Marco Pantani, parole d’honneur

Compte rendu

Marco Pantani, parole d’honneur

Le 18 Mar 2016
Pantani. Photo © Claire Pasquier.
Pantani. Photo © Claire Pasquier.
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Mar­co Pan­tani. Ce nom vous dit peut-être quelque chose. C’était le nom d’un cham­pi­on de cyclisme. Moi-même, qui ne suis pas spé­ciale­ment fan de vélo, j’en avais enten­du par­ler.

C’était surtout un bon ragaz­zo, qui venait de la mer et s’entraînait, petit, sur le vélo de sa maman en grim­pant les collines d’Émilie-Romagne, sa Région natale, et finit, des années plus tard, par tri­om­pher plusieurs fois, mal­gré deux acci­dents graves, au Giro d’Italia et au Tour de France.
Un gars sym­pa, le crâne chauve, les oreilles décol­lées, tou­jours prêt à défendre son sport et ses acolytes des accu­sa­tions sou­vent injustes ; un regard fier qui scru­tait tou­jours la ligne — pour lui glo­rieuse — de l’horizon. En 1998, la jambe à peine remise, il gagne aus­si bien le Tour d’Italie que le Tour de France et devient un héros dans le monde entier. Il est adulé dans son pays, plus encore qu’un cham­pi­on de for­mule 1 ou de cal­cio. Les qual­i­fi­cat­ifs élo­gieux ne man­quent pas : le Pirate, l’Évangéliste, Dieu…

« Mais ce garçon excep­tion­nel, ne gagne-t-il pas trop ? » com­mence-t-on à se deman­der dans le milieu.
Il attise en tout cas les jalousies.
Le 5 juin 1999, à son sec­ond Giro d’Italia, il s’est lit­térale­ment propul­sé vers le som­met de Madon­na di Campiglio ; mais ce jour-là, la Madone n’y était pas, dira-t-il par la suite. Le soir de la course, il con­trôle lui-même son taux d’hématocrite. L’hé­ma­t­ocrite est le vol­ume occupé par les glob­ules rouges cir­cu­lants dans le sang exprimé en pour­cent­age par rap­port au vol­ume total du sang. Il ne doit pas dépass­er cinquante pour­cent, pour des raisons de san­té. Trop d’hématocrite peut être le signe d’une prise d’EPO (hor­mones dopantes), mais pas for­cé­ment. Ce soir-là, tout va bien, Mar­co peut dormir tran­quille. Le lende­main matin, on lui fait le même con­trôle. Le résul­tat est sans appel : cinquante-deux pour­cent. C’est la sus­pen­sion et l’exclusion du Giro. L’image de son « arresta­tion », comme un délin­quant, fait le tour du monde. Il se défend, crie au com­plot mais, déjà, plus per­son­ne ne l’écoute.

Ce qui suiv­ra est un acharne­ment médi­a­tique sans précé­dent. Son nom est traîné dans la boue. Il est humil­ié dans toute la presse, on le com­pare même à des excré­ments de cochon. L’Italie, ce pays aux mille facettes, capa­ble d’encenser comme de détru­ire, a trou­vé un bouc émis­saire et devient son bour­reau, impi­toy­able. (1)
Notre cham­pi­on fera alors une longue dépres­sion et plongera dans la drogue.

Il est retrou­vé mort dans des cir­con­stances sus­pectes le 14 févri­er 2004, à l’âge de 34 ans. L’enquête sur sa mort fut bâclée, des indices de présence d’une per­son­ne qui s’y trou­vait au moment de son décès n’ont jamais été analysés.

Same­di dernier, à Bologne, la salle était debout pour applaudir Pan­tani, une pro­duc­tion du Teatro delle Albe. Ce spec­ta­cle tourne con­stam­ment depuis 2012 et a gag­né de nom­breux prix. C’est chez nous, à Mons (il est copro­duit par le Manège.mons) que l’auteur et met­teur en scène Mar­co Mar­tinel­li en a eu l’idée, par­tant du livre du jour­nal­iste Philippe Brunel – Vie et mort de Mar­co Pan­tani (Gras­set) – , inter­prété sur scène par l’acteur belge Francesco Mormi­no. Pour mon­ter ce spec­ta­cle, Mar­tinel­li a tout lu sur le coureur et ren­con­tré ses proches à plusieurs repris­es, surtout sa mère, Ton­i­na Pan­tani, une femme bat­tante, mil­i­tante inlass­able, qui a cédé son com­merce de pia­dine (sortes de crêpes typ­iques de la région) pour implor­er sans relâche jus­tice pour son fils.
Sur scène, dès le début, le cycliste est présent mais unique­ment par vidéo inter­posée, petits films qui le mon­trent en action. Sa mère, mag­nifique­ment incar­née par Erman­na Mon­ta­nari, n’aura de cesse d’éteindre ces images, comme si elle essayait d’anéantir sa douleur à l’aide d’une télé­com­mande. Car si Mar­co Pan­tani est le coeur de la pièce, si c’est son his­toire qu’on décou­vre et qu’on suit avec pas­sion, l’héroïne en est sa mère. Une mère-courage, une Antigone mod­erne qui ne peut faire le deuil de son fils tant que la vérité sur sa mort n’aura pas éclaté. Elle illu­mine le spec­ta­cle de sa souf­france digne et de son com­bat. Son père, Lui­gi Dad­i­na, est d’un pathos pop­u­laire d’une inten­sité rare et sa sœur, jouée par Michela Marango­ni, est mag­nifique de sim­plic­ité et de vérité. Comme à son habi­tude, Mar­co Mar­tinel­li soigne aus­si la musique, ici Simone Zan­chi­ni avec son accordéon grave et doux à la fois ; et un chœur, la voix de(s) (l’)absent(s), scan­de solen­nelle­ment les scènes par des chants pop­u­laires.

En lisant les jour­naux ital­iens lun­di matin, soit deux jours après avoir assisté au spec­ta­cle, je tombe sur une nou­velle qui me boule­verse. Alors que « l’affaire » devait juste­ment être classée, on inter­cepte par hasard une con­ver­sa­tion dans la cel­lule d’un ancien « camor­riste » qui porte sur ce qui est arrivé là-haut, quand la Madone se défi­la devant Mar­co et qu’il se retrou­va ban­ni comme un paria. Le scan­dale est dévoilé au pub­lic : l’éprouvette util­isée pour son con­trôle avait été altérée. C’est la Camor­ra qui lui fit per­dre son Giro.

La pièce per­met de sub­limer cette his­toire, finale­ment assez banale, d’un inno­cent accusé sans preuve. Elle fait le por­trait en fil­igranes d’une société féroce qui crée des idol­es pour mieux les mas­sacr­er, tout en con­traste avec la sim­plic­ité presque can­dide d’une région aux racines paysannes.

L’actualité a don­né une réponse à la ques­tion que posait intrin­sèque­ment le spec­ta­cle : nos hyper démoc­ra­ties empêchent-elles l’excellence ? Peut-être. Mais dans ce cas-ci, Pan­tani fut écarté par la mala vita, les « vrais » délin­quants, et achevé par les mots assas­sins d’un peu­ple qui l’avait pris en ligne de mire.

Le théâtre a ten­té de réha­biliter son hon­neur ; la jus­tice a pris le relais.

Ton­i­na pour­ra peut-être, enfin, dormir tran­quille.

 

1. En 1969 Eddy Mercks fut aussi déclassé du Tour d’Italie pour dopage. Mais il fut défendu bec et ongles par toute la population belge - même la reine s’en mêla! - et au bénéfice du doute, sa suspension fut annulée.
Sur le thème du cyclisme un spectacle belge très réussi tourne aussi beaucoup pour le moment : Porteur d’eau de Denis Laujol.
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Théâtre
Critique
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Laurence Van Goethem
Laurence Van Goethem, romaniste et traductrice, a travaillé longtemps pour Alternatives théâtrales. Elle est cofondatrice...Plus d'info
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