Instantanés de l’intérieur

Annonce
Théâtre
Portrait

Instantanés de l’intérieur

Le 29 Juin 2018
Les comédiens en répétitions. Photo Blandine Armand.
Les comédiens en répétitions. Photo Blandine Armand.

À l’occasion de la reprise de « Ça ira (1) Fin de Louis », au Cen­tqua­tre-Paris du 16 au 20/07/18 (Fes­ti­val Paris l’été) et de la sor­tie du film doc­u­men­taire de Blan­dine Armand, « Joël Pom­mer­at — Le théâtre comme absolu » (dif­fu­sion sur ARTE le 15 juil­let 2018 à 23h50), nous vous pro­posons de lire ou relire cet extrait d’un Ver­ba­tim de répéti­tions pub­lié dans le # 130 d’Alternatives théâ­trales, « Ancrage dans le réel / Théâtre Nation­al (2004 – 2017)».

Les pro­pos et les images qui suiv­ent sont issus d’instants de répéti­tions sur la créa­tion de la troisième par­tie de Ça ira (1), Fin de Louis en octo­bre 2015 au Théâtre des Amandiers à Nan­terre. Ce sont des frag­ments d’une trame de tra­vail qui s’est déroulée sur plusieurs jours.

Les ver­ba­tims sont extraits des paroles de Joël Pom­mer­at, qui, avec les pho­tos, con­stituent un tra­vail de repérage en vue de la pré­pa­ra­tion du film doc­u­men­taire sur Joël Pom­mer­at, réal­isé par Blan­dine Armand et pro­duit par Arte France et Zadig Pro­duc­tions.

Joël Pom­mer­at et ses comé­di­ens en répétitions.©Blandine Armand

Je me sou­viens des pre­miers mots que j’ai écrits, ce que je voulais racon­ter, et com­ment, et ce qui me parais­sait essen­tiel. Si on regarde ces notes, vous ver­rez le mot fatigue, le mot épuise­ment. Ce sont des choses physiques.

Ce n’est pas un théâtre sim­ple­ment de mots, même si dans cette pièce il y a de l’argumentation avec les mots.

Ce qui est le plus dur à trou­ver, c’est l’état physique dans lequel sont ces gens. Et nous, notre théâtre, il se veut – avec ce terme qui ne trou­ve pas de rem­plaçant – il se veut con­cret, donc physique, cor­porel, char­nel. Il se veut non pas émo­tion­nel au sens mélo­dra­ma­tique ou en quête de l’émotion du spec­ta­teur, mais ancré dans le sen­si­ble.

©Blan­dine Armand

Dans cette troisième par­tie, on a par­lé d’abord de la vio­lence, qui est une prob­lé­ma­tique essen­tielle de cette pièce, essen­tielle par rap­port à cette sit­u­a­tion his­torique. Mais la vio­lence dans notre dra­maturgie c’est une métaphore de la dif­fi­culté de faire con­trat, de faire har­monie, de faire démoc­ra­tie en quelque sorte. La démoc­ra­tie, c’est l’idée d’un con­trat entre tous et donc de la paix. Dans cette troisième par­tie, on est con­fron­té plus physique­ment, plus con­crète­ment encore à cette vio­lence et donc à l’absence de réso­lu­tion des con­flits par les mots, par l’échange d’idées, d’arguments.

La deux­ième chose, c’est la présence du peu­ple dans cette troisième par­tie : il est présent, il est acteur, il est physique­ment là. On n’est pas assez con­cret avec ces indi­vidus, avec ces gens. On est encore glob­ale­ment dans des approx­i­ma­tions, dans de l’image, pas dans du con­cret.

Où peut-on gag­n­er ? Dans des choses sim­ples : l’apparence déjà, l’extérieur, les signes que l’on ren­voie de l’extérieur : que l’on soit moins pro­pres, moins liss­es ; dans la présence des forces vives, com­ment sont-elles insérées dans ce lieu ; dans la scéno­gra­phie, quelles mis­es en place ; dans les lumières, plus on éclaire, plus on démon­tre que l’on est dans un espace de théâtre, alors qu’il faut qu’on amène plus de con­cret juste­ment…

Ce n’est pas qu’une chose, c’est une quan­tité de détails.

Ça passe aus­si par le fait que vous, dans la scène 11, vous puissiez dépass­er les infor­ma­tions que le texte est chargé de fournir aux spec­ta­teurs, pour ren­tr­er dans quelque chose qui soit vrai­ment de la rela­tion, de l’action.

Il faut que l’on ressente des corps qui sont en stress, en état de souf­france même. Il y a une souf­france con­crète qui passe par le corps, le physique et ça doit se sen­tir, se voir.

Et je crois que si on réus­sit notre troisième par­tie c’est qu’on va réus­sir cela.

©Blan­dine Armand

La scène 17 était plutôt bien, plutôt mieux. Il faut tout de suite bien com­pren­dre ce qui est bien ou mieux par rap­port à ce que l’on a fait précédem­ment ou que l’on a pu faire. Ce n’est pas parce que c’était « fort » que c’était bien. Ce qui était bien c’est que c’était lié à quelque chose d’autre. Quelque chose qu’on a tous essayé d’investir, qui est lié à ce dont on a par­lé sur la fatigue, l’usure, la peur. Vous l’avez sen­ti ?

Sou­vent on revient à ces mots d’indignation, de colère, mais c’est le niveau de colère qui est impor­tant. C’est un niveau de colère qui juste­ment est imprégné dans ce vécu, dans cette fatigue, dans cette usure, dans cette souf­france. Ce n’est pas juste du « pétage de plomb » comme ça, un peu banal. On s’en est approché de ce niveau, et il faut con­stru­ire main­tenant avec.

Finale­ment, on racon­te une évo­lu­tion et une tra­jec­toire sen­si­ble et idéologique d’une grande par­tie de cette assem­blée, qui a fait quelque chose d’absolument héroïque, mais qui, à un moment don­né, se met à avoir peur, à frein­er, à par­tir dans une direc­tion. C’est impor­tant de com­pren­dre que c’est ça l’histoire qu’on racon­te, en tout cas dans la 17.

©Blan­dine Armand

Ce qu’est cen­sée racon­ter cette troisième par­tie, c’est une mon­tée vers la vio­lence, c’est une mon­tée en puis­sance. Ce qui m’intéresse c’est de mon­tr­er com­ment cela se met en place, il y a un proces­sus, une évo­lu­tion qui entraîne cette sit­u­a­tion. C’est com­plexe parce que ça nous ramène à des ques­tions qui sont non « résolv­ables » sim­ple­ment. Ça nous oblige aus­si à met­tre en cri­tique nos posi­tion­nements un peu facile « je suis pour, je suis con­tre ». La recherche c’est juste­ment de pro­duire quelque chose qui va bris­er, cass­er des posi­tion­nements trop sim­ples – que je ne cri­tique pas en tant que tels, on est obligé d’en avoir dans la vie (des posi­tion­nements comme ça), mais dans le temps de la représen­ta­tion on est soumis à une com­plex­ité qui nous ramène aux racines des ques­tions – sans réponse, mais qui nous met­tent à un endroit riche de sig­ni­fi­ca­tions humaine­ment.

Reprise de Ça ira (1) Fin de Louis, au Centquatre-Paris du 16 au 20/07/18 (Festival Paris l’été) 
Annonce
Théâtre
Joël Pommerat
Portrait
60
Partager
Blandine Armand
Blandine Armand est réalisatrice et vidéaste, et travaille principalement dans le champ du théâtre. Elle...Plus d'info
Partagez vos réflexions...

Vous avez aimé cet article?

Aidez-nous a en concocter d'autres

Avec votre soutien, nous pourrons continuer à produire d'autres articles de qualité accessibles à tous.
Faites un don pour soutenir notre travail
Soutenez-nous
Chaque contribution, même petite, fait une grande différence. Merci pour votre générosité !
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements