Éloge de l’altérité

Théâtre
Critique

Éloge de l’altérité

Le 27 Oct 2021
Photo de Michel Boermans
Photo de Michel Boermans
Photo de Michel Boermans
Photo de Michel Boermans

let­tre à Isabelle Pousseur (25/10/2021).

Chère Isabelle,

Nous entretenons depuis de longues années une rela­tion de con­nivence avec l’art, l’écriture et le théâtre qui si elle s’est dis­ten­due depuis que je me suis un peu éloigné des soirées théâ­trales reste tou­jours vivante.

C’est comme actrice que tu appa­rais en cou­ver­ture du numéro 2 d’Alternatives théâ­trales en 1979 en com­pag­nie d’Amid Chakir.

C’est en con­féren­cière, met­teure en scène, femme… et actrice — dans ce savoureux mélange des gen­res — que je t’ai retrou­vée hier dans la très stim­u­lante con­férence-spec­ta­cle théâ­trale et musi­cale : « Éloge de l’altérité » 1 que tu as pro­posée au théâtre Océan Nord.

Photo de Michel Boermans
Pho­to de Michel Boer­mans

Tu as choisi la judi­cieuse forme du « solil­oque dia­logué » pour partager ta pen­sée sur l’art du théâtre que tu pra­tiques avec tant d’intelligence et sen­si­bil­ité.

On y retrou­ve les idées phares que tu avais dévelop­pées en 2013 dans « le théâtre, art de l’autre » 2, déclinées et pro­longées sur le plateau du théâtre par des actri­ces et acteurs, tous for­mi­da­bles et habi­tant, cha­cune et cha­cun avec leur univers et leur sen­si­bil­ité pro­pre, ce monde à la fois étrange et fam­i­li­er de la représen­ta­tion du réel et son mys­tère.

Entourée de Paul Camus, Amid Chakir, Francesco Ital­iano, Bog­dan Kike­na et Chloé Winkel, nous voyons se déploy­er une pen­sée en acte à tra­vers l’histoire de ta rela­tion au monde et au théâtre.

C’est en 1984 que j’ai accueil­li à Namur, où j’officiais alors, « je voulais encore dire quelque chose mais quoi », qui inau­gu­rait une rela­tion forte avec Michel Boer­mans pour le traite­ment des images (mag­nifique­ment util­isées ici, et pour l’ouverture sur l’imaginaire et pour le rap­port au réel). Ce spec­ta­cle plongeait, notam­ment, dans les sou­venirs, les peurs et les plaisirs de l’enfance.

On sait à quel point pour toi, cette mémoire de l’enfance (et la mémoire tout court) est cen­trale pour la con­struc­tion des spec­ta­cles.

Le sou­venir d’un tra­vail à présen­ter, enfant, à l’école et l’enseignement de ton père sur la con­tex­tu­al­i­sa­tion des œuvres d’art a été déter­mi­nant pour ta con­cep­tion et ta pra­tique du théâtre comme espace de ren­con­tre et d’échanges de voix plurielles.

Comme le choc à 10 ans aux États-Unis d’Amérique, lors des mou­ve­ments de révolte des noirs pour les droits civiques dans les années 60, aura par­ticipé à ta prise de con­science d’être « blanche » par­mi les noirs. Cet élé­ment alors, en par­tie incon­scient aura été fon­da­teur de ta rela­tion à l’Afrique.

Photo de Michel Boermans
Pho­to de Michel Boer­mans

Le hasard (?) a voulu que je te précède d’un an à Oua­gadougou pour une for­ma­tion de jour­nal­istes cul­turels. C’est à par­tir de la créa­tion avec des acteurs noirs en 2011 du « songe d’une nuit d’été » que ta rela­tion à l’Afrique pour­ra se déploy­er (ici et là-bas) comme elle a joué un rôle cen­tral dans le tra­vail d’écriture de Bernard Marie Koltès, auteur que tu as mis en scène et auquel comme tu le dis de tous les auteurs que tu choi­sis doivent exercer sur toi une sorte de fas­ci­na­tion amoureuse sans laque­lle le spec­ta­cle ne pour­rait advenir.

Quelle belle idée d’avoir adjoint le piano de Jean-Luc Plou­vi­er à cette aven­ture de l’intime (comme si la présence de ton père planait sur le spec­ta­cle) et du partage. Les ponc­tu­a­tions musi­cales admirable­ment inter­prétées — dans la vio­lence ou la douceur selon les ambiances- par­ticipent de cette plu­ral­ité des voix qui t’est si chère.

Photo de Michel Boermans
Pho­to de Michel Boer­mans

Que feri­ons-nous sans « la musique par qui l’hiver est tolérable » comme je le chante en ce moment avec Aragon ?

Je me rap­pelle d’une con­ver­sa­tion avec Jean-Claude Berut­ti qui esti­mait que dans chaque sai­son, la pro­gram­ma­tion d’un théâtre se devait de faire enten­dre un spec­ta­cle dans une langue « étrangère ».

Ce fut un moment de grâce d’entendre Amid Chakir faire réson­ner la langue arabe dans cet espace vide et de décou­vrir l’élégance boulever­sante et agile de son corps vieil­lis­sant.

Enfin, quelle sur­prise émou­vante de décou­vrir dans la dernière par­tie du spec­ta­cle, comme un pari sur l’avenir, la quin­zaine de jeunes gens, européens et africains, dansant sur le qua­trième con­cer­to pour clavier de Bach, affir­mant l’engagement du théâtre océan Nord dans le tra­vail d’ateliers et la trans­mis­sion.

Pari sur l’énergie et la beauté de la jeunesse.

Je t’embrasse,

Bernard


  1. Éloge de l’altérité con­férence-spec­ta­cle théâ­trale et musi­cale d’Isabelle Pousseur. Regard extérieur Guillemette Lau­rent, Scéno­gra­phie Chris­tine Gré­goire, Créa­tion son Lau­re Lap­pel, Cos­tumes Lau­ra Ughet­to, Choré­gra­phie Nadine Ganase et Fil­i­pa Car­doso.
    Avec la par­tic­i­pa­tion de Car­ole Adolff, Juli­ette Ban, Julien Beck­ers, Alice Borg­ers, Madeleine Camus, Romain Cin­ter, Magrit Coulon, Ozan Eken, Noé Engle­bert, Solange O’brayanne Muneme, Djo Ngele­ka, Antho­ny Ruotte, Ibrahi­ma Diokine Sam­bou (Papis), Souad Toughrai ↩︎
  2. Isabelle Pousseur, le théâtre, art
    de l’autre
    , Alter­na­tives théâ­trales, hors série n° 13, sep­tem­bre 2013 ↩︎
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Isabelle Pousseur
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Bernard Debroux
Écrit par Bernard Debroux
Fon­da­teur et mem­bre du comité de rédac­tion d’Al­ter­na­tives théâ­trales (directeur de pub­li­ca­tion de 1979 à 2015).Plus d'info
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