Un héritage sans testament, “Maitres anciens” au Théâtre de la Bastille.

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Critique

Un héritage sans testament, “Maitres anciens” au Théâtre de la Bastille.

Le 22 Mar 2020
Photographie de Jean Louis Fernandez, "Maîtres anciens".
Photographie de Jean Louis Fernandez, "Maîtres anciens".

Jean-Marie Hordé, l’inlassable éclaireur du théâtre en France a eu la très bonne idée de repren­dre le spec­ta­cle Maîtres anciens dans son Théâtre de la Bastille.

Thomas Bern­hard n’a eu de cesse dans ses romans et son théâtre de régler ses comptes avec la société autrichi­enne, son passé nazi, l’empreinte du catholi­cisme, sa cul­ture petite bour­geoise.

Curieuse­ment, ce sont sou­vent ses textes non dra­ma­tiques portés à la scène qui per­me­t­tent d’aborder l’univers de l’auteur dans toute sa com­plex­ité. Ce fut le cas il y a trente ans déjà dans l’adaptation que Michèle Fabi­en avait réal­isée de Oui dont la mise en scène de Marc Liebens et l’interprétation de Patrick Descamps avaient con­nus une car­rière mémorable.

Aujourd’hui ce sont Nico­las Bouchaud et Eric Didry qui se sont attaqués au roman  Les maîtres anciens  pour en don­ner une représen­ta­tion remar­quable à tout point de vue…

La langue de Bern­hard faite d’invectives implaca­bles n’épargne per­son­ne. Imprégnée d’ironie per­fide et de mal­ice acide, elle assaille et démolit tout sur son pas­sage. Les « grands » artistes en par­ti­c­uli­er : musi­ciens, écrivains et musi­ciens recon­nus sont passés à la moulinette de ses sar­casmes qui font mouche à tous les coups. Elle fait men­tir l’adage qui dit que tout ce qui est exces­sif est insignifi­ant…

C’est au con­traire ici l’excès qui nous entraîne dans une saine provo­ca­tion. Les phras­es assas­sines qui se suc­cè­dent sont une sorte de rap­pel à l’ordre pour que nous gar­dions une lucid­ité cri­tique face à un héritage cul­turel que nous avons sou­vent ten­dance à digér­er sans la dis­tance néces­saire.

Il fal­lait l’immense tal­ent de Nico­las Bouchaud qui est comme un pois­son dans l’eau dans l’univers Bern­har­di­en pour se gliss­er dans le per­son­nage de Reger et profér­er avec une jouis­sance com­mu­nica­tive les impré­ca­tions vir­u­lentes et les sec­ouss­es exis­ten­tielles que ren­ferme le texte remar­quable­ment traduit par Gilberte Lam­brichs (Edi­tions Gal­li­mard).

L’adaptation heureuse des Maîtres anciens qui nous est pro­posée per­met aus­si des res­pi­ra­tions bien­v­enues : pris à son pro­pre jeu de démo­li­tion étour­dis­sante des grands musi­ciens, le silence des mots envahit la scène lorsque monte dans l’espace sonore une par­ti­ta de Bach qui s’étire en longues volutes sonores lais­sant le héros (Reger) en proie à une longue rêver­ie silen­cieuse, et par là nous fait partager cette musique « par qui l’hiver est tolérable » (Aragon).

Un autre moment d’intense émo­tion est ren­du lorsque Reger fait part de l’anéantissement qui l’a envahit lors de la perte de son épouse. Il est alors le dou­ble de Bern­hardt qui, lui aus­si, fut à jamais mar­qué par la dis­pari­tion de sa femme. Il y a alors comme un moment de grâce, con­tre­point boulever­sant au monde de la féroc­ité que nous avions vécu jusqu’alors.

Cette langue vir­tu­ose ne néces­si­tait pas une scéno­gra­phie envahissante. L’univers de signes soigneuse­ment choi­sis dans leur sobriété — papi­er kraft, élec­tro­phone année 70, ban­quettes comme on en voit dans les musées, con­courent à la réus­site de ce très beau spec­ta­cle.

L’humour est tou­jours présent dans cette effer­ves­cence du lan­gage où ne cesse de souf­fler un esprit revig­o­rant !

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Eric Didry
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Bernard Debroux
Bernard Debroux
Fondateur et membre du comité de rédaction d'Alternatives théâtrales (directeur de publication de 1979 à...Plus d'info
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