À la confluence de la science, de l’art et du théâtre

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À la confluence de la science, de l’art et du théâtre

Le 7 Nov 2016
"Animalia". Photo © Isabelle Dumont.
"Animalia". Photo © Isabelle Dumont.

Le Théâtre La Bal­samine a offert récem­ment (du 13 au 29 octo­bre) à Isabelle Dumont un espace pour  un « focus curio­sus ». Elle a pu y déploy­er deux « cab­i­nets de curiosités » récents con­sacrés au règne ani­mal (Ani­malia) et végé­tal (Hor­tus minor). Et un nou­veau, dédié aux minéraux (Min­er­alia). Une aven­ture com­mencée, en 2006, au hasard d’une com­mande du KFDA (Kun­sten­fes­ti­valde­sarts), par un « petit salon baroque ». Et qui s’est pour­suiv­ie par une demande du musée de zoolo­gie de l’Université Libre de Brux­elles, puis par la volon­té d’Isabelle d’aller jusqu’au bout de sa logique d’exploration de l’univers (out­re la dif­fu­sion occa­sion­nelle, par un théâtre ou un fes­ti­val, Isabelle dif­fuse ses « cab­i­nets » dans des apparte­ments privés, pour publics de 20 à 30 per­son­nes).

Au départ, comme elle nous l’explique, Isabelle est uni­ver­si­taire, roman­iste, mais aus­si danseuse, actrice, can­ta­trice et per­formeuse. En plus pas­sion­née, « ama­trice » de sci­ences. Une sorte de tem­péra­ment « Renais­sance » et baroque à la fois, en ce XXIe siè­cle qui cul­tive joyeuse­ment le « post­mod­ernisme », l’abandon des cadres fix­es, en sci­ences comme en arts. Pour exercer la col­lab­o­ra­tion des sci­ences et la trans­ver­sal­ité des arts. Isabelle, actrice / con­féren­cière parvient à mêler tous ses savoirs, avec humour, et toutes ses pra­tiques artis­tiques sans osten­ta­tion. En créant un « genre » unique, qui se nour­rit d’une tra­di­tion pour nous plonger dans un « gai savoir » savoureux.

"Mirabilia". Photo © Isabelle Dumont.
“Mirabil­ia”. Pho­to © Isabelle Dumont.

C.J. : Il y a 10 ans le Kun­sten­fes­ti­valde­sarts t’a pro­posé d’organiser un « petit salon baroque ». Un point de départ.

I.D. : Lorsque j’ai été invitée par Frie Ley­sen, direc­trice à l’époque du KFDA,  j’ai souhaité recréer un « dis­posi­tif de curiosités » en emprun­tant des ani­maux empail­lés, des tours d’ivoire, des pièces de col­lec­tion­neurs qui don­naient un ancrage visuel et sen­soriel à cette époque baroque. J’y assumais le réc­it sin­guli­er et sub­jec­tif du pro­prié­taire de ces objets ain­si qu’une cer­taine théâ­tral­ité puisque ces « cham­bres des mer­veilles » sont aus­si appelés « théâtres du monde », offrant des élé­ments excep­tion­nels de la nature et  de l’homme… Ce dis­posi­tif a sus­cité l’engouement du pub­lic, ce qui m’a amenée à me doc­u­menter davan­tage sur l’origine et la des­tinée de ces « cham­bres des mer­veilles ».

C.J. : Com­ment pass­er d’un « salon baroque » à des « cab­i­nets » de curiosités explo­rant le règne ani­mal, végé­tal puis minéral ? 

I.D. : Sci­ences et arts sont com­binés dans les cab­i­nets de curiosité. C’est l’époque de Galilée et de l’opéra baroque, la con­nais­sance du monde change et les arts en par­lent. A la suite d’une demande du musée de zoolo­gie de l’U.L.B., j’ai emprun­té des ani­maux empail­lés pour un cab­i­net zoologique, lors d’une Nuit des Musées 2012. Je suis curieuse et « ama­trice » émer­veil­lée par un savoir sci­en­tifique acces­si­ble à tous. J’y par­lais d’art, d’histoire, de philoso­phie et de soci­olo­gie. Cette approche pluridis­ci­plinaire cor­re­spond de près à l’esprit des « curiosités ».

C.J. : Tu revendiques le fait d’être non-spé­cial­iste. Mais com­ment mêler sérieux sci­en­tifique et néces­sité de séduire un pub­lic non aver­ti ?

I.D. : Je com­mence sou­vent par la doc­u­men­ta­tion sci­en­tifique. Roman­iste de base, j’ai de la rigueur, je digère l’information sci­en­tifique et puis je laisse agir la femme de théâtre dans son côté plus intu­itif et sub­jec­tif afin d’arriver au « bon dosage ». La dimen­sion sen­sorielle et musi­cale est impor­tante, comme  l’art du rythme et de la tran­si­tion. Bas­culer du sci­en­tifique à la musique demande des « rac­cords » bien pen­sés. C’est un réel tra­vail scénique et dra­maturgique. Je tra­vaille sou­vent à par­tir d’improvisations puis je « couds » des élé­ments dif­férents pour met­tre en appétit le pub­lic visé.

C.J. : Traiter du monde ani­mal ou minéral sem­ble plus abor­d­able que les minéraux, ton dernier « cab­i­net », plus abstrait ?

I.D. : De fait avec les minéraux, on est dans la chimie, la géométrie, la minéralo­gie, etc. J’ai dû beau­coup décan­ter la matière pour la ren­dre digeste mais c’est peut-être le règne auquel je suis la plus sen­si­ble et qui me fascine esthé­tique­ment. Le livre de Roger Cailois , L’Écriture des pier­res, qui décrit les pier­res et rêve autour d’elles m’a aidée à trou­ver les mots pour par­ler de mon ressen­ti per­son­nel. Mais j’ai mobil­isé tous les champs, lit­téraires, artis­tiques et sci­en­tifiques.

C.J. : Ce sujet te per­met de remon­ter aux orig­ines de la Terre, mêlant sci­ence, art et méta­physique ?

I.D. : Le tableau de Mendeleïev est incroy­able à ce niveau. Il con­stitue absol­u­ment toute matière : celle des végé­taux, des hommes, des ani­maux en com­bi­nant à peine plus de 100 élé­ments. La tem­po­ral­ité y est référée en mil­lions d’années pour les pier­res. Cela m’a fascinée et menée à une con­tem­pla­tion que j’essaie de partager dans un cadre intimiste (pas plus de 25 spec­ta­teurs). L’idée est d’ouvrir un « espace de ralen­tisse­ment » qui soit prop­ice à accéder à la tem­po­ral­ité allongée des pier­res. Je com­mence par y par­ler de la for­ma­tion de la Terre. J’interroge notre brièveté de pas­sage dans l’Histoire.

C.J. : C’est à la fois ludique, musi­cal et… sen­suel ?

I.D. : D’habitude mes « cab­i­nets de curiosités » sont plus visuels et audi­tifs que sen­soriels. Ici, le rap­port tac­tile joue un rôle impor­tant dans la ren­con­tre. On a tous envie de touch­er les pier­res. Et de mon­tr­er qu’elles per­me­t­tent aus­si de faire de la musique, une de mes autres pas­sions.

C.J. : Les pier­res nous frap­pent naturelle­ment par leurs formes artis­tiques. 

I.D. : Mille chances com­posées peu­vent pro­duire des œuvres d’art naturelles. Elles sont d’ailleurs cadrées par le spé­cial­iste qui les trou­ve. Quelqu’un m’a fait remar­quer qu’une pierre ne peut pas tou­jours révéler sa beauté tout de suite. Elle doit pass­er par les mains de l’homme qui l’ouvre et puis la polit afin qu’elle nous révèle sa beauté. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui par­lent d’inertie dans ce domaine. Les proces­sus de trans­for­ma­tion sont nom­breux. A l’inverse, le galet me plait pour sa beauté, la plus brute qui soit. 

C.J. : La sci­ence tend à ranger par caté­gories et toi tu par­les de trans­ver­sal­ité. Est-ce un symp­tôme de l’air du temps ?

I.D. : Le « post­mod­ernisme », dans lequel nous vivons, réac­tion au « mod­ernisme », se car­ac­térise par ce côté éclec­tique, volon­taire­ment hybride. Et cela vaut pour les sci­ences comme pour les arts. Dans l’écosystème ter­restre, les sci­ences sont amenées à col­la­bor­er pour résoudre cer­tains prob­lèmes (comme celui du réchauf­fe­ment cli­ma­tique) et on se rend compte des lim­ites de nos spé­cial­i­sa­tions respec­tives. Cha­cun se sent impuis­sant face aux experts. Mon cab­i­net minéral est un moyen de faire réfléchir les hommes sur leur rôle de citoyen pou­vant penser la nature : ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas experts qu’ils sont impuis­sants face à la Terre. Ce sont des débats de société qui pren­nent forme à tra­vers des con­férences-spec­ta­cles et expo­si­tions divers­es dans les musées. On recrée du dia­logue entre les col­lec­tions et les expo­si­tions. On sort de l’idée mod­erniste de clas­si­fi­ca­tions rigides.

C.J. : Ce genre de spec­ta­cle pour­rait-il s’adresser à des ado­les­cents qu’on a ten­dance à enfer­mer dans une spé­cial­i­sa­tion ?

I.D. : Mal­heureuse­ment, le dis­posi­tif n’est pas à la portée des écoles, finan­cière­ment. Mais Il y a deux ans, j’ai organ­isé un ate­lier avec des étu­di­ants nor­maliens qui a débouché sur un cab­i­net zoologique, un out­il péd­a­gogique présen­té à des class­es de pri­maire. J’ai égale­ment récem­ment effec­tué un ate­lier débar­rassé de toute référence cul­turelle ou sci­en­tifique pour en faire un espace d’expression per­son­nelle. Il s’adressait à de jeunes immi­grés, âgés de 14 à 20 ans, qui appren­nent le français avec des his­toires com­plex­es et très divers­es. Cha­cun a amené une « curiosité », un objet. Beau­coup ont présen­té un bijou qu’ils por­taient sur eux. Ce dis­posi­tif, tout à fait nou­veau et vivant, a eu un résul­tat émou­vant et par­lant.

Animalia sera présenté le 23 novembre au Point Culture de l'ULB. Réservation indispensable.

Mineralia sera présenté le 25 novembre à l'ISELP (Bruxelles) et le 27 novembre à domicile.
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Christian Jade
Christian Jade est licencié en français et espagnol de l’Université libre de Bruxelles ( ULB)...Plus d'info
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