D’un Cerebrum à l’autre…

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Théâtre

D’un Cerebrum à l’autre…

Le 30 Oct 2017
Jo Lacrosse dans "Cerebrum JO". Photo Alice Piemme.
Jo Lacrosse dans "Cerebrum JO". Photo Alice Piemme.

En 2015, Yvain Juil­lard, bio­physi­cien spé­cial­isé en plas­tic­ité cérébrale, devenu ensuite acteur, créait Cere­brum. Le faiseur de réal­ités. Une con­férence-spec­ta­cle qui révélait, à par­tir des récentes décou­vertes en neu­ro­sciences, que la réal­ité n’est qu’une fab­ri­ca­tion de notre cerveau ! Les ondes lumineuses, par exem­ple, ne con­ti­en­nent pas de couleurs, ce sont nos yeux et notre cor­tex qui les éla­borent en mesurant la fréquence des ondes… A tra­vers divers­es expéri­ences sim­ples mais trou­blantes, Yvain Juil­lard inter­ro­geait notre  per­cep­tion, notre mémoire, notre libre arbi­tre et notre con­science… car sur les mil­liards d’opérations qui se déroulent à chaque sec­onde en nous, de quelle ridicule frac­tion sommes-nous conscient.e.s ? Et d’où vient que nous puis­sions nous pos­er la ques­tion ? Ten­ter d’y répon­dre nous con­cerne tou.te.s. C’était bien l’enjeu de Cere­brum, qui alli­ait au partage de gai savoir sci­en­tifique l’évocation du chem­ine­ment per­son­nel de l’acteur dans cette quête neu­ronale. Son tal­ent théâ­tral s’y ajoutait pour ren­dre sa con­férence « spec­tac­u­laire », cap­ti­vante et en jouante inter­ac­tion avec le pub­lic.

Le suc­cès des représen­ta­tions promet­tait de belles tournées. Mais Yvain venait d’être engagé par Joël Pom­mer­at pour Ça ira (1) – Fin de Louis, grande fresque sur la révo­lu­tion française qui allait dur­er plusieurs saisons. Une reprise de rôle a donc été envis­agée avec Joseph (dit Jo) Lacrosse qui avait été, avec Lorent Wan­son, œil extérieur sur le pro­jet. Jo n’était pas comé­di­en, mais danseur et coach sportif qui enseignait à l’Insas l’approche cor­porelle et gestuelle des acteurs. Le rap­port qu’il créait entre le corps et le men­tal – qu’il nom­mait « cor­po­ral­ité ́» – réson­nait évidem­ment avec Cere­brum. La pas­sa­tion de rôle a généré une réécri­t­ure du spec­ta­cle, trans­for­mé par le vécu de Jo. Car pour Yvain, « chaque Cere­brum est unique et ne peut être joué que par la per­son­ne qui a vécu l’histoire qu’elle va racon­ter. » De là est né Cere­brum J.O.

J.O comme Jo et comme Jeux Olympiques

Jo y racon­te une his­toire qu’il n’a jamais dite : l’épopée de sa pré­pa­ra­tion d’un cham­pi­on olympique de judo. Le judo n’est pas qu’un sport de com­péti­tion, c’est aus­si un art mar­tial qui intè­gre une dimen­sion spir­ituelle et philosophique, implique une recherche de justesse du geste, et con­stitue une con­fronta­tion avec soi avant d’être un com­bat con­tre l’autre. Dès lors, com­ment con­sid­ér­er l’adversaire non pas en tant qu’ennemi mais en tant que parte­naire ? Com­ment com­bat­tre dans la dig­nité, vain­cre sans domin­er, per­dre sans se sen­tir déchu ? Pourquoi vouloir gag­n­er ? Qu’est-ce qu’être un cham­pi­on ? Que devenir quand on ne l’est plus ?

Toutes ces ques­tions tra­versent le réc­it de Jo, entraîneur hors normes dans le monde ath­lé­tique. Il y répond en évo­quant des moments fon­da­teurs de sa pro­pre exis­tence, en présen­tant ses recherch­es uni­ver­si­taires sur la ges­tion du stress, en rela­tant les hauts et les bas de cette expéri­ence extrême de tra­vail et de vie avec ce judo­ka qu’il accom­pa­gne des JO de Moscou en 1980 à ceux de Barcelone en 1992. L’histoire est pal­pi­tante, poignante, et il la racon­te avec sim­plic­ité, sérénité, sans vouloir faire théâtre de ce qui est du vécu. Un « sus­pense ini­ti­a­tique » intimiste s’en dégage, qui pour­rait s’intensifier encore avec une dynamique de nar­ra­tion plus affir­mée. La présence de Jo mis en scène par Yvain est très sen­si­ble dans sa sincérité pleine de retenue – pas facile d’être sous les lumières quand on est plutôt homme de l’ombre ! Même dis­cré­tion (un peu min­i­male à mon/mes sens) dans les lumières, les sons, les images vidéo et les élé­ments scéno­graphiques qui l’accompagnent – où l’œuf occupe une place emblé­ma­tique, généreuse promesse de vie dans sa coquille, néan­moins prompte à se bris­er, sig­nifi­ant alors l’échec, et inca­pable de tenir debout… quoique.

Par rap­port au pre­mier Cere­brum, Cere­brum J.O pro­pose moins de liens directs avec les sci­ences du cerveau, si ce n’est à tra­vers la ques­tion du stress, qui s’avère indis­so­cia­ble de nos vies puisqu’il s’agit d’une réac­tion d’adaptation à l’environnement afin de main­tenir notre équili­bre interne. Mais cette « cor­po­ral­ité » qui unit le physique et le men­tal, com­ment se traduit-elle par exem­ple dans l’étonnante car­togra­phie cérébrale de notre corps – le fameux homon­cu­lus de Pen­field ? Com­ment la plas­tic­ité du cerveau joue-t-elle dans la capac­ité de se trans­former, de devenir l’auteur et l’acteur d’un devenir dif­férent que celui pro­gram­mé par ses déter­mi­nants ? On le com­prend indi­recte­ment à tra­vers la descrip­tion des pro­grammes d’entraînement mis au point par Jo, qui mobilisent les poten­tial­ités physiques mais aus­si cog­ni­tives, affec­tives, esthé­tiques et spir­ituelles chez l’athlète… comme chez l’acteur !

Si le partage de con­nais­sances et d’expériences sci­en­tifiques est moins présent, c’est au prof­it du partage d’une réflex­ion et d’une expéri­ence de vie, où l’on apprend de cette « his­toire vraie » qu’il est vrai­ment pos­si­ble de se relever de ses chutes, même les plus rudes, d’évoluer en meilleure har­monie avec toutes les dimen­sions de soi et en meilleure coex­is­tence avec autrui, fût-il, le temps d’un com­bat, opposé à soi. D’où cette per­ti­nente cita­tion du neu­ro­bi­ol­o­giste Hen­ri Laborit qui ouvre Cere­brum J.O, et le con­clut, nous don­nant à penser pour l’après du spec­ta­cle, quand nous retournons à la réal­ité du monde dont nous sommes tou.te.s les « faiseurs » :

« Tant qu’on n’aura pas dif­fusé très large­ment à tra­vers les hommes de cette planète la façon dont fonc­tionne leur cerveau, la façon dont ils l’utilisent, et tant que l’on n’aura pas dit que jusqu’ici cela a tou­jours été pour domin­er l’autre, il y a peu de chance qu’il y ait quoi que ce soit qui change. »

Hen­ri Laborit, in Mon oncle d’Amérique d’Alain Resnais 

 

En ce moment au Théâtre de la Vie (Bruxelles):

Mise en scène Yvain Juillard | Interprétation Joseph Lacrosse 

Écriture Yvain Juillard et Joseph Lacrosse | Création son Marc Doutrepont Création lumière et régie générale Vincent Tandonnet | Assistante mise en scène Caroline Goutaudier | Scénographie Yvain Juillard avec la complicité de Joseph Lacrosse | Conseil neuroscientifique Yves Rossetti | Conseil dramaturgique Dominique Roodthooft | Aide au développement Isabelle Jans 

Une création des Faiseurs de réalités/Compagnie Yvain Juillard en coproduction avec le Théâtre de Namur/Centre Dramatique | Avec le soutien du Corridor et de la Fabrique de Théâtre, du Théâtre Varia, de la Fédération Wallonie-Bruxelles/ Service des projets pluridisciplinaires et transversaux et de WBI. 
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Isabelle Dumont
Actrice, créatrice de spectacles et de conférences scéniques, chercheuse curieuse, Isabelle Dumont a été interprète...Plus d'info
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