L’hybridation comme énergie chorégraphique

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Critique

L’hybridation comme énergie chorégraphique

Le 18 Avr 2017
"East" : "Requiem" de Sidi Larbi Cherkaoui. Photo Filip Van Roe
"East" : "Requiem" de Sidi Larbi Cherkaoui. Photo Filip Van Roe

En 2015, Sidi Lar­bi Cherkaoui, une des vedettes mon­di­ales de la danse con­tem­po­raine, a été nom­mé directeur artis­tique du Bal­let van Vlaan­deren. Et donc co-directeur artis­tique de l’ensemble Opera Bal­let Vlaan­deren, en lien étroit avec Avie Cahn, un solide jeune patron qui règne depuis 2009 sur l’Opéra. Un regroupe­ment voulu par la tutelle poli­tique fla­mande, pour des raisons à la fois budgé­taires et de pres­tige, à l’exception des admin­is­tra­teurs du par­ti de Bart De Wev­er, la NVA, qui ont voté con­tre sa can­di­da­ture. La troupe elle-même est réti­cente puisque sa for­ma­tion clas­sique, ses habi­tudes et ses fréquen­ta­tions (les corps de bal­let de quelques opéras tra­di­tion­nels) ne vont pas naturelle­ment vers l’univers mul­ti­cul­turel du nou­veau patron. 

La trilo­gie  « East » inter­vient donc dans une sai­son opéra/danse inti­t­ulée « Bor­der­line », où le risque et le défi font par­tie du jeu. La troupe, d’excellent niveau tech­nique, est con­fron­tée à trois esthé­tiques très dif­férentes : Akram Kahn, le Lon­donien orig­i­naire du Bangladesh, l’Israélien  Ohad Naharin et Sidi Lar­bi Chekaoui, de père maro­cain et de mère fla­mande. En soi un plaidoy­er pour la diver­sité cul­turelle, le dia­logue inter­re­ligieux et le mélange des gen­res.

Tout com­mence par Kaash (Si en hin­dou) d’Akram Khan, sa pre­mière œuvre pour un groupe de danseurs, qui s’interroge sur les pos­si­bil­ités de l’homme ici-bas face à Shi­va, qui est à la fois le Créa­teur, le Pro­tecteur et le Destruc­teur et surtout une source d’énergie qui propulse les danseurs dans une sorte d’abstraction lyrique très forte. La scéno­gra­phie d’Anish Kapoor, inspirée du monde de Rothko, les fameux rec­tan­gles noir et rouge, et la musique de Nitin Shawney don­nent une pul­sion qua­si math­é­ma­tique à l’ensemble. Pour­tant le point de départ est une musique tra­di­tion­nelle katak accom­pa­g­nant une « his­toire mythique » mais dont le fond religieux est réduit à l’éloge de la beauté du corps en action.

Le Sécus de l’Israélien Ohad Naharin appa­raît presque comme une res­pi­ra­tion, un diver­tisse­ment “laïque” entre deux inter­ro­ga­tions méta­physiques. Sa Gaga danse ramène le col­lec­tif des danseurs à  trou­ver, avec humour, les meilleures moyens d’accepter ce corps, flex­i­ble, dynamique, endurant pour le meilleur et pour le pire. Pas de per­for­mance spec­tac­u­laire mais une sorte d’hédonisme bien­venu entre deux ten­sions, avec comme musique, entre autres les Beach Boys.

Le morceau d’anthologie final de Sidi Lar­bi Cherkaoui a pour ambi­tion de faire danser le Requiem de Fau­ré mais accom­pa­g­né d’inventions con­tem­po­raines ori­en­tales de Wim Hen­d­er­icks. De l’aveu même de Fau­ré, agnos­tique, son œuvre ne repo­sait pas sur la ter­reur de la mort ou sur une expéri­ence pénible mais sur la pour­suite du bon­heur dans l’au-delà. Un mes­sage anti-trag­ique qui place le tout dans un cli­mat d’acceptation pais­i­ble du des­tin et de dia­logue ten­dre avec les morts. Les danseurs appa­rais­sent donc comme des passeurs entre nous et nos morts, fan­tômes plutôt bien­veil­lants. La danse comme remède au deuil. La lumière règne plutôt que les ténèbres et les inter­mèdes de musique ori­en­tal­isante de Wim Hen­d­er­icks, util­isant des instru­ments comme le qanum, instru­ment à cordes, con­tribuent à l’optimisme de l’ensemble. Le décor, le point faible, évoque une ville rav­agée réduite à quelques cadres de fenêtre. Mais les ensem­bles choré­graphiés d’une grande douceur nous trans­posent dans un monde « zen » où se détachent des duos fort clas­siques. Ce Requiem est aus­si une occa­sion de faire entr­er dans la danse le chœur d’enfants de l’opéra et les musi­ciens de l’ensemble Her­mès. His­toire de mari­er con­crète­ment, à vue, la musique et la danse, le bal­let et l’opéra. Vocale­ment notre plus belle sur­prise vient de la sopra­no fran­co-algéri­enne Amel Brahim-Djel­loul, décou­verte par René Jacob aus­si à l’aise dans la mélopée ori­en­tale que dans le chant religieux français. Une sorte de syn­thèse de la philoso­phie opti­miste de Sidi Lar­bi Cherkaoui qui veut un dia­logue Orient/Occident au som­met, comme un démen­ti volon­tariste à l’air du temps.

EAST (trois parties) :

Kaash : chorégraphie Akram Khan (2002). Musique : Nitin Sawhney. Scénographie : Anish Kapoor

Secus : chorégraphie Ohad Naharin(2005).

Requiem : chorégraphie Sidi Larbi Cherkaoui (création mondiale  2017).Musique Gabriel Fauré / Wim Hendericks/

Opera Ballet Vlaanderen (Anvers) jusqu’au 19 avril

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Christian Jade
Christian Jade est licencié en français et espagnol de l’Université libre de Bruxelles ( ULB)...Plus d'info
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