Myriam Tanant, l’art flamboyant

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Myriam Tanant, l’art flamboyant

Le 12 Mar 2018
Myriam Tanant. Photo Raphaël Tanant
Myriam Tanant. Photo Raphaël Tanant

Myr­i­am Tanant s’est éteinte le 12 févri­er 2018. Uni­ver­si­taire, tra­duc­trice, pein­tre, un temps actrice, met­teure en scène d’opéras et de théâtre, auteure de théâtre elle-même et par­fois libret­tiste d’opéras, cette femme tal­entueuse était dotée d’une human­ité pro­fonde qui fai­sait d’elle une col­lègue et un maître mer­veilleux.

Exigeante et bien­veil­lante, Myr­i­am Tanant avait la pas­sion du ciné­ma, du théâtre, de la lit­téra­ture et de l’opéra qu’elle enseignait au départe­ment d’Études ital­i­ennes et d’Études théâ­trales de la Sor­bonne-Nou­velle, dont elle était dev­enue Pro­fesseur émérite.

Ses étu­di­ants gar­dent un sou­venir ébloui et sen­si­ble de cette très belle femme, pleine de charisme et d’humour, qui racon­tait com­ment, jeune-fille, elle dis­sim­u­lait un mag­né­to­phone sous son man­teau pour enreg­istr­er les films qu’elle allait voir au ciné­ma, et les écouter le soir, de retour dans sa cham­bre. L’enseignement était au cœur du tra­vail de cette uni­ver­si­taire exaltée, qui frap­pait régulière­ment son bureau par inad­ver­tance pour accom­pa­g­n­er ses expli­ca­tions. Elle racon­tait ses cours comme des his­toires épiques, sans notes et sans filet, avec cette pas­sion des spec­ta­cles qui fai­saient de ses sémi­naires des espaces priv­ilégiés, un peu mag­iques, où les étu­di­ants regar­daient des spec­ta­cles et pou­vaient don­ner leur avis. Curieuse de tout et surtout de la jeunesse, Myr­i­am Tanant pre­nait beau­coup d’intérêt à les écouter.

Dans les années qua­tre-vingt, sur un de ces quipro­qu­os ubuesques qu’elle affec­tion­nait tant ‑et enjo­li­vait peut-être un peu par mod­estie — elle s’était retrou­vée assis­tante de Gior­gio Strehler. Elle l’accompagne pour La Trilo­gie de la vil­lé­gia­ture de Goldoni, avec les comé­di­ens de la Comédie-Française, puis sur sa mythique mise en scène de l’Illusion comique de Corneille, au Théâtre de l’Europe, en 1984. Pen­dant dix ans, elle l’assiste sur des spec­ta­cles du Pic­co­lo et du théâtre de l’Odéon, tout en assumant ses activ­ités uni­ver­si­taires et favorisant les stages pour les étu­di­ants, aux­quels elle per­met aus­si d’assister à des répéti­tions.

Elle avait appris avec Strehler la direc­tion d’acteur et la scéno­gra­phie. Elle en fera une thèse de Doc­tor­at d’État : La pro­va infini­ta : Gior­gio Strehler entre pra­tique et recherche théâ­trale, puis un livre éclairant inti­t­ulé sobre­ment Gior­gio Strehler 1. Le maître aimait son intel­li­gence, son humil­ité, l’humour et le calme dont elle fai­sait preuve lorsqu’il était pris d’une colère homérique. Au côté de Strehler, Myr­i­am tra­vaille ou assiste aus­si les repris­es, à l’Opéra de Paris, de L’Enlèvement au sérail, de Simon Boc­cane­gra et des Noces de Figaro.

Myr­i­am Tanant se cachait sou­vent. Pudique et forte de son expéri­ence artis­tique per­son­nelle, elle avait l’humilité des grands. Ain­si ne met­tait-elle jamais en avant qu’elle aus­si avait signé de nom­breuses mis­es en scène d’opéras, à Lyon, à Bastille, salle Favart ou encore à la Scala de Milan : Pri­ma la musi­ca poi le parole de Salieri, le Directeur de théâtre et Zaïde de Mozart avec Nathalie Dessay, Bastien Basti­enne, Le Viol de Lucrèce de Ben­jamin Brit­ten. etc. La plu­part furent joués sous la direc­tion de Claire Gibault. Elle avait écrit des livrets, notam­ment Dédales pour Hugues Dufourt, La Sta­tion ther­male et Les oiseaux de pas­sage pour Fabio Vac­chi.

Myr­i­am Tanant avait, comme le souligne joli­ment Armelle Héliot, « l’Italie au cœur ». L’Italie dont elle tradui­sait les grands auteurs, Lui­gi Piran­del­lo 2 (L’autre fils, L’Etau, les Cédrats de Sicile, Ou d’un seul ou d’aucun) et son fils Ste­fano (Un père, il en faut bien un 3), Ita­lo Sve­vo, Umber­to Eco, etc. Mais c’est surtout avec le théâtre de Goldoni qu’elle avait des affinités par­ti­c­ulières. Elle en traduira notam­ment L’impresario de Smyrne 4 (1983), L’une des dernières soirées de Car­naval (19905), Les cuisinières, Un homme exem­plaire 6(1993), La Ban­quer­oute 7 (1995). La plu­part de ces tra­duc­tions furent mis­es en scène par Jean-Claude Penchen­at, co-fon­da­teur du théâtre du Soleil et fon­da­teur du Cam­pag­nol, théâtre auquel elle col­lab­o­ra comme auteure pen­dant une ving­taine d’années avec ses pro­pres pièces. Car elle était aus­si auteure de théâtre, avec Bar fran­co-ital­ien, À dimanche et d’autres encore. En 2012, elle avait signé une belle et vive tra­duc­tion de La Trilo­gie de la vil­lé­gia­ture pour la mise en scène d’Alain Françon à la Comédie-Française. Il lui avait demandé de traduire La Locan­diera, sa prochaine créa­tion au Français, au print­emps 2018. Elle venait d’en achev­er le texte.

Une mise en scène que Myr­i­am Tanant ne ver­ra pas mais que nous enten­drons pour elle.

Mar­jorie Bertin est doc­teure en Études théâ­trales sous la direc­tion de Myr­i­am Tanant.

  1. Myr­i­am Tanant, Gior­gio Strehler, Arles, Actes sud, 2007. ↩︎
  2. Lui­gi Piran­del­lo, Théâtre com­plet, tome I (1977) et II (1985), Paris, Gal­li­mard. ↩︎
  3. Paris, L’avant-scène, coll. les Qua­tre vents, 2009. ↩︎
  4. Intro­duc­tion et notes, imprimerie de la Vigié / Théâtre du Cam­pag­nol, 1983 Représen­té dans une mise en scène de Jean Claude Penchen­nat. ↩︎
  5. Intro­duc­tion et notes, Actes Sud –papiers, 1990. ↩︎
  6. (avec Jean Claude Penchen­at) Actes Sud-papiers 1993. ↩︎
  7. Actes Sud-papiers 1994 ↩︎
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Photo de Marjorie Bertin, Crédit Anthony Ravera RFI
Marjorie Bertin
Docteur en Études théâtrales, enseignante et chercheuse à la Sorbonne-Nouvelle, Marjorie Bertin est également journaliste à...Plus d'info
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