La musique et l’espace

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Théâtre

La musique et l’espace

Le 2 Déc 2017
Trilogie des éléments d'Enrico Bagnoli et Marianne Pousseur. Vicenza, IT. Photo DR.
Trilogie des éléments d'Enrico Bagnoli et Marianne Pousseur. Vicenza, IT. Photo DR.

La vie pro­duit par­fois du sens, un sens imprévu, éton­nant parce que non pro­gram­mé, con­séquence du hasard heureux qui vient exal­ter une pen­sée, un acte, un spec­ta­cle. Cette con­vic­tion anci­enne s’est imposée de nou­veau à moi dans toute sa per­ti­nence grâce à la ren­con­tre inat­ten­due, d’une justesse poé­tique absolue, entre le Teatro Olimpi­co de Vicen­za et la Trilo­gie des élé­ments signée par Enri­co Bag­no­li – Phè­dre, Ismène, Agamem­non – et en ayant Mar­i­anne Pousseur comme inouïe pro­tag­o­niste.

Le théâtre mythique de Pal­la­dio est un théâtre de tran­si­tion issu de la volon­té des éru­dits soucieux de renouer le dia­logue inter­rompu avec l’An­tiq­ui­té grâce à une forme bâtarde, sub­lime parce qu’is­sue d’un rêve intel­lectuel qui cher­chait à imag­in­er un bâti­ment à même d’ac­cueil­lir l’an­cien héritage, longtemps oublié : un théâtre men­tal qui se situe à la con­flu­ence incer­taine des durées. Un théâtre unique comme le spec­ta­cle présen­té main­tenant ici, spec­ta­cle, lui aus­si, habité par la même incer­ti­tude savam­ment cul­tivée entre ce dont on se sou­vient et ce que l’on accom­plit sous nos yeux. Comme l’Olimpi­co, la trilo­gie est égale­ment un pro­jet fan­tas­mé. Leur com­mu­nion s’im­pose avec une rare évi­dence poé­tique.

Voici un spec­ta­cle où des décou­vertes récentes et des échos loin­tains s’en­tremê­lent pour nous plonger dans l’in­cer­ti­tude absolue. C’est ce dont on éprou­ve l’ab­solue fas­ci­na­tion. On entend des bribes des tragédies frac­turées que l’on aime telles les stat­ues abîmées dont la forme per­siste, mais l’ensem­ble, heureuse­ment, a per­du la per­fec­tion du mod­èle orig­i­naire. Des textes revis­ités ne nous parvi­en­nent que des réver­béra­tions sonores comme l’on dis­ait jadis de la lumière envoyée par des astres éteints. Lais­sons-nous séduire par l’é­mo­tion de ce champ de ruines savam­ment organ­isé. Et en même temps retrou­vons ain­si l’e­sprit des orig­ines où un seul acteur se livrait au réc­it en égrenant les mots sans l’aide de nul parte­naire. Nous sommes pro­jetés dans un théâtre d’a­vant Eschyle… qu’est ce qu’on peut aimer cette soli­tude méta­physique ! Et cela d’au­tant plus qu’elle béné­fi­cie de la musique, ni mod­erne, ni anci­enne, musique qui se réclame de cette même tran­si­tion que le Teatro Olimpi­co cristallise, la tran­si­tion des durées et des arts… le par­lar­can­tan­do de Mon­tever­di, je le trou­ve ici épanoui. Les mots, les sons s’épousent selon ce mod­èle orig­i­naire mais l’ensem­ble n’a rien d’ar­chaïque, d’une recon­struc­tion savante, éru­dite. Il impose la vision imag­i­naire du début de cet art, en Grèce ou en Ital­ie, que l’on fini­ra par appel­er théâtre quand la vieille alliance sera brisée.

La présence de l’eau ren­voie, elle aus­si, aux orig­ines, car c’est d’une eau mythique qu’il s’ag­it, eau érigée en miroir de l’e­sprit surtout grâce à des lumières qui vien­nent la caress­er, lumières qui accom­pa­g­nent sub­tile­ment les mots et les mou­ve­ments : les trois spec­ta­cles nous ren­voient poé­tique­ment à la syn­thèse pre­mière des arts… ils ne sont pas encore dis­so­ciés, ils s’en­la­cent et, ensem­ble, témoignent de la con­fu­sion des débuts. Non pas syn­thèse recon­sti­tuée, mais syn­thèse fan­tas­mée. Rien n’est isolé, la tran­si­tion règne sans partage. Même le corps de la comé­di­enne chanteuse qui, éton­nement, réha­bilite sur le plateau la fig­ure emblé­ma­tique de la Grèce, l’an­drog­y­ne, l’être d’art placé entre les deux… réfrac­taire aux fron­tières du sexe, séduisant juste­ment parce qu’il s’érige en être dou­ble, mou­vant, nulle­ment réduit à une iden­tité unique.

Dans le théâtre où jadis l’on a rêvé de l’An­tiq­ui­té, regar­dons ce spec­ta­cle où, aujour­d’hui, de nou­veau elle sert d’as­sise à un imag­i­naire ressus­cité. Il m’ac­com­pa­gne depuis longtemps et cela va dur­er encore. La ren­con­tre avec l’Olimpi­co rend une attrac­tion par­ti­c­ulière à ce bel « objet non – iden­ti­fié ». Objet mné­monique et tout à la fois onirique.

Inou­bli­able « trilo­gie des élé­ments ».

Découvrez la Trilogie des éléments au Théâtre Varia dimanche 3 décembre 2017.
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Enrico Bagnoli
Marianne Pousseur
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Georges Banu
Écrivain, essayiste et universitaire, Georges Banu a publié de nombreux ouvrages sur le théâtre, dont...Plus d'info
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