994, au Théâtre de la Bal­samine : IN THE WOODS ONE EVENING mêlait théâtre et musique de manière inédite avec un trio déjan­té d’ac­teurs de choc, en l’oc­cur­rence Alexan­dre von Sivers, Annette Sachs et Dominique Gros­jean.
La Com­pag­nie Lucil­ia Cae­sar est fondée la même année, cel­lule-lab­o­ra­toire con­sti­tuée d’un noy­au d’in­ter­prètes et de col­lab­o­ra­teurs fidèles avec lesquels la jeune créa­trice dévelop­pera ses recherch­es futures.
C’est avec A‑RONNE II, créé en 1996 aux Brigit­tines, que s’im­posent son univers et son style sin­guliers : cher­chant à met­tre en représen­ta­tion A‑RONNE, par­ti­tion radio­phonique à cinq voix du com­pos­i­teur Luciano Berio, Ingrid com­pose un étrange tableau vivant de cinq per­son­nages, san­glés dans des cos­tumes inspirés de la renais­sance ital­i­enne (en écho à la référence madri­ga­lesque de la musique); ce tableau d’époque se décom­pose au rythme des cris, glousse­ments, soupirs, frag­ments par­lés et chan­tés de la par­ti­tion vocale, sus­ci­tant la fas­ci­na­tion, le rire et l’é­moi … Le « théâtre pour les oreilles » de Berio est devenu « musique pour les yeux ». Ovni à la fois raf­finé et grotesque, A‑RONNE II sur­prend, sec­oue, éblouit le pub­lic autant que la cri­tique, qui décern­era à la met­teuse en scène le Prix du théâtre.
L’opéra, genre pluridis­ci­plinaire par excel­lence, la sol­licite ensuite pour divers­es com­man­des tan­dis qu’elle pour­suit ses pro­pres pro­jets au sein de Lucil­ia Cae­sar. En 2001, les Brigit­tines sont à nou­veau parte­naire pour une créa­tion de théâtre musi­cal auda­cieuse, aux apparences icon­o­clastes : rien moins que la MESSE EN SI MINEUR de Bach, libre­ment inter­prétée par dix acteurs. Dans IN H‑Mou, le chef-d’œu­vre de Bach s’in­car­ne dans des voix a capel­la et inex­pertes qui se répar­tis­sent des bribes de la par­ti­tion, ten­tent d’at­tein­dre au sacré par le sub­lime de la musique mais butent sur les lim­ites de la matière et des corps.
Con­traints de demeur­er alignés côte à côte durant tout le temps de la représen­ta­tion, corsetés dans la couleur chair de leurs habits mondains bor­dés de four­rure, les acteurs per­sis­tent néan­moins à chanter : on mur­mure, on s’é­gosille, on trafique les notes, on délire, on drague, on s’en­dort, on se dis­pute, on touche à la grâce par­fois, on souf­fre de ne pas y arriv­er, on sait qu’on n’y arrivera pas … Dérisoire par son imper­fec­tion, cette recom­po­si­tion musi­cale n’en con­serve pas moins une savante logique, et devient mémorable par la poly­phonie esthé­tique qu’elle engen­dre autant que par l’hu­man­ité qu’elle mon­tre, mal­adroite, frag­ile, drôle, cru­elle, touchante. Et l’essence de la MESSE EN SI en ressort étrange­ment sub­limée.
Entre les tournées inter­na­tionales de A‑RONNE II et IN H‑MOLL, Ingrid entame ensuite le vaste pro­jet « Méta­mor­phoses », inspiré de mul­ti­ples fig­ures de la pein­ture qu’elle pro­pose aux acteurs de se réap­pro­prier dans une fidél­ité plas­tique à l’o­rig­i­nal, pour ensuite les faire vivre et les trans­former. MÉTAMORPHOSES NOCTURNES, créées au Beurss­chouw­burg en 2002, présen­tent, en live ou en vidéo, une galerie de por­traits célèbres qui s’ani­ment dans leur cadre.
LES MÉTAMORPHOSES D’AVILA, créées à nou­veau aux Brigit­tines en 2003, exploitent mag­nifique­ment les murs et les nich­es de la chapelle baroque pour y présen­ter neuf fig­ures de saints, avec leurs emblèmes et attrib­uts, que le pub­lic décou­vre comme au musée ou à l’église, dans une prox­im­ité à la fois vivante et dis­tante.
En 2004, le film RUBENS-METAMORPHOSE s’at­tache, lui, aux fig­ures mais aus­si à la struc­ture et à la dynamique des pein­tures de Rubens, que les acteurs met­tent en mou­ve­ment dans un long plan séquence, splen­dide et sub­tile­ment ironique.
MARGUERITE, L’ÂNE ET LE DIABLE, créé en 2005 au Beurss­chouw­burg, pour­suit cette explo­ration pic­turale en pro­posant une tra­ver­sée de l’his­toire de la pein­ture à tra­vers cinq tableaux vivants — médié­val, clas­sique, baroque, roman­tique et expres­sion­niste — inscrits dans un même grand cadre doré. Seuls le jeu physique et sonore des per­formeurs vêtus de noir, les lumières et quelques acces­soires assurent la trans­for­ma­tion des tableaux. Ingrid rad­i­calise ici ses principes scéniques pour attein­dre à l’épure de la méta­mor­phose. Suit alors, en 2006, LE TANGO DES CENTAURES au Théâtre Nation­al, qui retourne à la source textuelle de toute méta­mor­phose le chef-d’œu­vre antique d’O­vide -, et à ses pro­longe­ments dans l’opéra baroque, pour con­fron­ter l’hu­main à ses hybrid­ités ani­males ou divines, aux pas­sions furieuses ou amoureuses qui découlent de son trou­ble exis­ten­tiel. Ce TANGO ren­voie ain­si au monde con­tem­po­rain un reflet défor­mé et loufoque de ses excès, de ses égare­ments.

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Écrit par Isabelle Dumont
Actrice, créatrice de spec­ta­cles et de conférences scéniques, chercheuse curieuse, Isabelle Dumont a été interprète notam­ment des spec­ta­cles...Plus d'info
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