Un festival de films sur l’art à Bruxelles : le BAFF

Compte rendu
Entretien

Un festival de films sur l’art à Bruxelles : le BAFF

Le 5 Déc 2016
"Trust in me" © Stehr et Dubrana.
"Trust in me" © Stehr et Dubrana.

Du 17 au 20 novem­bre dernier, j’ai été invitée à par­ticiper au jury du Brus­sels Art Film Fes­ti­val (BAFF), organ­isé par Sarah Pialeprat (direc­trice du CFA – Cen­tre du Film sur l’Art) et Adrien Grim­meau (com­mis­saire d’ex­po­si­tion et pro­gram­ma­teur du fes­ti­val pour l’Iselp – Insti­tut supérieur de l’étude du lan­gage plas­tique) en parte­nar­i­at avec l’Iselp, la Cin­e­matek et Bozar.

Durant trois jours, nous avons été immergés dans une foi­son­nante pro­duc­tion de « films sur l’art », un genre aux con­tours flous, dif­fi­cile à définir mais pas­sion­nant à décou­vrir, où non seule­ment les arts plas­tiques mais aus­si les arts de la scène se retrou­vent sous l’œil de la caméra.

Le prix Décou­verte – qui récom­pense un réal­isa­teur de moins de 30 ans – a d’ailleurs été attribué à Yoann Stehr et Stephan Dubrana pour Trust in me, court métrage de 23 min­utes doc­u­men­tant un stage de mar­i­on­nettes don­né, en décem­bre 2015, au Théâtre de la Galafronie par Nat­acha Belo­va, scéno­graphe, cos­tu­mière, mar­i­on­net­tiste et plas­ti­ci­enne bien con­nue de nos théâtres…

Trust in me : cre­do des mar­i­on­nettes

Au départ, Yoann, jeune cinéaste diplômé de La Cam­bre, voulait faire un por­trait de Nat­acha Belo­va qu’il avait ren­con­trée alors qu’il réal­i­sait les vidéos du spec­ta­cle Bor­gia, comédie con­tem­po­raine, un spec­ta­cle de la Com­pag­nie Point Zéro créé en 2015. Nat­acha lui a plutôt pro­posé de filmer le stage de mar­i­on­nettes qu’elle allait don­ner, inti­t­ulé “Lab­o­ra­toire Plan B”. Yoann a demandé à son frère Stephan de le rejoin­dre sur le pro­jet. Trust in me est né de là…

Au-delà de la dimen­sion doc­u­men­taire – assumée avec clarté et sim­plic­ité entre autres par des voix off –, ce petit film nous donne accès à l’intimité du proces­sus de créa­tion des mar­i­on­nettes à taille humaine réal­isées par les artistes de tous hori­zons réu­nis dans ce « Lab­o­ra­toire plan B ». On entre dans la recherche per­son­nelle de chacun/e, révéla­trice, per­tur­ba­trice, trans­for­ma­trice… car il s’agit rien moins que de créer un « être » uni à soi et lui don­ner vie. Cette ges­ta­tion, cette nais­sance, cette rela­tion déli­cate, trou­blante et trou­blée qui s’élabore entre les mar­i­on­net­tistes et leurs « créa­tures », le ciné­ma les saisit au vif, les met aux pris­es avec la réal­ité, les con­necte avec d’autres réal­ités emprun­tées par­fois à d’autres films, ouvrant sur l’inconscient indi­vidu­el et col­lec­tif à l’œuvre dans ce proces­sus artis­tique, et déploy­ant sa pro­pre poé­tique filmique.

Le film joue aus­si avec notre trou­ble de spec­ta­teurs face à ces entités dou­bles car, au-delà de la manip­u­la­tion par les mar­i­on­net­tistes, « c’est le regard du pub­lic qui donne vie à la mar­i­on­nette », déclare un des artistes sta­giaires. « Si le pub­lic veut bien croire que la mar­i­on­nette est vivante, alors elle est vivante ». Trust in me… « croyez en moi » sem­blent nous dire toutes ces fig­ures muettes dont la présence-absence crève l’écran. Et on y croit, d’autant plus que le film nous y mène par ses pro­pres moyens – ciné­matographiques – sans jamais vers­er dans l’illusion spec­tac­u­laire… car le sim­u­lacre de la vie ne tient qu’à un fil et la créa­tion est tou­jours frag­ile. C’est là où le « film sur l’art » a tout son intérêt et où celui de Yoann Stehr et Stephan Dubrana est une réus­site.

"Trust in me" © Stehr et Dubrana
“Trust in me” © Stehr et Dubrana

Le film sur l’art : une his­toire en devenir

Mais d’où vient cet intérêt de met­tre l’art du ciné­ma « au ser­vice » d’un autre art ? Que com­pren­dre de l’histoire de ces films qui, d’abord rat­tachés au doc­u­men­taire, voire au ciné­ma péd­a­gogique, ont ensuite trou­vé une autonomie au sein du genre « film sur l’art » ? Quel apport artis­tique cette pro­duc­tion représente-t-elle ? Qu’apporte-t-elle en retour au ciné­ma ? Où sont ces films ? Com­ment les voir ? Et quelle est la sit­u­a­tion présente de ce type d’approche ?
Entre­tien avec Sarah Pielaprat à ce sujet…

I. D. – Sarah, tu diriges depuis 2011 le Cen­tre du Film sur l’Art, une insti­tu­tion assez unique, sub­ven­tion­née par la Fédéra­tion Wal­lonie-Brux­elles et le Par­lement fran­coph­o­ne brux­el­lois… Peux-tu retrac­er briève­ment l’histoire du film sur l’art et l’origine de ce Cen­tre ?

S. P. – Je ne suis pas une his­to­ri­enne du genre… mais on con­sid­ère le cinéaste alle­mand Hans Cürlis comme le créa­teur du doc­u­men­taire artis­tique et cul­turel (Kul­tur­film) dans les années 1920 à Berlin. Son but était de met­tre l’art à la portée de tous via le medi­um du ciné­ma. Le film doc­u­men­taire en général, et sur l’art en par­ti­c­uli­er, a une vraie his­toire liée à la Bel­gique, avec Hen­ri Stor­ck, père du doc­u­men­taire belge à la fois social (par ses films engagés comme le célèbre Mis­ère au Bori­nage coréal­isé avec Joris Ivens en 1936) et artis­tique : ce genre lui tenait à cœur parce qu’il avait fréquen­té des pein­tres comme Ensor, Spilli­aert et Per­me­ke, et son ambi­tion était de faire, grâce au ciné­ma, une œuvre plas­tique dotée du mou­ve­ment. Il a par exem­ple filmé les tableaux de Paul Del­vaux et a réal­isé avec le cri­tique d’art Paul Hae­saert un film sur Rubens. C’est aus­si lui qui a fondé le Cen­tre du Film sur l’Art en 1980, dédié à la pro­mo­tion, la con­ser­va­tion et la dif­fu­sion, non pas de films d’artistes ou de « cap­ta­tions » (de créa­tions choré­graphiques ou théâ­trales), mais de doc­u­men­taires sur des artistes, sur des œuvres d’art, des pra­tiques et des proces­sus de créa­tion, des événe­ments artis­tiques…. Des doc­u­men­taires qui soient eux-mêmes artis­tique­ment intéres­sants par leur forme et leur point de vue.

I. D. – Au départ, ces films d’art étaient donc surtout con­sacrés aux pein­tres ?

S. P. – En effet. Les archives ciné­matographiques les plus anci­ennes datent de 1914 – 15, où l’on voit Mon­et debout dans son jardin de Giverny en train de pein­dre ses nymphéas et Renoir en chaise roulante peinant à tenir ses pinceaux entre ses doigts arthri­tiques… Mais la pein­ture pose un prob­lème au ciné­ma : que faire du corps du pein­tre ? Com­ment saisir le geste de l’artiste avec sa main et son dos dans le chemin ? Dans Les mains créa­tri­ces (Schaf­fende Hände, 1923) de Hans Cürlis, les mains sont omniprésentes dans le champ de la caméra. C’est à Paul Hae­saert qu’on doit l’idée de deman­der à l’artiste de pein­dre sur une vit­re der­rière laque­lle on le filme. Il utilise ce procédé dans son court métrage Vis­ite à Picas­so en 1950, avant qu’Henri Clouzot ne s’en inspire pour son pro­pre long-métrage Le mys­tère Picas­so en 1957.

Cer­tains artistes ont eux-mêmes com­mencé à doc­u­menter leur tra­vail. C’est le cas des films proces­suels de Bran­cusi : dans les années 1920,  sur les con­seils de Man Ray, il entre­prend de réalis­er des pho­togra­phies de ses sculp­tures et peu après, de les filmer, instau­rant un dia­logue fécond entre sa pro­duc­tion sculp­tée, la pho­togra­phie et le film. Les arts con­tem­po­rains tien­nent compte de la dimen­sion proces­suelle de la créa­tion, ain­si que de sa doc­u­men­ta­tion et de son archivage – où le ciné­ma et la vidéo occu­pent une place sin­gulière.

La télévi­sion a évidem­ment aus­si joué un rôle dans le développe­ment du doc­u­men­taire sur l’art, à par­tir de la fas­ci­na­tion d’entrer dans l’intimité créa­trice d’un grand artiste, de capter le « génie » au tra­vail…

Pro­gres­sive­ment, le genre s’est ouvert aux autres arts que plas­tiques, avec une prédilec­tion pour la danse, art du mou­ve­ment prop­ice au ciné­ma, et il s’est déployé à mesure que les moyens de filmer se sont démoc­ra­tisés et démul­ti­pliés.

Le plus impor­tant fes­ti­val de films sur l’art est le FIFA à Mon­tréal, qui existe depuis 1981 et dure plus d’une semaine. Il y a aus­si Artecin­e­ma à Naples où le tout Naples se rend depuis plus de 20 ans et d’autres ini­tia­tives plus récentes comme les JIFA du Lou­vre ou le FILAF à Per­pig­nan…

I. D. – et le BAFF à Brux­elles !

S. P. – BAFF est le nou­veau nom don­né au fes­ti­val qui existe offi­cielle­ment depuis 16 ans. Mais pen­dant 12 ans, il a existé sous la forme d’un week-end de sélec­tion de films sur l’art organ­isé par l’ISELP. Depuis 2013, Adrien Grim­meau et moi menons la pro­gram­ma­tion du fes­ti­val ensem­ble, avec une sélec­tion inter­na­tionale et une com­péti­tion nationale. Et nous ne sommes pas de trop de deux car nous recevons de plus en plus de films : 50 en 2012, plus de 70 cette année… rien qu’en Bel­gique.

I.D. – avec toute­fois peu de films sur le théâtre…

S. P. – En effet, il y a là un ter­rain à défrich­er pour les cinéastes !

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Sarah Pielaprat
Cinéma
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Isabelle Dumont
Actrice, créatrice de spectacles et de conférences scéniques, chercheuse curieuse, Isabelle Dumont a été interprète...Plus d'info
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