Mondialité sur les plateaux

Entretien
Théâtre

Mondialité sur les plateaux

Le 12 Jan 2018
Hortense Archambault. Photo Ilka Kramer.
Hortense Archambault. Photo Ilka Kramer.

S. M‑L : Il est d’usage aujourd’hui de cri­ti­quer les théâtres publics au motif de leur inca­pac­ité à inté­gr­er la diver­sité cul­turelle de nos sociétés mul­ti­cul­turelles ? Existe-t-il, selon toi, un prob­lème spé­ci­fique d’accès des artistes issus de l’immigration aux scènes européennes ?

H. A. : Une chose est sûre, la diver­sité des artistes issus de l’immigration ne se retrou­ve pas sur la plu­part des plateaux. Il y a plutôt des scènes « spé­cial­isées », en France on s’intéresse beau­coup à la fran­coph­o­nie.

Ce sont des endroits spé­ci­fiques où il est pos­si­ble de décou­vrir des artistes ou des auteurs « venus d’ailleurs », vivant dans des pays fran­coph­o­nes mais aus­si issus de l’immigration. J’ai l’impression que cela bouge toute­fois. Je ne sais pas si la sit­u­a­tion est européenne ou plus par­ti­c­ulière dans tel ou tel pays. Il y a des ini­tia­tives partout, en tout cas en Europe. Je pense à l’initiative très impor­tante du Théâtre Gor­ki, à Berlin, sur le mod­èle du théâtre per­ma­nent où tous les acteurs de l’ensemble sont issus de l’immigration, turque ou de l’est notam­ment… On n’est pas ici dans une logique de diver­sité liée à la couleur de la peau, mais à une diver­sité cul­turelle. Ce mot « diver­sité » est com­pliqué. Com­ment l’appréhender ? Il me sem­ble qu’il ne faut pas le faire de manière soci­ologique. Il ne s’agit pas de don­ner des pour­cent­ages pour des caté­gories de per­son­nes de peau noire ou de type méditer­ranéen …

S. M‑L : Tu veux dire qu’il faut refuser les quo­tas ?

H. A. : En tout cas, l’enjeu n’est pas d’avoir une représen­ta­tion soci­ologique­ment pro­por­tion­nelle. Il faut con­tin­uer à penser à un enjeu sym­bol­ique. Notre représen­ta­tion est très impor­tante car elle est de l’ordre sym­bol­ique. Elle est aus­si impor­tante dans l’absence ou l’incapacité de penser cette fameuse diver­sité, ou Mon­di­al­ité en référence à Glis­sant reprise par Patrick Chamoi­seau.
Com­ment représen­ter une human­ité en Occi­dent qui s’est mon­di­al­isée ?
C’est un sujet d’autant plus impor­tant me sem­ble-t-il quand on dirige – comme moi — un théâtre en Seine-Saint-Denis. Il suf­fit de se promen­er ici pour voir que la mon­di­al­ité existe, c’est une mon­di­al­ité vis­i­ble et elle doit aus­si l’être sur les plateaux. J’ai l’impression qu’il y a une prise de con­science réelle, elle est cepen­dant assez récente et il y aura néces­saire­ment un délai avant d’observer des change­ments impor­tants. Si je con­sid­ère la pro­gram­ma­tion de la sai­son dernière à la MC93, il y a eu beau­coup de physiques dif­férents sur les plateaux.

S. M.-L. : Es-tu attachée à ce sujet his­torique­ment ou depuis ta nom­i­na­tion à la tête de la MC 93 ?

H. A. : Depuis le Fes­ti­val d’Avignon. La dernière édi­tion que nous avons pro­gram­mée en 2013 (avec Vin­cent Bau­driller) était extrême­ment man­i­feste, avec Dieudon­né Nian­gouna et Stanis­las Nordey comme artistes asso­ciés. Dieudon­né Nian­gouna et Stanis­las Nordey sont des per­son­nes très atten­tives à cette ques­tion de la Mon­di­al­ité et de sa représen­ta­tion sym­bol­ique. Peu de gens s’en sont aperçus à l’époque. Par la suite, j’ai choisi de diriger un théâtre pub­lic dans les quartiers pop­u­laires, et il est évi­dent que ces ques­tions-là s’y posent claire­ment.

S. M.-L. : Com­ment se traduit l’injonction con­tra­dic­toire des pou­voirs publics sur ce qui est devenu un enjeu poli­tique d’affichage et de vis­i­bil­ité, tout en soule­vant des débats de fond au sein d’une société mar­quée par la frac­ture colo­niale ?

H. A. : Je ne le vis pas comme une injonc­tion insti­tu­tion­nelle. Ce qui est intéres­sant dans ce qui s’est passé lors des dernières élec­tions en France — alors qu’on nous annonçait que le Front nation­al risquait de l’emporter…-, c’est qu’on a pu voir net­te­ment le cli­vage entre une France mélan­col­ique et défen­sive d’une logique supré­ma­tiste blanche, qui se croit en dan­ger et use de la rhé­torique d’un occi­dent envahi par des étrangers hos­tiles, et se référant à un monde irréel, qui serait pur, cloi­son­né, et à pro­téger, d’un côté.
Et de l’autre côté, une par­tie de la pop­u­la­tion a admis que le Mon­di­al­i­sa­tion était là, qu’on ne pou­vait pas revenir en arrière, qu’elle sig­nifi­ait mul­ti­pli­ca­tion des échanges, cir­cu­la­tion, inter­cul­tur­al­ité…
Ce que j’apprécie dans le con­cept de Chamoi­seau, c’est qu’il définit une Mon­di­al­ité qui s’oppose à une Mon­di­al­i­sa­tion aujourd’hui unique­ment vécue du point de vue cap­i­tal­iste. La Mon­di­al­i­sa­tion ne devrait pas être réduite à la loi des marchés, mais s’ouvrir aux enjeux écologiques, migra­toires, intel­lectuels.
Qu’est-ce que le théâtre doit faire avec ces ques­tions ? C’est à cet endroit que nous devons tra­vailler. Je suis opposée à une vision du monde clivée autour de chocs de civil­i­sa­tion et le con­cept de Mon­di­al­ité est très stim­u­lant dans ce qu’il offre comme pos­si­bil­ité d’avenir. La Mon­di­al­ité, c’est une com­plex­ité et en même temps, c’est une for­mi­da­ble énergie. Et du coup, les ques­tions colo­niales, les ques­tions liées à l’écriture de notre His­toire com­mune, me pas­sion­nent. Le débat sur le livre de Patrick Boucheron était intéres­sant à cet égard.
Il faut sor­tir de la ten­ta­tion d’amnésie très présente dès que le passé est moins glo­rieux. Sur la Guerre d’Algérie, les ques­tions colo­niales…

Lire l’in­té­gral­ité sur notre site (en PDF).

En ce moment à la MC93 Et Dieu ne pesait pas lourd :

Mise en scène et interpétation: Frédéric Fisbach, 
Texte: Dieudonné Niangouna, Dramaturgie: Charlotte Farcet
, Collaboration artistique: Madalina Constantin, 
Scénographie: Frédéric Fisbach et Kelig Le Bars,  
Lumière: Kelig Le Bars
, Son: John Kaced, 
Vidéo: John Kaced et Étienne Dusard, 
Répétitrice: Juliette Murgier
, Régisseuse générale: Martine Staerk
, Régisseur son: Jacques Guinet, 
Régisseur lumière et vidéo: Frédéric Constant, Construction décor: Ateliers de la MC93.

Dieudonne Nian­gouna
et Fred­er­ic Fis­bach
© Pas­cal GELY
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Frédéric Fisbach
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Sylvie Martin-Lahmani
Professeure associée à la Sorbonne Nouvelle, Sylvie Martin-Lahmani s’intéresse à toutes les formes scéniques contemporaines....Plus d'info
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