Le legs de l’écrit

Hommage

Le legs de l’écrit

Le 11 Juil 2018

Le théâtre des idées – geste édi­to­r­i­al accom­pli, il y a vingt-qua­tre ans, dans l’urgence de la dis­pari­tion bru­tale d’Antoine Vitez.

Ses amis que nous étions, Danièle Sal­lenave et moi-même, savions l’importance qu’accordait au livre l’homme de théâtre qu’il était et, en procé­dant au recueil de ses textes essen­tiels, il s’agissait, pour nous, sans atten­dre, de con­denser sa pen­sée, de la préserv­er dans son inten­sité, de lui don­ner la chance de s’ériger en référence pour la scène française. Il y a eu ensuite l’admirable série réu­nis­sant aux Édi­tions P.O.L, sous la houlette de Nathalie Léger, l’ensemble des textes de Vitez. Le théâtre des idées ne per­dait pas pour autant sa per­ti­nence et, aujourd’hui épuisé, il béné­fi­cie d’une réédi­tion dans la col­lec­tion « Pra­tique du théâtre » et s’inscrit ain­si dans cette lignée de la pen­sée française à laque­lle Vitez aimait s’associer : Copeau-Jou­vet-Vilar. Elle se com­plète grâce à cet artiste qui n’a pas cessé de vouloir la pour­suiv­re et l’affirmer au nom d’un voeu de fil­i­a­tion claire­ment for­mulé. Vitez, comme ses précurseurs, a souhaité pleine­ment appartenir au théâtre français et, tout à la fois, s’ouvrir à des hori­zons et à des col­lab­o­ra­teurs du monde entier. Il a cul­tivé cette dou­ble pas­sion de l’appartenance et de l’extension, de la France et de ces cul­tures qui le sédui­saient : grecque, russe, alle­mande. Il s’en récla­mait et les érigeait en alliés quo­ti­di­ens, de tra­vail et de pen­sée, d’amitié et de poésie. Plus français que tout autre, Vitez s’associa des col­lab­o­ra­teurs proches et des amis d’Athènes ou de Moscou. L’homme qui accor­dait le plus de soin à l’exercice sans com­pro­mis de l’alexandrin aimait l’intimité avec des accents qui lui per­me­t­taient « d’entendre sa langue comme venue d’ailleurs ». Cela motive en par­tie son attrait pour la tra­duc­tion, pour le voy­age d’une langue à l’autre, d’une pra­tique à son con­traire. Il fut le par­ti­san de la mise en scène comme « tra­duc­tion », tra­duc­tion général­isée, parce qu’il a été un et mul­ti­ple. Parce qu’il a réu­ni et cul­tivé ce cou­ple antin­o­mique qui le con­sti­tu­ait.

Une fois Vitez dis­paru, les gens de théâtre ont com­pris qu’une manière d’intervenir sur la scène artis­tique et poli­tique allait leur man­quer. Ses écrits, le con­stat se révéla vite juste, ani­maient les débats, acti­vaient la réflex­ion tout en cap­ti­vant par la pré­ci­sion de la langue, l’économie du vocab­u­laire et l’architecture de la syn­taxe. Il fut un artiste impliqué dont le Théâtre des idées atteste l’unicité. Il a écrit, par­lé, pris posi­tion comme une sorte de Diderot des temps mod­ernes, tou­jours avec pas­sion et brièveté, jamais pon­tif­i­ant ni manichéen. En tant qu’écrivain pour le théâtre, Vitez reste une référence hors pair. Et son absence se fait sen­tir, aujourd’hui encore.

Elle est de taille, mais si les mis­es en scène dis­parais­sent, les livres, comme dis­ait Boul­gakov, « ne brû­lent jamais ». Le théâtre des idées le con­firme. C’est le legs de l’écrit que nous livre le met­teur en scène-poète.

Nous devons l’admettre, l’héritage du siè­cle de la mise en scène con­tient, out­re les références à des spec­ta­cles mythiques, les man­i­festes et les textes dont la place reste essen­tielle car ils for­mu­lent un pro­jet de théâtre dont le désir de trans­for­ma­tion de la scène survit au- delà de la car­rière d’un spec­ta­cle. Ce que celui-ci four­nit comme pléni­tude dans le présent qui passe, le livre l’inscrit dans une durée qui en sauve­g­arde la pen­sée. Si le spec­ta­cle se rat­tache à l’esthétique d’une époque, les livres la débor­dent et pro­jet­tent vers l’avenir : c’est pourquoi, aujourd’hui, nous apprenons qui ont été Copeau, Jou­vet ou même Vilar surtout en les relisant. Vitez le con­firme. Il a fait de l’écrit un repère pour soi-même, pour le péd­a­gogue et le met­teur en scène qu’il était. […]

Anthologie proposée par Danièle Sallenave et Georges Banu. Première parution en 1991, nouvelle édition augmentée en 2015, Collection Pratique du Théâtre, Gallimard. © Éditions Gallimard.
1993 de Julien Gos­selin et Aurélien Bel­langer. Pho­to JL Fer­nan­dez.

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Antoine Vitez
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Écrit par Georges Banu
Écrivain, essay­iste et uni­ver­si­taire, Georges Banu a pub­lié de nom­breux ouvrages sur le théâtre, dont récemment La porte...Plus d'info
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