Je désire donc je suis

Théâtre
Critique

Je désire donc je suis

Le 18 Fév 2020

Le virtuel a pro­fondé­ment changé notre rap­port au monde . Pour le pire et le meilleur. Les fake news  ont pré­cip­ité le brex­it anglais et assuré l’élection de Don­ald Trump. Les réseaux soci­aux ont aus­si per­mis comme une traînée de poudre l’émergence et la belle sol­i­dar­ité des print­emps arabes.

Dans le domaine de l’intime, on peut se dire je t’aime d’un bout à l’autre de la planète comme on peut poster sur inter­net des images pornographiques qui détru­isent une vie et poussent au sui­cide.

La ques­tion du vrai et du faux qui hante depuis la nuit des temps la con­science des femmes et des hommes  en philoso­phie, en poli­tique comme dans les rap­ports famil­i­aux et amoureux est aus­si au coeur de la créa­tion artis­tique. Je suis en men­songe qui dit tou­jours la vérité comme l’ écrivait Cocteau.

La com­pag­nie Gazon Nève s’est emparé du livre écrit par Camille Lau­rens (Celle que vous croyez ‚Gal­li­mard 2016) pour réalis­er un mag­nifique spec­ta­cle qui nous entraîne dans les méan­dres du désir et de la pas­sion amoureuse. Il y avait matière à théâtre dans ce réc­it qui mêle fic­tion et réal­ité et qui explore toutes les facettes des sen­ti­ments (ou l’absence de sen­ti­ments) que peu­vent ressen­tir un cou­ple hap­pé par la ten­ta­tive de créer du lien sans qu’une ren­con­tre n’aboutisse. Peine per­due, puisque l’une et l’autre n’auront qu’une envie : pass­er du virtuel au réel.

Matière à théâtre puisqu’ici le sujet per­met le dédou­ble­ment des per­son­nages dans une mise en abîme fasci­nante.

Dès le départ on est mis en présence du théâtre dans le théâtre : avant que les lumières ne s’éteignent, met­teuse en scène, actri­ces, acteurs et tech­ni­ciens nous font par­ticiper à une répéti­tion où cha­cun s’affaire à met­tre en place la représen­ta­tion dans laque­lle nous sommes pro­gres­sive­ment entrainés pour se retrou­ver très vite dans le vif su sujet :

la créa­tion d’un lien virtuel entre une femme et un homme avec son cortège de décou­vertes, de déc­la­ra­tions, de fas­ci­na­tion et de frus­tra­tions.

Il y avait déjà dans le beau livre de Camille Lau­rens des glisse­ments d’un per­son­nage dans un autre. L’auteure ani­me un ate­lier d’écriture dans un hôpi­tal psy­chi­a­trique où elle ren­con­tre une femme, Claire, au prénom prédes­tiné, car rien de moins clair chez cette femme qui se cache der­rière un prénom d’emprunt pour trou­ver un parte­naire amoureux par le biais des réseaux soci­aux. Divor­cée, intel­lectuelle, enseignante, sor­tant d’une rela­tion amoureuse insat­is­faisante, elle rêve de trou­ver un nou­v­el amour qui la rac­crochera à la vie. Elle trou­ve son parte­naire (Chris) et va entamer avec lui une longue rela­tion virtuelle qui débouchera, suite à de nom­breux sub­terfuges, à une vraie ren­con­tre, car finale­ment, « il faut que le corps exulte ». Bien sûr « l’autre » sera un per­son­nage lourd, séduc­teur, grossier, tout le con­traire de l’élégante Claire au rêve fra­cassé.

La ren­con­tre aura lieu par plans suc­ces­sifs : un très beau film réu­ni­ra les per­son­nages (le ciné­ma comme effet de réel) et un ingénieux dis­posi­tif scénique représen­tera deux univers

de cham­bre (design et de bon goût pour Claire, sor­dide et sans âme pour Chris). La con­fu­sion des sen­ti­ments sera représen­té aus­si par le mélange de ces deux espaces pour sign­er la fin de l’aventure quand la veu­lerie et la lâcheté de Chris lais­sera Claire anéantie.

On pour­rait croire que cette tragédie con­tem­po­raine serait représen­tée dans un cli­mat étouf­fant et pesant, il n’en n’est rien. L’humour est tout le temps présent au coeur de la représen­ta­tion. Surtout, les per­son­nages sont empreints d’ human­ité. Valérie Bauchau (Valérie/Claire/ Camille) est lumineuse de vérité. Nous savons depuis longtemps qu’il s’agit d’une grande actrice. ici elle est incan­des­cente : nous sommes au plus prés d’elle et l’accompagnons dans ses frémisse­ments, son engage­ment, ses doutes et sa renais­sance.

On est pas fier d’être un homme en face de Chris et sa con­duite odieuse que Ben­jamin Ramon dans son inter­pré­ta­tion coup de poing défend avec brio. La déli­catesse du jeu de Quentin Marteau et Gaê­tan d’Agostino, con­tre­point de douceur et d’empathie com­plète avec justesse la palette des sen­ti­ments et de com­porte­ment que ce beau spec­ta­cle mis en scène par Jes­si­ca Gazon explore avec inten­sité. Une réus­site exem­plaire.

Bernard Debroux

Celle que vous croyez de Camille Laurent
Adaptation et mise-en-scène de Jessica Gazon.

Avec Valérie Bauchau, Benjamin Ramon, Gaêtan d’Agostino, Quentin Marteau.
Scénographie de Vincent Bresmal, lumières de Guillaume Toussaint Fromentin, costumes d'Elise Abraham, univers sonore de Guillaume Istace.
Un spectacle du Rideau de Bruxelles et de la compagnie Gazon-Nève, Bruxelles théâtre du rideau de Bruxelles, du 14/01 au 01/02/20.
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Bernard Debroux
Bernard Debroux
Fondateur et membre du comité de rédaction d'Alternatives théâtrales (directeur de publication de 1979 à...Plus d'info
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