Le théâtre dans l’espace social (reconfigurations et efficacité symbolique)

Compte rendu
Théâtre

Le théâtre dans l’espace social (reconfigurations et efficacité symbolique)

Le 24 Avr 2017
Photo Michaël Inzillo
Photo Michaël Inzillo

En ouver­ture de cette journée, Nan­cy Del­halle, co-fon­da­trice du CERTES, pro­po­sait de con­sid­ér­er le théâtre comme une pra­tique sociale. D’abord, ce regard évite de devoir dis­cuter de quelles créa­tions con­stituent (ou non) des « œuvres de théâtre ». Ensuite il apporte un avan­tage méthodologique car si le théâtre est un événe­ment social (la coprésence en un lieu d’acteurs et de pub­lic), on peut alors observ­er où, dans quel cadre, avec qui et avec quel dis­posi­tif il a lieu. Au-delà de ces aspi­ra­tions théoriques, l’initiative du CERTES est aus­si proche de pro­jets pra­tiques comme, par exem­ple, l’installation au Val-Benoît de La Chauf­ferie, incu­ba­teur de pro­jets artis­tiques (cofondé notam­ment par Nathanaël Har­cq, directeur de l’ESACT, et Olivi­er Par­fondry, directeur de Théâtre et Publics, tous deux mem­bres du CERTES et inter­venants à la journée d’étude).  

Ce 19 Avril, qua­torze inter­venants sont venus apporter un éclairage sur cette vaste ques­tion du posi­tion­nement du théâtre dans l’espace social. Par­mi eux, et dans l’assemblée, se trou­vaient des chercheurs (en sci­ences sociales, en archi­tec­ture, en psy­cholo­gie, en philoso­phie et let­tres…), des artistes respon­s­ables de struc­tures  (Alain Cheva­lier, Valérie Cordy), des pro­fesseurs et des étu­di­ants. Du côté des organ­isa­teurs, quelques con­stata­tions ori­en­taient l’élaboration du pro­gramme dont ces quelques points (très som­maire­ment résumés)  :

Le quo­ti­di­en est rem­pli d’un nom­bre crois­sant d’outils tech­nologiques qui influ­en­cent,  for­cé­ment, la créa­tion artis­tique. En par­al­lèle, la glob­al­i­sa­tion des moyens de com­mu­ni­ca­tion, l’augmentation des pos­si­bil­ités des diver­tisse­ments (spec­tac­u­laires) et leur grande acces­si­bil­ité vont de pair avec une minori­sa­tion du théâtre. Cepen­dant, le car­ac­tère social et vivant de celui-ci peut pré­cisé­ment aus­si être le déclencheur d’un regain d’intérêt dans une société à laque­lle cer­tains reprochent d’être dés­in­car­née, de man­quer de rap­ports soci­aux sen­si­bles. S’ajoutent égale­ment des enjeux économiques. L’art n’est pas épargné par la logique du chiffre ou la mode de l’entreprenariat. Le théâtre, lui, ne rap­porte pas et « la crise » vient peser sur l’allocation des sub­sides.  Mais, penseront cer­tains, le vivant crée du lien, fait se ren­con­tr­er des gens, et cela peut, en par­tie, jus­ti­fi­er qu’on y con­tribue. De mul­ti­ples ques­tions se posent donc sur la place, les enjeux et les modal­ités du théâtre dans l’espace social. Reste aux artistes, élé­ments pour­tant cen­traux, à se posi­tion­ner dans cet univers en trans­for­ma­tion et à jon­gler avec ces dif­férents élé­ments pour men­er à terme leurs pro­jets.  À ce foi­son­nement de pistes de réflex­ion, les inter­venants de la journée du CERTES, ont cha­cun apporté un éclairage pro­pre à leur domaine. En fin de journée, appa­raît l’impression que ces sujets se recoupent.

Plusieurs sem­blent situer un tour­nant aux alen­tours des années 1990 ; peut-être les débuts de l’ère des réseaux, peut-être le néo-libéral­isme qui change de vis­age mais se main­tient cepen­dant. Au théâtre, peut-être un retour à des formes plus engagées par rap­port à la décen­nie précé­dente, tan­dis que, de leur côté, les poli­tiques cul­turelles font appel à l’art pour résoudre les frac­tures sociales. L’ar­tic­u­la­tion entre théâtre et action sociale est, du reste, bien présente aujourd’hui. Des artistes vont “créer du lien” et, dans de nom­breux cas de fig­ure, ça marche. Des col­lec­tifs sont par­venus à redy­namiser des quartiers et des formes d’éducation pop­u­laire se main­ti­en­nent. L’action com­mune est d’ailleurs ce qui jus­ti­fie bon nom­bre de démarch­es de sor­tie hors les murs et d’investissement d’autres espaces publics. Néan­moins, l’efficacité de ces actions sociales est à nuancer. La par­tic­i­pa­tion néces­site que les per­son­nes impliquées se sen­tent con­cernées et qu’il y ait un impact tan­gi­ble (Pierre Lénel ; Anne-Sophie Nyssen). Autrement dit, le con­stat est que l’action doit dépass­er le stade de la con­sul­ta­tion ou du sondage. De plus, con­cer­nant les gestes artis­tiques qui met­tent l’accent sur l’œuvre sociale, le risque de récupéra­tion com­mer­ciale existe. La men­ace serait que l’art soit légitimé comme un out­il de développe­ment urbain qui offre de sym­pa­thiques per­spec­tives touris­tiques, qui « fait joli ».

En ville, des presta­tions artis­tiques remet­tent au goût du jour un vocab­u­laire plus per­for­matif. Elles se focalisent sur le corps, l’espace sen­si­ble et la matière.  La par­tic­i­pa­tion du « pub­lic » se fait égale­ment sur ce mode, l’engagement est donc aus­si celui du corps.  Le jeu (théâ­tral) peut se com­pren­dre au sens pre­mier d’imaginer, d’inventer des règles, et de laiss­er place à l’inattendu.  Cer­taines propo­si­tions artis­tiques, dans la ville, invi­tent des gens à chang­er de per­spec­tive et à vivre une expéri­ence ; une prom­e­nade inso­lite ou une per­for­mance dans un bâti­ment aban­don­né par exem­ple (Cather­ine Aventin, Rachel Brahy). Le jeu devient, pour cer­tains, un moyen d’entraîner à la réin­ven­tion urbaine et sociale (Céline Bodart). La théâ­tral­ité cherche à réin­viter l’inattendu dans le quo­ti­di­en.

Des exem­ples de recon­fig­u­ra­tion qui, lorsqu’elles ont lieu, font que les mots peu­vent ne plus tout à fait cor­re­spon­dre au ter­rain, comme la dis­tinc­tion entre théâtre “de salle” ou “de rue”. D’une part, les presta­tions hors-les-murs se mul­ti­plient, et d’autre part, le théâtre de rue peut être insti­tu­tion­nal­isé par les fes­ti­vals. Néan­moins, der­rière ces appel­la­tions (un peu abstraites) les artistes sont con­fron­tés à la réal­ité « du ter­rain ». Ceux qui per­for­ment dans un lieu qui n’est pas prédes­tiné à la représen­ta­tion sont face à des cir­con­stances con­crètes : les intem­péries, la prox­im­ité avec le pub­lic, le trans­port du matériel… (Char­lotte Charles-Heep).

Effec­tive­ment, face à ces per­spec­tives quid de la place des artistes ? Com­ment négo­cient-ils/elles leur posi­tion par­mi ces recon­fig­u­ra­tions et échap­pent-ils/elles aux ten­ta­tives de récupéra­tion ? Finale­ment, ils et elles sont à l’initiative des pro­jets exposés. Si des créa­tions artis­tiques peu­vent par­ticiper au développe­ment de la ville tant struc­turelle­ment, en en repen­sant l’ar­chi­tec­ture par exem­ple (Stéphane Dawans), que sociale­ment (créer du lien), là n’est pas for­cé­ment la fonc­tion artis­tique, ni néces­saire­ment l’intention des prin­ci­paux intéressés, d’ailleurs. Inter­vient un autre éclairage impor­tant : celui de la sub­ver­sion. Un geste théâ­tral ou per­for­matif peut aus­si avoir comme visée de se jouer de l’ordre établi, de déranger, pour sus­citer le débat ou pour agir en con­tre-pou­voir (Karel Van­haes­brouck). Les artistes ne sont pas les gar­di­ens d’un a pri­ori de cohé­sion sociale et l’agitation peut par­fois être fructueuse si led­it ordre social com­porte quelque chose d’insoutenable.

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