Versant sombre de l’Histoire (et de la sienne)

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Théâtre

Versant sombre de l’Histoire (et de la sienne)

Le 23 Oct 2017
Photo D.R.
Photo D.R.

Avec ce texte Tra­vers­er la nuit (Durch die Nacht) et son adap­ta­tion au plateau, Anne-Marie Storme signe une nou­velle par­ti­tion de l’intime. Tenir le beau rôle, ou pas. Faire sem­blant, ou tout le prob­lème du théâtre. Dire la vérité, oui mais après ?

Frère et sœur enlacés presque emmêlés, nœud d’amour lié à jamais, pro­jeté sur le devant de la scène comme expul­sé de l’arène, aux pris­es avec les pul­sions de sa géni­trice. (Re)chercher l’endroit sacré, la matrice, la place cen­trale de la mère, cette pièce-maîtresse de mai­son dont la présence se fond désor­mais jusque dans les poignées de porte… Un décor pour tenir à bout de bras ce corps présent envahissant au passé dévasté. Se con­va­in­cre que l’avenir ne fera pas tapis­serie, même s’il faut en pass­er par des couloirs suin­tants, chargés (allers-retours virtuels ou la vidéo vagabonde et inquié­tante de Jacques Sechaud) ; hall qui débor­de d’un tout, de ce vide lourd et grave de l’indicible. Se promen­er dans les travées mor­tifères, allées de pas­sage qui sont aus­si lieux de vie. Reli­er les pièces à con­vic­tion grâce au cor­ri­dor, théâtre de toutes les cor­ri­das mater­nelles : cor­don-reli­gion, langue à déli­er, l’allemand pour être dans le vrai, attrap­er le pom­pon de la mal­donne ou agiter avec imper­ti­nence le chif­fon rouge et s’autoriser à grimper aux rideaux. Des machines à déré­gler et autant de lavages de cheveux qu’on veut. Au dia­ble la tyran­nie jusque dans la cadence des sham­poo­ings… Plutôt que de ren­dre les coups, décider d’appuyer sur ses pro­pres bou­tons. Déclencher l’acmé. S’engouffrer dans les failles, fouiller le sang et revenir par­mi les vivants. Alors oui il y a incon­testable­ment du Lagarce dans ce théâtre-là, et puis aus­si du Sarah Kane (en moins psy­cho­tique tout de même). Car dis­tri­b­u­tion à la volée de polaroïds il y a, avec pas mal de mon­tées sans filet en dou­ble pour le même fil d’Ariane. Mon­stre bicéphale venu défi­er et ressus­citer le Mino­tau­re. Maman a tort ? Avait-elle tort ou rai­son… ? A trop creuser on risque d’ébranler les fon­da­tions. En-dessous on n’y trou­vera que des racines car­rées. Souter­raine la matri­arche, la reine fini­ra par aller se plan­quer d’elle-même dans la soute. A nous de saisir son itinéraire, sa logique en pagaille, quitte à rester en man­teau, en vis­ite, non on ne restera pas longtemps ça c’est sûr. Après tout, nous aus­si nous sommes de pas­sage.

La fratrie qui d’entrée de jeu invec­tive et refuse les pieds de plomb, revendique son pro­pre envol. Pren­dre l’histoire à bras le corps, tel un cou­ple Electre/Oreste (Sophie Bourdon/Jérôme Baëlen, duo touchant et tac­tile) qui porte et s’emporte tout en évi­tant l’écueil du bras d’honneur trop facile envers l’Histoire. Passé pois­seux, France-Alle­magne, mais non ce n’est pas une énième finale de foot qui a fini en queue de pois­son, la suite des plats s’il vous plaît car la mère (Anne Con­ti, sépul­crale) s’impatiente dans une impasse et s’apprête à jouer les murènes ou les passe-murailles. Ça s’épice ça se lisse ça se tasse ça se glace ça dégèle enfin, tant de choses à régler à liq­uider. L’eau de boudin, paraît qu’on y trempe encore, Inge­borg Bach­mann nous l’avait dit (elle et tant d’autres). Reste l’électricité, et cette cul­pa­bil­ité à trim­baller. Ça colle à la peau et aux ori­peaux, on s’y san­gle, la main dans le sac, on se camisole à force. Alors mieux vaut s’en lester et boire et danser fugace­ment pour oubli­er. S’étreindre pour ne pas s’éteindre. Car dans le labyrinthe on s’éreintera assez à recon­stituer la généalo­gie du logis (scéno­gra­phie sub­tile signée Ettore Marchi­ca). Et via la toile chercher un autre point de vue, ten­ter une autre approche. Der­rière chaque porte inter­dite devin­er son absence, sa présence à elle, la suprême, sa main, la sienne, tou­jours là dans les con­tours, avec le châ­ti­ment tou­jours pos­si­ble, la peur bleue pour avoir osé lui rire à la barbe, qui sait. Der­rière l’écran, elle pro­test­era encore : cyclo for­ev­er. Tout est à (re)faire, ce n’est pas elle qui dira le con­traire. Et même si on fera comme ça nous chante, juste pour la tit­iller un peu, pour de faux, his­toire de tester sa résis­tance et de s’affranchir momen­tané­ment de son influ­ence, au final on s’efforcera d’appliquer à la let­tre ses con­seils. On suiv­ra l’exemple. On repro­duira. La petite ritour­nelle du rit­uel (les thèmes entê­tants de Johann Chau­veau). Et on inven­tera aus­si la nôtre, au pas­sage.

La com­pag­nie Théâtre de l’instant naît en 2007 sous l’impulsion d’Anne-Marie Storme, jusque-là infir­mière avec comme bagage scénique une pra­tique de la danse clas­sique. Très vite elle joue, écrit, se forme en accéléré et crée des spec­ta­cles épurés mais non moins chargés émo­tion­nelle­ment. Ici les mots nous ren­versent dans une valse viv­i­fi­ante, bien qu’ovipare. Mais les secrets que l’on cou­ve suff­isent à fis­sur­er d’eux-mêmes la coquille, et le reste avec. Une renais­sance de tous les instants pour un théâtre à vif.

Seli­na Aït Kar­roum

TRAVERSER LA NUIT (Durch die Nacht) d’Anne-Marie Storme

Texte publié aux Éditions L’Harmattan

Avec

Jérôme Baelen, Le frère
Sophie Bourdon, La soeur
Anne Conti, La mère
Création lumière Bernard Plançon Création vidéo Jacques Sechaud Scénographie Ettore Marchica Création musicale Johann Chauveau Régie son/vidéo Caroline Carliez

Production Théâtre de l’instant
Avec le soutien du Conseil Régional Hauts-de-France, l’Adami – Société des artistes-interprètes, gérant et développant leurs droits en France et dans le monde pour une plus juste rémunération de leur talent - et la ville de Marcq-en-Baroeul. Remerciements à La Virgule/Tourcoing, La Verrière/Lille, le Théâtre Charcot pour leur accueil en résidence.

www.theatredelinstant.fr
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Anne-Marie Storme
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