Ambassadrice du compositeur. Portrait de Susanna Mälkki

Musique
Portrait

Ambassadrice du compositeur. Portrait de Susanna Mälkki

Le 9 Mai 2019
Susanna Mälkki © Simon Fowler
Susanna Mälkki © Simon Fowler
De la musique avant toute chose ?

Enfant, j’ai débuté la musique avec le vio­lon. Cet instru­ment était le choix de mes par­ents et il ne me cor­re­spondait pas vrai­ment. Vers l’âge de neuf ans, j’ai décou­vert le vio­lon­celle lors d’un con­cert sco­laire. En Fin­lande, à l’époque, afin d’initier les enfants à la musique, des instru­ments étaient mis à leur dis­po­si­tion à l’école, alors un jour, je suis ren­trée à la mai­son avec un vio­lon­celle…
Ado­les­cente, j’étais intéressée par beau­coup de choses, je voulais étudi­er les langues, les sci­ences humaines… Mon père était sci­en­tifique, ma mère enseignait les arts plas­tiques à l’école. Mélo­manes tous les deux, ils avaient trans­mis le goût de la musique à leurs enfants. J’aimais la musique bien sûr mais je n’étais pas cer­taine de vouloir m’y engager pro­fes­sion­nelle­ment. J’avais un pro­fesseur qui m’y encour­ageait mais pour moi, ce n’é­tait pas évi­dent tout de suite. Finale­ment, mon amour très fort pour la musique a fini par l’emporter — c’é­tait le seul choix pos­si­ble.

Je me suis préparée pour la direction d’orchestre.

Dans le cur­sus musi­cal fin­landais, l’orchestre fait par­tie de la for­ma­tion sco­laire. Et pen­dant ces années d’apprentissage, je me suis intéressée au tra­vail du chef d’orchestre. Je n’avais aucun prob­lème d’identification en tant que femme à ce méti­er mais je savais que des prob­lèmes d’at­ti­tude sur­gi­raient si je m’engageais dans cette voie.

Cette con­science des dif­fi­cultés n’était pas seule­ment liée à ma con­di­tion de femme — c’est une pro­fes­sion par­mi les plus dif­fi­ciles qui exis­tent. En vérité, avant de me lancer dans ce méti­er et de me con­fron­ter aux regards des autres, je voulais m’assurer par moi-même que je voulais le faire. Autrement dit, je voulais me sen­tir pro­fes­sion­nelle­ment prête, ter­min­er avant tout ma for­ma­tion de vio­lon­cel­liste et jouer de la musique de cham­bre. Dans le con­texte de la direc­tion d’orchestre, il est essen­tiel d’avoir de l’expérience, et d’affiner son oreille avec la pra­tique d’un instru­ment. Je devais d’autant plus avoir cette com­pé­tence que j’étais une femme et que le niveau d’exigence serait plus élevé. Mais la moti­va­tion artis­tique m’a portée.

Il n’y a pas que la musique contemporaine dans ma carrière.

Déjà avant mes études de direc­tion musi­cale à l’Académie Sibelius, j’étais très attirée par les œuvres con­tem­po­raines. J’y ressen­tais un rap­port dif­férent, direct et spon­tané, à la par­ti­tion, et je pou­vais pren­dre plus de risques au niveau de l’interprétation. Cette approche est dif­férente de celle du réper­toire clas­sique car les con­ven­tions imposées y sont nom­breuses, et les tra­di­tions en matière d’interprétation sou­vent restric­tives, du moins pen­dant les études, hélas.

Je crois que le suc­cès de l’école fin­landaise en direc­tion d’orchestre tient d’ailleurs à cette spé­ci­ficité : c’est une for­ma­tion qui per­met d’ac­quérir tous les out­ils néces­saires au méti­er, mais c’est aus­si une for­ma­tion dans laque­lle la respon­s­abil­ité de l’interprétation est entière­ment lais­sée au chef. L’analyse des caus­es et con­séquences est bien évidem­ment présente, les ques­tions styl­is­tiques égale­ment, mais c’est au chef que revient l’idée ini­tiale et pré­cise de l’interprétation. Après tout, c’est la rai­son pour laque­lle nous sommes là, non ?

Dans la musique con­tem­po­raine, le tra­vail de direc­tion d’orchestre fait sou­vent appel à des com­pé­tences et exi­gences très dif­férentes. C’est pourquoi nous sommes moins nom­breux dans ce milieu. Comme la résis­tance con­tre les femmes chefs était encore présente il y a vingt ans, j’ai eu de nom­breuses et belles oppor­tu­nités avec ce réper­toire. J’ai tou­jours assuré une car­rière dans tous les réper­toires mais jusqu’à aujour­d’hui, on a moins par­lé de mon tra­vail dans le domaine clas­sique. Cette fausse image est peut-être liée au mar­ket­ing et à l’habitude de voir un chef mas­culin.

À l’opéra, je suis l’ambassadrice du compositeur.

On par­le sou­vent de con­fronta­tions entre le chef d’orchestre et le met­teur en scène. Per­son­nelle­ment, je n’ai jamais vécu cela à l’opéra. Je pense qu’à défaut de con­fronta­tion, il y a sou­vent des enjeux de pou­voir. Surtout quand le tra­vail de l’un empiète sur celui de l’autre et que la mise en scène, par exem­ple, empêche la musique de fonc­tion­ner. Mais la présence d’un chef d’orchestre dès le début des répéti­tions évite bien des ten­sions parce que la musique est une con­stante, et plus tôt la mise en scène s’habitue à l’interprétation du chef, mieux les choses avan­cent. En revanche, l’arrivée tar­dive d’un chef est prob­lé­ma­tique parce qu’il risque d’imposer des exi­gences sur une mise en scène bien avancée. J’apprécie le fait qu’il y ait des met­teurs en scène vision­naires, avec une approche du théâtre à l’opéra. Dans ce cas-là, je me perçois comme l’ambassadrice du com­pos­i­teur : si l’expression musi­cale demandée par le com­pos­i­teur ne cor­re­spond pas, voire s’oppose à l’action scénique, il faut en dis­cuter avec le met­teur en scène, et envis­ager une solu­tion qui per­me­tte aux deux medi­ums de s’exprimer. Pour garder l’esprit essen­tiel de l’œuvre, je peux trou­ver une solu­tion musi­cale qui préserve l’idée ini­tiale du met­teur en scène. Et si le met­teur en scène exige quelque chose de dif­fi­cile de la part des chanteurs, je dois être là pour défendre le chanteur ou le met­teur en scène, tout dépend ! Je respecte le domaine du met­teur en scène. Ce n’est pas à moi de dire si j’aime ou pas sa vision, d’autant que les bons met­teurs en scène ne pro­posent jamais une vision sans une idée forte der­rière. Je veille seule­ment à ce que les dif­férents aspects de la pro­duc­tion coex­is­tent pleine­ment, quand bien même le con­cept de la mise en scène n’est pas à mon goût ou si je trou­ve les cos­tumes étranges. Sincère­ment, ce n’est pas à moi d’en juger : ce domaine, c’est le ter­ri­toire de l’autre.

Je crois en l’expérimentation scénique à l’opéra.

Je crois en l’opéra comme forme d’art mais pour une réus­site du genre, il faut que tous ses élé­ments soient en har­monie, et c’est pour cela que je défends l’expérimentation dans la mise en scène. Dans tous les cas, il faut laiss­er la place à une nou­velle manière de voir les choses. Mais encore, il ne faut pas penser la mise en scène comme une provo­ca­tion gra­tu­ite, mais plutôt comme une “mise en pen­sée”. Qu’elle soit réal­isée avec bon ou mau­vais goût, tout dépend de la déf­i­ni­tion don­née au goût, le but étant de faire redé­cou­vrir cer­taines choses. Je ne dis pas que toutes les pro­duc­tions mod­ernes sont extra­or­di­naires, mais les anci­ennes ne sont pas for­cé­ment des références. Le décor est une façade, ou bien une fenêtre de la mise en scène — dans le meilleur des cas, il est la clé du dia­logue entre les médi­ums artis­tiques — mais le véri­ta­ble con­tenu d’une vision scénique, c’est la direc­tion d’ac­teurs, à savoir la com­plex­ité des rela­tions humaines et l’in­ter­ac­tion entre les per­son­nages. Il faut chercher, encore et encore, sinon on se lim­ite à une lec­ture vide de tout sens.

Rusalka à l’Opéra national de Paris

L’Opéra nation­al de Paris est une très belle mai­son lyrique. Chaque fois que je viens ici, j’y vis une expéri­ence artis­tique mer­veilleuse, avec des chanteurs excep­tion­nels, un orchestre de très haut niveau, et des grands met­teurs en scène, comme Krzysztof War­likows­ki, Guy Cassiers ou Robert Carsen. Dans Rusal­ka de Dvořák que je dirige en ce moment, j’ai vrai­ment droit à une dis­tri­b­u­tion vocale de luxe ! Les chanteurs sont tous au top niveau et je me rends chaque matin aux répéti­tions avec un grand sourire !
C’est la pre­mière fois que je dirige Rusal­ka et j’adore cette œuvre. Sa dimen­sion féerique m’a ren­due très songeuse pen­dant les répéti­tions : entr­er dans cette bulle de magie est une chose mag­nifique, mais il y existe aus­si un mes­sage pro­fond sur l’amour et le par­don. Bien que je sois très engagée dans la musique con­tem­po­raine, je mesure à quel point cet univers de rêve et de féerie nour­rit égale­ment l’âme ; la beauté fait pleur­er et nous devons pro­téger, à tout prix, cette expéri­ence de l’enchantement dans notre monde. »

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Susanna Mälkki
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Leyli Daryoush
Leyli Daryoush
Leyli Daryoush est musicologue de formation et docteure en études théâtrales. Dramaturge, chercheuse, spécialiste de l’opéra,...Plus d'info
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