L’art de surtitrer : voyages en langues étrangères

Compte rendu

L’art de surtitrer : voyages en langues étrangères

Le 4 Mar 2016
"Odypus der Tyran", mise en scène de Romeo Castellucci, régie surtitre Michel Bataillon. Photo © Pierre-Yves Diez
"Odypus der Tyran", mise en scène de Romeo Castellucci, régie surtitre Michel Bataillon. Photo © Pierre-Yves Diez
Article fraîchement numérisée
Cet article rejoint tout juste nos archives. Notre équipe le relit actuellement pour vous offrir la même qualité que nos éditions papier. Pour soutenir ce travail minitieux, offrez-nous un café ☕

Jadis, il y a bien longtemps, on pre­nait le temps de lire la pièce dans sa tra­duc­tion avant de se ren­dre au théâtre ou à l’opéra pour assis­ter à sa mise en scène en langue orig­i­nale.

Aujourd’hui, les sur­titres sont là pour nous don­ner la « sub­stan­tifique moëlle » d’un texte, en direct et en syn­chrone avec les acteurs sur scène. Quelle mag­nifique inven­tion ! Quel luxe pour le spec­ta­teur, assis con­fort­able­ment, qui n’a plus qu’à lever les yeux pour com­pren­dre la sig­ni­fi­ca­tion d’une tirade en langue incon­nue.
Les pre­miers sur­titres ont été lancés à la Cana­di­an Opera Com­pa­ny de Toron­to pour Elek­tra de Richard Strauss, le 21 jan­vi­er 1983. Ils étaient alors affichés au moyen d’un pro­jecteur à dia­pos­i­tives.

Ce temps est révolu, de nos jours on envoie les sur­titres (dans le jar­gon, on dit qu’on « tope ») à l’aide d’un ordi­na­teur (et donc d’un logi­ciel adap­té, voir note 1), d’un vidéo pro­jecteur ou de pan­neaux LED. Ces derniers rem­por­tent de plus en plus de suc­cès grâce à leur belle lumi­nosité et leur pratic­ité.

À l’opéra, le sur­titrage est lié à la par­ti­tion, à la musique : il est moins per­méable ; au théâtre, il est lié aux pro­pos des comé­di­ens : c’est du cousu sur mesure, chaque soir.

Le sur­titrage au théâtre se partage en trois fonc­tions dis­tinctes, qui peu­vent être exer­cées par une seule et même per­son­ne : la tra­duc­tion lit­téraire (théâ­trale), la rédac­tion des titres (ou le « découpage ») et la régie des titres (ou le « topage »).

Le tra­duc­teur – régis­seur de sur­titres (ou « topeur ») a plusieurs con­traintes : il doit d’abord se pro­cur­er une tra­duc­tion ou traduire lui-même la pièce ; ensuite, vision­ner le spec­ta­cle, soit dans une cap­ta­tion (vidéo ou audio), soit, au mieux, en suiv­re les répéti­tions. Avec ce matéri­au, il va se met­tre à la découpe. C’est-à-dire qu’il va délim­iter le texte en seg­ments, en suiv­ant les tem­pi don­nés par les acteurs. Ce sont ces phras­es ou morceaux de phras­es qui seront affichés sur les pan­neaux graphiques (ou pro­jetés) lors des représen­ta­tions.

La règle d’or pour le tra­duc­teur / découpeur est la suiv­ante : le frag­ment de texte doit se lire com­mod­é­ment. Une tâche qui peut se révéler plus com­plexe qu’il n’y parait. Il faut max­i­mum deux lignes de cinquante signes (espaces com­pris) ; si c’est plus long, le spec­ta­teur se met­tra en mode « lec­ture ana­ly­tique » et ris­quera de s’y per­dre (au lieu de suiv­re le spec­ta­cle). Ensuite, chaque seg­ment doit avoir une unité gram­mat­i­cale.

Enfin, last but not least, le tradut­tore tra­di­tore doit, pour cal­i­br­er le mieux pos­si­ble ses seg­ments, se débar­rass­er de tout le super­flu : virés les jolis qual­i­fi­cat­ifs trop longs, oubliées les cir­con­stan­cielles élé­gantes… On « dégraisse » le plus pos­si­ble sa belle tra­duc­tion de départ, on syn­thé­tise, on va à l’essentiel, on jon­gle avec les syn­onymes…
Mais le plus dur reste à venir.

Quel est le péché cap­i­tal pour un sur­titreur ?

Délivr­er dans un titre une infor­ma­tion qui n’a pas encore été jouée. S’il grille l’effet d’un comé­di­en, c’est lui qui est gril­lé. Il doit faire preuve d’une con­cen­tra­tion à toute épreuve : en moyenne, il « lance » un titre toutes les huit sec­on­des.

Com­ment ne pas admir­er, par­mi tant d’autres, le régis­seur titre du dernier spec­ta­cle de Joël Pom­mer­at en tournée, Ça ira : qua­tre heures sans pause, ce sont des mil­liers de « tops » tous les soirs. Il faut un cer­tain sang froid.

Quel est le cauchemar du sur­titreur ?

Lorsque le comé­di­en « saute » une par­tie de texte (surtout quand il s’en rend compte et « revient en arrière »).

Les meilleurs sur­titres sont les plus dis­crets, ceux qui « coulent » en douceur dans la scéno­gra­phie et accrochent le moins pos­si­ble l’œil du spec­ta­teur². C’est un véri­ta­ble défi pour le met­teur en scène d’associer la lec­ture à sa mise en scène. En effet, on ne va pas au théâtre pour lire mais pour vivre une expéri­ence esthé­tique qui priv­ilégie l’écoute et la vision. C’est pourquoi, avant de met­tre en chantier des sur­titres, il est indis­pens­able d’acquérir le plus tôt pos­si­ble la com­plic­ité du met­teur en scène, de pren­dre le temps de plac­er les sur­titres au mieux pour ne pas détru­ire le spec­ta­cle ni le con­fort du spec­ta­teur. Cer­tains grands met­teurs en scène l’ont com­pris depuis longtemps : Thomas Oster­meier, par exem­ple, pense aux sur­titres dès le début d’une créa­tion.

Et puis, il faut « amadouer » les comé­di­ens. Dans Ein­fach kom­pliziert (T. Bern­hard), par exem­ple, dans la mise en scène de Claus Pey­mann au théâtre des Abbess­es (Paris, 2012), le comé­di­en Gert Voss, âgé de 71 ans, n’avait aucune envie qu’on pénètre dans sa cham­bre, sur scène, avec des rayons lumineux : il se sen­tait traqué ! Il a fal­lu négoci­er avec lui, se caler sur le bon angle dans le fond, chercher une couleur qui se com­bine bien³…

Le sur­titrage ne se fait pas par-dessus la jambe, qu’on se le dise ! Il est un art qui nous per­met de voy­ager en ter­res incon­nues.

Cet article s’appuye en partie sur le Guide du surtitrage qui vient de paraitre, écrit par Michel Bataillon, Laurent Muhleisen et Pierre-Yves Diez, édité par la maison Antoine Vitez. Il est téléchargeable gratuitement ici: http://www.maisonantoinevitez.com/fr/sur-titrage.html
1. Il existe plusieurs logiciels comme Impress, Keynote, Powerpoint et Torticoli. Ce dernier a été créé spécialement pour le théâtre par Pierre-Yves Diez sur une demande de Bernard Faivre d’Acier pour le Festival d’Avignon 1996.
2. D’après Mauro Conti, spécialiste de la question, les surtitres sont un « cuneo » (un coin à bois), que le spectateur doit intégrer au spectacle comme un outil de contrôle de conduite d’un véhicule : même s’il les consulte, il ne doit pas perdre de vue la route. À lire en ligne son excellent article – en italien : http://www.prescott.it/wp-content/uploads/2015/01/Mauro-Conti_Scripta-Volant-ITA.pdf
3. Cette anecdote nous a été racontée par Michel Bataillon, traducteur et régisseur titres de ce spectacle.

4. Dans l’objectif de contribuer à la diffusion des pratiques artistiques contemporaines et à la construction d’une Europe culturelle, Alternatives théâtrales développe, en parallèle à ses activités éditoriales, des services de traduction et de surtitrage. 
AT T/S coordonne une équipe de professionnels spécialisés et s’occupe de tout le processus pour le surtitrage d’un spectacle : traduction – découpage – encodage et envoi des titres. Elle peut aussi se charger d’intervenir sur place pour le placement d’écrans ou de projecteurs.
Pour ce faire, elle travaille en collaboration avec Art-com diffusion, société de développement audiovisuel basée en Avignon (France), qui a créé le logiciel Opus.

Juin-juillet-août 2017 : Conception et réalisation du surtitrage du spectacle Les Inouïs, Compagnie d’un jour, au Zomerfestival d’Anvers.

Enreg­istr­er

Compte rendu
Théâtre
Surtitres
281
Partager
Laurence Van Goethem
Laurence Van Goethem, romaniste et traductrice, a travaillé longtemps pour Alternatives théâtrales. Elle est cofondatrice...Plus d'info
Partagez vos réflexions...

Vous avez aimé cet article?

Aidez-nous a en concocter d'autres

Avec votre soutien, nous pourrons continuer à produire d'autres articles de qualité accessibles à tous.
Faites un don pour soutenir notre travail
Soutenez-nous
Chaque contribution, même petite, fait une grande différence. Merci pour votre générosité !
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements