Marcel Bozonnet — prix du meilleur acteur européen

Théâtre
Portrait

Marcel Bozonnet — prix du meilleur acteur européen

Le 4 Sep 2017
Marcel Bozonnet. Photo Pascal GELY
Marcel Bozonnet. Photo Pascal GELY
Marcel Bozonnet. Photo Pascal GELY
Marcel Bozonnet. Photo Pascal GELY

Macé­doine, le 2 juil­let 2017

Un prix comme celui-ci accordé à un acteur d’ex­cep­tion ne peut saluer seule­ment sa présence dans le théâtre mais égale­ment ce qu’il a fait pour le théâtre, au-delà de ses appari­tions sur la scène. C’est le cas de Mar­cel Bozon­net qui a été élu parce que acteur et plus qu’ac­teur : il incar­ne pour la scène française et européenne une atti­tude respon­s­able à l’é­gard de cet art fugi­tif où l’in­stant est essen­tiel, où le présent fait loi. 

Sou­vent Mar­cel Bozon­net a rap­pelé l’ac­tiv­ité arti­sanale de son père qui l’a mar­qué : il fut boulanger et, en le regar­dant, le jeune homme qu’il était a com­pris la valeur sym­bol­ique du pain que l’on pétrit de ses mains à force d’ef­forts et d’ob­sti­na­tion. Il a adop­té une atti­tude sim­i­laire à l’é­gard des mots qui sont sa matière d’ac­teur : il les a approchés, savourés et exaltés en les érigeant ain­si dans son “pain” quo­ti­di­en comme dit la prière dont l’adage a réson­né dans les oreilles de mil­liers d’en­fants. Bozon­net a entretenu avec la langue la rela­tion physique de l’ar­ti­san et l’autre sacrée du croy­ant dans ses pou­voirs. Il a érigé “la réc­i­ta­tion” en refuge de la langue con­servée par des temps de destruc­tion de la langue : ain­si l’ar­chaïque et le con­tem­po­rain cohab­itent.

Sans fréquenter les écoles, il a béné­fi­cié plutôt d’une for­ma­tion dis­parate liée à des per­son­nes plus qu’à des insti­tu­tions, à des ren­con­tres déci­sives plutôt qu’à des cur­sus stricte­ment élaborés. Dis­ons que Mar­cel Bozon­net débute comme un franc-tireur sur le plan théâ­tral et grâce à cette indépen­dance, à cette autonomie, il a pu faire des ren­con­tres essen­tielles, surtout à 22 ans quand celui qui fut un génie de la mise en scène, Vic­tor Gar­cia, le con­vie en 1966 pour jouer dans sa célèbre mise en scène avec Le Cimetière des voitures de Fer­nan­do Arra­bal. Com­ment imag­in­er entrée dans le méti­er plus exci­tante ! Mar­cel Bozon­net va inté­gr­er ensuite la com­pag­nie d’un homme de théâtre, Mar­cel Maréchal, généreux, soucieux de se con­fron­ter aux auteurs les plus divers et de ren­con­tr­er les publics de théâtre grâce à des tournées con­stam­ment effec­tuées. Bozon­net se trou­ve ain­si au croise­ment d’une étoile de génie, Vic­tor Gar­cia, et de Mar­cel Maréchal, arti­san vail­lant.

Ce qui définit Bozon­net c’est son appétit d’ex­ten­sion du savoir d’ac­teur apte à dévelop­per ses ressources cor­porelles de même que sat­is­faire l’ap­pétit du savoir intel­lectuel à même de lui ouvrir des hori­zons autrement inac­ces­si­bles. Son mot d’or­dre : appren­dre, tou­jours, et partout. Lui qui n’a pas fait d’é­tudes devien­dra l’ac­teur le plus savant de la scène française et égale­ment le plus entraîné. Bozon­net apporte sur le plateau la présence d’un acteur préoc­cupé d’as­sumer ses tâch­es avec une noblesse par­ti­c­ulière, d’af­firmer par dessus tout la dig­nité du jeu comme activ­ité étrangère à toute dis­sim­u­la­tion histri­on­ique au nom d’une pos­ture pleine­ment artis­tique. Bozon­net affirme et assume l’amour du théâtre sans l’om­bre du moin­dre désamour. Après ses voy­ages et ses com­mence­ments, Mar­cel Bozon­net rejoint ensuite la Comédie Française où, par­mi d’autres rôles, il va jouer Anti­ochus dans le spec­ta­cle mythique de Klaus Michael Grüber Bérénice et va exaucer mieux que tout autre comé­di­en le voeu du met­teur en scène : “ayez le coeur chaud et la bouche froide”.

Mar­cel Bozon­net n’a rien d’un mar­gin­al et à par­tir des années 90 il assume des fonc­tions cen­trales au sein des insti­tu­tions qu’il ne se résigne pas à hérit­er seule­ment mais cherche à agiter, renou­vel­er, à leur injecter cette énergie intel­lectuelle qui l’habite. D’abord, le Con­ser­va­toire Nation­al d’Art Dra­ma­tique s’est ouvert sous sa direc­tion à des pra­tiques péd­a­gogiques inédites, inté­grées désor­mais dans la vie de l’é­cole : la danse, le chant… Bozon­net fait du Con­ser­va­toire un mod­èle péd­a­gogique ayant une valeur presqu’au­to­bi­ographique : il forge le pro­fil de cette grande école comme un dou­ble de soi, exigeant et ouvert !

Il va ensuite assumer la respon­s­abil­ité de la Comédie Française dont, avec une réus­site moin­dre, il va atta­quer les habi­tudes sécu­laires et la léthargie légendaire afin de l’in­scrire organique­ment dans la vie du théâtre présent sans le pres­tige rhé­torique dont sou­vent elle fut encom­brée. Mar­cel Bozon­net ne pour­ra pas men­er à son terme sa mis­sion car il va se révolter con­tre l’at­ti­tude de Peter Hand­ke lors des funérailles de Milo­se­vic et, sanc­tion du Min­istère, son engage­ment sera pré­maturé­ment inter­rompu. Lui qui est allé à Sara­je­vo pen­dant la guerre, lui qui s’est impliqué dans ce con­flit qui a sec­oué l’Eu­rope, ne pou­vait pas rester indif­férent au geste indigne de Hand­ke. Ô, com­bi­en je l’ai com­pris ! — alors il a assumé dans le sens sar­trien du terme sa “respon­s­abil­ité” d’ac­teur et de citoyen.

Au nom de son amour pour la cul­ture et la langue française, Mar­cel Bozon­net a signé et joué un spec­ta­cle hors-pair à par­tir de La Princesse de Clèves, ce roman qui a fait le bon­heur de mon ado­les­cence et dont l’an­cien prési­dent Nico­las Sarkozy affir­mait avec une regret­table mal­adresse son inadéqua­tion avec l’e­sprit de notre temps. Ici encore Mar­cel Bozon­net s’est dressé con­tre l’in­cul­ture et la vul­gar­i­sa­tion et sa Princesse de Clèves reste un dia­mant tail­lé avec soin par cet acteur qui sauve­g­arde la beauté d’un art qui échappe à l’ac­tu­al­ité et se rat­tache à la per­ma­nence des valeurs.

Mar­cel Bozon­net a quit­té les hautes fonc­tions qui furent les siennes et, sans déplor­er pareille sit­u­a­tion, a emprun­té un chemin de tra­verse imprévu et inat­ten­du en tra­vail­lant avec l’aide de sa com­pag­nie, Les Comé­di­ens voyageurs, dans des lieux et avec des col­lab­o­ra­teurs qui représen­tent “l’autre face”, mod­este et incon­nue , que l’on appelle le théâtre d’in­ter­ven­tion, théâtre impliqué  dans la vie de la cité. J’ai admiré cette audace, cette inven­tion d’une autre voie et j’ai respec­té son choix. Il touche aux sujets brûlants de l’ac­tu­al­ité, il s’as­sume comme un par­ti­san act­if du théâtre con­fron­té aux ten­sions de la société, loin de l’au­torité des insti­tu­tions qu’il dirigea jadis avec brio et dont il n’éprou­ve pas la nos­tal­gie. Cela ne l’a pas empêché de jouer bril­lam­ment dans Godot tout en nous con­viant à des spec­ta­cles dont il assure la réal­i­sa­tion sur la démoc­ra­tie ou, plus récem­ment, la ques­tion des migrants. Sa con­ver­sion dépourvue de frus­tra­tion et ran­cune lui a per­mis d’ac­céder à une “sec­onde vie”.

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Georges Banu
Écrivain, essayiste et universitaire, Georges Banu a publié de nombreux ouvrages sur le théâtre, dont...Plus d'info
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