Grâce, virtuosité et expérimentation

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Grâce, virtuosité et expérimentation

Le 2 Avr 2018
BACKUP, Compagnie Chaliwaté et Focus. Photo John Buckley.
BACKUP, Compagnie Chaliwaté et Focus. Photo John Buckley.

Avec le print­emps revient au Théâtre Nation­al le XS, fes­ti­val dédié aux formes cour­tes nav­iguant allè­gre­ment du théâtre à la per­for­mance, du cirque au théâtre d’objets.

On y décou­vre de jeunes artistes expéri­men­tant ce qui, par­fois, s’épanouira dans des œuvres longues, on y voit des plus aguer­ris se con­fron­ter au for­mat court, on s’y étonne, on s’y amuse, on s’y émer­veille – par­fois on s’y agace, mais c’est le jeu.

Une soirée au XS révèle tou­jours une part de magie, et cette édi­tion ne fait pas excep­tion. Il y a ain­si, dans O, let me… de la Com­pag­nie Les Mains Sales, une grâce presque sur­na­turelle, tein­tée d’un éro­tisme légère­ment trou­blant. Au son du vio­lon­celle de Han­nah Al-Kharusy et de la voix de Sarah Laz­erges, l’insatiable Col­ine Caen épuise son com­pagnon aux yeux bandés, Serge Lazar, à vouloir s’accrocher à lui et sauter dans ses bras depuis des hau­teurs de plus en plus ver­tig­ineuse. La ten­sion et l’intensité de ces corps qui se ren­con­trent s’apaisent par­fois en de puis­santes étreintes, les acro­bates oscil­lant entre l’effort sauvage et les délices de l’abandon amoureux. Mal­gré toute la vir­tu­osité de la per­for­mance tech­nique, l’attention reste dirigée vers la force et l’ambiguïté des rela­tions, don­nant à voir un jeu vital, d’une beauté aus­si vio­lente que mélan­col­ique.

Une mélan­col­ie qui se retrou­ve dans les Ten­ta­tives d’approche d’un point de sus­pen­sion, de Yoann Bour­geois, sur un mode beau­coup plus doux. Ce jon­gleur et danseur pro­pose ici trois courts spec­ta­cles, qui évo­quent mag­nifique­ment l’attraction et l’éloignement, la ren­con­tre et la soli­tude. Avec sa com­parse Yurié Tsug­awa, ils cassent des chais­es, s’empoignent presque, avant que le plateau roulant où ils se font face les éloigne irrémé­di­a­ble­ment. Mais c’est dans la dernière par­tie que l’alliance de maîtrise et de poésie atteint son point d’orgue : accom­pa­g­né de Yurié Tsug­awa au piano, Yoann Bour­geois s’escrime à mon­ter un escalier de bois, rebondis­sant presque à chaque pas sur un tram­po­line duquel il s’élève à nou­veau pour essay­er encore, inlass­able­ment. Dans ces dix min­utes à couper la souf­fle, d’une grande déli­catesse, quelque chose de très beau et de très dense se passe, comme si, en se con­cen­trant sur cette action min­i­male, l’in­ter­prète cap­tait de la con­di­tion humaine un frag­ment déchi­rant de vérité, de sub­lime et de tristesse.

Triste, le View de la com­pag­nie Still Life pour­rait l’être : les acteurs nous invi­tent à observ­er par la baie vit­rée, depuis une salle don­nant sur la ter­rasse du théâtre, une céré­monie funéraire. À mesure que le fils du défunt laisse éclater sa douleur, la récep­tion prend un tour inat­ten­du, où le grotesque et l’ironie sont accen­tués par le dis­posi­tif scénique, qui donne l’impression d’observer à la dérobée un moment intime et solen­nel qui vire au fias­co.

Dans Back­up, la Com­pag­nie Chali­waté et la Com­pag­nie Focus racon­tent eux aus­si un drame : à tra­vers une expédi­tion de reporters posant le pied au Pôle Nord et la sépa­ra­tion de deux ours sur leurs morceaux de ban­quise, ils abor­dent les con­séquences du réchauf­fe­ment cli­ma­tique. Si le pro­pos est grave, l’usage des objets, du décor, des effets visuels don­nent à la pièce un côté ingénieux, imprévis­i­ble et fan­tai­siste aus­si touchant qu’amusant.

On le voit là encore : le mélange de jeu, de brico­lage et de poésie, au Fes­ti­val XS, fait sou­vent mouche. Les autres reg­istres, en revanche, sem­blent moins fonc­tion­ner : les incur­sions dans le réal­isme social et poli­tique (Muettes de Bog­dan Zam­fir), dans la pure expéri­men­ta­tion formelle (À tra­vers les aulnes de Louise Vanneste et la Com­pag­nie Ris­ing Hors­es) ou la per­for­mance sonore her­méti­co-con­ceptuelle (Accents, David Som­lo et Clau­dia Tri­ozzi) sont loin d’être con­va­in­cantes. Mais pour les pépites inven­tives qu’on y trou­ve, lovées dans les plis du réel, déam­buler au XS est tou­jours une déli­cieuse façon d’entrer dans le print­emps.

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Écrit par Emilie Garcia Guillen
Emi­lie Gar­cia Guillen dérive vers le nord depuis env­i­ron quinze ans. Suite à une pre­mière jeunesse dans le...Plus d'info
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